mardi 16 avril 2024

Félicien David: Quatuors à cordes n°1, 2, 4 (Quatuor Cambini, 2010)1 cd Ambroisie, Naïve

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L’orphelin David aimait le voyage et … la musique. La caravane en couverture laisse assez supposer un esprit séduit par les confins et une certaine idée d’un Orient aux visions et éblouissements spirituels, à réécouter aujourd’hui… D’une ciselure inouïe, les Cambini (sur instruments d’époque) défendent un répertoire difficile, en rien salonard et clinquant: plutôt original, d’une finesse magicienne que le présent album met en lumière.

Inspiré par les idées saint-simoniennes, Félicien David se rapproche de ses « frères » en pensée, également compositeurs et ardents romantiques: Berlioz, Mendelssohn, Liszt! Mais aussi Heine et Sainte-Beuve. Comme Delacroix, David a le choc de l’Afrique, en particulier il est ébloui par l’Egypte; cet Orient qu’il devait approcher et vivre comme une initiation spirituelle, s’avère extrêmement profitable pour l’épanouissement de son tempérament créateur.

Le Quatuor Cambini, fondé en 2007 par le premier violon et cofondateur du Cercle de l’Harmonie, Julien Chauvin, ressuscite ici 3 joyaux chambristes d’une absolue clarté… germanique, précisément viennoise: puissance de l’architecture, ampleur de construction, richesse harmonique et soin de l’accentuation disent tout ce que le Français universaliste et curieux, Félicien David né en 1810 (et mort 66 ans plus tard), doit en particulier à Schubert et Beethoven (rien de moins).

Du feu, de la flamme, un tempérament éloquent et ciselé… le Quatuor Cambini ne manque pas d’arguments pour nous faire découvrir et aimer la musique de chambre romantique telle que défendue par le très original Félicien David. Dans l’excellente notice de présentation signée Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, partenaire de la présente réalisation, tout un pan de la musique de chambre française resurgit avec l’acuité et la pertinence digne d’une excellente musique.


Chambrisme Second Empire

Selon la règle du duo, trio, quintette et donc quatuor français, dit « dialogué » ou « concertant » depuis la fin du XVIIIè, aucune mélodie n’est répétée à chaque instrument successivement; pour chaque partie, une ligne distincte, une intervention caractérisée et propre… dans l’esprit d’une conversation riche et élégante où chacun exprime sa pensée sans répéter celle de l’autre, d’aucune façon. Aux côtés des Quintettes pour 2 altos ou 2 violoncelles signés Boccherini, Cambini, Onslow et à la fin du siècle, Gouvy, les Quatuors à cordes, nombreux de Gossec, Cambini, Davaux, Onslow, David, jusqu’à Gounod et Saint-Saëns se détachent du modèle viennois, en particulier celui fixé par Haydn. Auteur à l’opéra, symphoniste, Félicien David mérite absolument la résurection défendue par les interprètes.

D’une subtilité dont il faut savoir goûter la saveur particulière, les Quatuor ici abordés selon les manuscrits conservés à la BNF, témoignent de la sensibilité néoviennoise d’un David particulièrement inspiré. Le Quatuor n°1 (1868), malgré sa coloration mélancolique de fa mineur, n’en est pas moins allant et même hyperactif, d’une caractérisation expressive proche d’Onslow (le Beethoven français), d’autant que selon l’esthétique dialoguée et concertante, chacun des instrumentistes est également sollicité; les instrumentistes veillent à la continuité flexible du discours volubile et toujours savamment coloré; l’Andante a cette finesse progressive, balancement et accomplissement à la fois, très proche de l’esthétique des salons du Second Empire, avec ce caractère de plus en plus éthéré, comme une mise à distance où l’effet du repli et de l’intimité agit idéalement; Bel humour du Scherzo qui suit et le finale, structuré à partir d’un bourdon d’esprit populaire, proche là encore des Haydn et Beethoven, met en lumière l’exquise imagination et la justesse expressive des Cambini, particulièrement à leur aise dans la finesse articulée et suggestive de ce leggiero en fa majeur.

Même ivresse élégante et si délicate dès le premier mouvement du Quatuor n°2 (légèrement plus tardif que le n°1, vers 1869); articulation, flexibilité, précision, raffinement dynamique… les Cambini se montrent irrésistiblement convaincants car il s’agit bien d’exprimer ce lâcher prise d’un David qui assimile avec brio et personnalité les modèles viennois (nervosité du coup de théâtre final au violon). Habités, les interprètes le sont tout autant dans l’introspection et la vitalité nostalgique d’une vie intérieure intense: c’est tout ce qui ressort du climat du mouvement lent, lyrique et retenu à la fois, en particulier dans l’énoncé des parties dialoguées entre premier violon et violoncelle. Belle rusticité populaire du Scherzo où brillent les parties solistiques du premier violon et du violoncelle. L’évocation d’un exotisme engageant mené bride tenue qui évoque la marche de la caravane, emprunté à l’opéra le Désert (d’où le visuel de couverture), jouant par atténuation progressive d’un effet d’éloignement fait tout le sel du Quatuor, l’un des plus enlevés de Félicien David; le voici, ce compositeur grand connaisseur de l’Egypte: les Cambini savent préciser le caractère facétieux et aussi élégant de cet épisode tout en nervosité et tension chorégraphique, d’une construction là encore plus savante et profonde qu’on pourrait le croire. C’est le fleuron et le joyau de l’album.

Les un peu plus de 7 minutes du Quatuor n°4, laissé inachevé en 1876, dévoile le tempérament d’un David, à la créativité puissante, jamais prévisible, à laquelle les instrumentistes savent apporter leur saine articulation; fluidité de chacun, entrain, humour, ivresse intérieure… et même fièvre collective défendant sans faiblir une tension électrique dont l’intensité rappelle Beethoven.

Félicien David, chambriste du Second Empire et de la IIIè République en sort lumineux, convaincant, essentiel. Voilà un nouveau jalon qui éclaire et enrichit notre connaissance de la musique romantique française à la fin des années 1860 et autour de 1876… année pleine de curiosités stimulantes décidément: de la même période date la Symphonie Romantique (d’ascendance wagnérienne) d’un autre talent à redécouvrir absolument, Victorin Joncières, lui aussi dévoilé grâce au concours du Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française. L’exploration des joyaux oubliés du romantisme français trouve ici une superbe réalisation (pour nous, à l’égal des Quatuors d’Onslow par les Diotima).

Félicien David: Quatuors n°1, 2, 4 (Quatuor Cambini, 2010). 1 cd Ambroisie, Naïve. 56 mn. Enregistrement réalisé à Paris en septembre 2010.

Illustrations: Félicien David, deux portraits (DR)
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