vendredi 19 avril 2024

Félix Mendelssohn, bicentenaire de la naissance (3 février 1809) Feuilleton 1: A Berlin, défricheur des baroques, Bach et Haendel

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Felix Mendelssohn




2009 est une année particulièrement musicale. Les anniversaires mettent à l’honneur 3 musiciens de première valeur, tous germaniques et de style comme d’esthétique, parfaitement distincts: Mendelssohn, Haendel, Haydn…
Pleins feux tout d’abord sur le prince romantique, Félix Mendelssohn, né le 3 février 1809 à Hambourg (bicentenaire de la naissance); puis, le baroque, génie de l’opéra et de l’oratorio à Londres, Georg Friedrich Haendel, décédé le 14 avril 1759 (250ème anniversaire de la mort); enfin, commémorons le classique et ambassadeur de l’Aufklärung, Joseph Haydn, inventeur du quatuor et de la symphonie, grand ami de Mozart: 2009 marque le bicentenaire de la mort de Joseph Haydn, survenue le 31 mai 1809. Leurs histoires se mêlent et se répondent. On sait moins qu’aux côtés de Bach, Mendelssohn voua une passion non moins capitale pour Haendel. Et quand meurt Haydn, naît la même année (1809), le compositeur romantique qui devait s’éteindre 38 ans plus tard.
Pour préparer l’an neuf, prometteur en diverses célébrations, voici le premier feuilleton dédié à Félix Mendelssohn. Ce chapitre dévoile un aspect méconnu de Mendelssohn, comme défricheur de Bach et de Haendel, soucieux d’authenticité, compositeur passionné par la forme fuguée, citant chorals de Bach ou Airs de Haendel dans ses propres oeuvres…

Mendelssohn 1
A Berlin, le premier compositeur « baroqueux ». Quand il dévoile aux Berlinois médusés et conquis, la puissante prière de la Saint Matthieu en 1829, Mendelssohn seulement âgé de 20 ans, s’affirme comme la personnalité musicale la plus talentueuse et la plus audacieuse de son temps. Cultivé, engagé, chef et compositeur, le musicien allait aussi composer dans l’admiration de Bach et de Haendel, plusieurs chefs d’oeuvre sacrés dont ses oratorios Saint-Paul et Elias sont les pièces maîtresses. Portrait du Mendelssohn, apôtre de la musique religieuse, et précurseur de l’authenticité interprétative.


A 20 ans, apôtre de Bach et de Haendel

Le défenseur des anciens, pour lequel il n’y a pas de césure entre les siècles mais une continuité qui mêle présent, futur et passé, s’intéresse à Haendel et Bach, mais aussi nombre de compositeurs (Pergolesi, Lotti, Palestrina, Haydn, Allegri…) qui depuis ont trouvé grâce aux yeux de nos chers baroqueux, depuis les années 1970. Cette ouverture musicale qu’il doit à son inititateur Zelter, comme on le verra plus loin, fera dire à Berlioz que Mendelssohn aimait un peu trop les morts… Curieux verdict de la part de celui qui adula Gluck comme peu avant lui…
Un siècle après sa révision de 1729, la Passion selon Saint Matthieu de Bach est « recréée » sous la direction d’un Mendelssohn de 20 ans, à Berlin, dans la Singakademie, le 11 mars 1829. Mendelssohn est bien le précurseur des Herreweghe, Jacobs, Kuijken, Koopman, Suzuki, ou Junghänel d’aujourd’hui… Certes, il ne joue pas encore sur instruments d’époque mais déjà inspiré par un souci d’authenticité, il reprend les partitions d’époque et en restitue la sève originelle, quitte à la réadapter (réorchestration de certains récitatifs) mais en indiquant explicitement les ajouts ainsi réalisés. Equité musicale exemplaire et visionnaire. Fanny chante dans le choeur et le musicien s’engage aussi pour les plus démunis (la recette est reversée pour les enfants pauvres de Berlin. Les Berlinois acclament l’oeuvre, sa profondeur, redécouvrent leur patrimoine baroque, et saluent en Mendelssohn, son « prophète », ainsi que le précisera là aussi Berlioz.

Karl Zelter, le mentor

Mendelssohn doit à son mentor Karl Zelter (né en 1758 à Berlin), sa passion constante pour Bach. Celui qui admirait aussi Carl Fasch, portait aux nues la forme polyphonique (fugues…) dans laquelle Bach se distingua sans rival, enseigne cet art majeur et noble à son meilleur élève, Mendelssohn, qui a 12 ans, montre sa maîtrise en composant pas moins de 12 symphonies sur le mode contrapuntique le plus complexe: l’adolescent assimile et Bach et Mozart (en particulier les fugues triomphales et monumentales des Symphonies n°8 et Jupiter). C’est Zelter qui directeur de la Singakademie et heureux propriétaire d’une partition originale de la Saint-Matthieu, lui-même élève de Johann Philipp Kirnberger (ami de Bach), aida Felix dans son oeuvre de résurrection du monument sacré. Le vieux conservateur accepta que soit mis à disposition du projet le choeur de la Singakademie à condition que la recette de l’une des représentations simultanées d’Acis et Galatée de Haendel (également portées par le jeune et infatigable Mendelssohn) soit reversée au profit de l’institution chorale berlinoise, soit 50 thalers… Mendelssohn ne s’intéresse pas qu’à Bach. Son intuition s’avéra là encore ingénieuse et visionnaire; les recettes dépassèrent de loin ce montant, comme le précisa Fanny. Exhumateur, Mendelssohn est aussi un chef électrisant et charismatique capable d’emporter autour de son travail, instrumentistes, chanteurs. Dans la redécouverte de Haendel, à l’époque romantique, Zelter apporte également sa contribution capitale: au moment où le jeune Melndelssohn dirige la Saint-Matthieu, le maître initie un cycle Haendel interprété également par la Singakademie: Berlin redécouvre alors Joshua (1827), puis Judas Macchabaeus, Alexander’s Feast et Samson en 1828…
Les relations avec Berlin cessèrent cependant quand on préféra à Mendelssohn, le redécouvreur de Bach à Berlin, immense apport dans l’histoire musicale, un obscur inconnu, plus âgé que lui, Rungenhagen, en 1833, quand Zelter mourut laissant son poste de directeur à la Singakademie, vacant.


Un modèle d’assimilation: Moses Mendelssohn

Le musicien juif se révéla être plus protestant que ces contemporains, artisan pour la redécouverte des monuments de la ferveur chrétienne. Assimilé, intégré à la société de son temps, Felix se montrait digne héritier de son grand-père, le philosophe Moses Mendelssohn (né en 1729-1786), figure notoire de l’Aufklärung (L’esprit des Lumières), qui inspira à Lessing, le personnage de sa pièce, Nathan le sage et fut couronné tel  » le Socrate de Berlin ». Mozart était lecteur de son Phédon. C’est lui qui germanise son nom « Ben Mendel Dessau » en Mendelssohn. Enfant de la pensée ouverte et généreuse de son ancêtre, Félix, juif, fut converti par ses parents au christianisme et baptisé dès 1816. C’est le frère de son père Abraham, Jacob, qui recommanda de porter aussi le nom de sa métairie Bartholdy, qui accolée au nom patronymique Mendelssohn, offrait une preuve éclatante de l’assimilation de la dynastie juive des Mendelssohn au sein de la société berlinoise. Abraham le père, voyait dans son fils Félix, la continuation voire l’aboutissement de tant d’effort d’intégration. Le jeune musicien s’affirmait ainsi à Berlin, comme défenseur et compositeur de musique sacrée.


Mendelssohn, auteur sacré

De fait, le compositeur nous a laissé une part importante de musique religieuse, la plus développée même comparée à son oeuvre de musique de chambre et symphonique. Fidèle à l’oecuménisme de son grand père Moses, Félix ose même mêler les différentes confessions dans une même oeuvre.
Ses deux oratorios, si célébrés de son vivant, avec un ferveur et un enthousiasme difficile à imaginer aujourd’hui, où on les joue que rarement, témoignent de sa maîtrise et de son ouverture de pensée. Saint-Paul (1836) et Elias (1846) racontent le processus exemplaire de deux figures de l’Ancien Testament: la conversion de Paul sur le chemin de Damas quand la parole de Jésus lui est révélée, et les avatars d’Elias, précurseur du Messie. Particulièrement acclamés à Londres, parce qu’ils correspondirent à l’essor des chorales religieuses, les partitions sont injustement étiquettées « victoriennes », assujetties à un sentiment de sentimentalisme prude voire puritain propre à l’esprit de la Reine Victoria, d’une bigoterie austère. Pourtant, rien de tel à l’écoute approfondie et objective des deux oeuvres qui sont bien deux chefs d’oeuvres de Mendelssohn, et deux oeuvres majeures de l’histoire musicale au XIXème siècle, après Schubert et Beethoven.

Déjà le Psaume 42 (1837) indique le génie de l’inspiration mélodique, accordée à une intuition sûre dans l’orchestration. Mieux Paul et Elias désignent l’instinct dramatique du compositeur qui plus que d’adapter les ficelles baroques (cantates et Passions de Bach et oratorios de Haendel) dans un cadre solennel et majestueux, « grandiloquent » diront ses critiques, atteint des sommets d’expressivité juste, dignes des meilleurs opéras de son époque.


Génie de la forme fuguée

Mendelssohn recycle sa maestrià comme compositeur de fugues et de chorals, dans le sillon tracé par Bach. Saint Paul commence en citant le choral du veilleur de Bach. Le compositeur a pu étudier de très près les manuscrits d’époque: Mendelssohn classe les partitions de l’ancienne bibliothèque musicale de Whilhelm Friedemann, l’un des fils de Jean-Sébastien, à la demande de son propriétaire, Carl Philp Heinrich Pistor. Divin maître des fugues, ainsi pourrait s’imposer Mendelssohn qui suscite sur ce plan l’admiration sans borne de Schumann, lequel se sentait moins inspiré que son confrère dans ce domaine. A Bach, Mendelssohn ajoute une parfaite connaissance des oeuvres de Beethoven. Ainsi que les parties fuguées de ses premiers Quatuors, composés en 1827, en témoignent.
Même ses Symphonies réutilisent ou s’inspirent de mélodies puisées dans le fonds sacré baroque. La Réformation est composée au moment où Mendelssohn dirige les répétitions de la Saint-Matthieu, en 1829. Son premier mouvement reprend comme le fera plus tard Wagner pour son Parsifal, l’Amen de Dresde, air éminemment catholique, quand son ultime mouvement cite un choral luthérien également célébrissime. La partition ne sera jouée qu’en 1832.
Ainsi aussi la Symphonie Lobgesang: créée en 1840 en l’église Saint-Thomas de Leipzig, (l’ombre de Bach n’est décidément jamais loin d’une oeuvre de Mendelssohn!), la partition commémore l’invention de l’imprimerie. Pour évoquer l’oeuvre de Gutenberg, Mendelssohn « réinvente » un choral mais à la façon contemporaine, dévoilant les forces de l’esprit contre l’obscurantisme antérieur à l’imprimerie naissante.


Israël en Egypte de Haendel: l’oeuvre fétiche

L’oratorio de Haendel que Mendelssohn affectionne particulièrement reste Israël en Egypte. D’autant que Félix est encouragé par son père Abraham dans cette oeuvre de défrichement. Le père est passionné par l’oeuvre du Saxon. L’art de Mendelssohn, haendélien convaincu et persuasif, lui permet de s’imposer entre autres au Festival du Bas-Rhin, dès 1833, à Düsseldorf. Repris en 1836 à Leipzig, l’oratorio de Haendel marqua un nouvel événement dans l’histoire de l’interprétation des oeuvres baroques: Mendelssohn « osa » restituer la partie originelle d’orgue… incroyable intuition visionnaire qui prélude à la révolution baroqueuse du XXème siècle. La Haendel Society de Londres lui commande ainsi en 1844, une version expurgée du Messie. Mais Mendelssohn préféra livrer une version critique de son oratorio favori, Israël en Egypte.
A y regarder de plus près, il semble que Haendel ait davantage inspiré Mendelssohn que Bach… Son Octuor (1825) cite dans le finale, un air du Messie. Naturellement le souffle des oratorios de Haendel l’encourage dans la composition de Saint Paul et d’ Elias. On sait que Wagner peu adepte du compositeur, aima ironiser sur sa piètre écriture en inventant même le mot « haendelssohnien », asservissant l’écriture de Mendelssohn comme une stricte allégeance à Haendel. Nouvelle jalousie et confirmation de l’antisémitisme de l’auteur du Ring…

Illustrations: Félix Mendelssohn Bartholdy, Carl Zelder, Georg Friederich Haendel (DR)

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