Fervente, extatique: D’Oustrac au sommet
D’emblée le lamento, ample récitativo tragico-terrifié, ciselé sur le fil d’un acier incandescent saisit par la tenue de la mezzo : la cantatrice doit sa qualité éloquente à une valeur qui a été particulièrement travaillé: l’articulation linguistique. Cavalli dans sa Didone (1641), prolonge l’exemple de son maître, Monteverdi (celui contemporain des accomplissements vénitiens majeurs que sont Poppea et Ulisse): l’inconsolée abandonnée d’Enée se donne la mort et abandonne elle-même Carthage avec une ampleur sombre et rude, voire âpre et rugueuse qui donne vie au verbe tumultueux d’un long récitativo.
A l’amoureuse cavallienne qui plonge dans la mort pour mieux rejoindre l’aimée, Stéphanie D’Oustrac fait correspondre dans ce récital thématique la délirante Reine, blessée et extatique, douloureuse et aussi éperdue selon le personnage d’Alessandro Scarlatti (Didone delirante créée à l’extrêmité du siècle en 1696) dont le dialogue intérieur avec la viole de gambe se fait spasme serein mais obsessionnel qui ne peut s’interrompre que par le sommeil… avant d’éclater en vaine fureur et impuissante haine dans le second air (Furie, III).
Belle révélation que cette cantate métastasienne (du début du XVIIIè) a voce sola signée Michelangelo Faggioli sur le thème fédérateur de Didon abandonnée par Enée: l’abattage de l’actrice, son engagement vocal fulminent en particulier dans le dernier air (« Se non puo seguirti il piè… », plage 17).
D’ailleurs, il est très juste d’achever le récital par deux airs majeurs de la passion baroque; le premier signé Monteverdi; le second, de Purcell: Il Pianto della Madone (1641), même dans un autre contexte, celui-là sacré (lamentation de la Mère devant son Fils sacrifié expirant)… La chanteuse sait calibrer entre clarté et pointes expressives, balancées par l’extase doloriste de la Sainte Mère, les crêtes du texte, l’un des plus bouleversants légués par le grand Claudio. Puis, se réalise avec la même évidence funèbre, la même grandeur ultime et crépusculaire (accompagné au début par le seul archiluth) le lamento plus tardif de Purcell pour Didon (Didon et Enée, 1689), dernier écho des scintillements incroyablement ourlés et profonds du grand Claudio en terre britannique. Les couleurs de la voix trouvent l’intonation juste, d’une simplicité défaite, aux lueurs déjà d’outre tombe, celles d’une âme qui au moment de se lamenter, a déjà passé le styx. Magistrale incarnation. Reconnaissons aux instrumentistes qui accompagnent la diva française du Baroque sublimé, une sensibilité complice de tous les instants.
Ferveur & Extase. Airs et partitions de Cavalli, Rossi, Alessandro Scarlatti, Faggioli, Strozzi, Marini, Monteverdi, Purcell. Stéphanie D’Oustrac, mezzo soprano. Amarillis.
1 cd Ambronay éditions. 3 760135100279,
1h04mn,
enregistrement réalisé en Septembre 2010
à Jujurieux (France).