Hein Mulders, directeur de l’Opéra de Cologne pilote avec panache et dynamisme l’une des maisons lyriques les plus prestigieuses d’Allemagne. C’est sa 2ème saison. L’activité est multiple : elle sait préserver un bel équilibre en programmant grandes œuvres du répertoire, créations et œuvres contemporaines, mais aussi proposition régulière et spécifique pour le jeune public grâce à son opéra pour les enfants, véritable compagnie d’opéra dans la Maison colonaise. Les défis sont tout aussi nombreux : maintenir constant le lien avec le public et aussi proposer des spectacles techniquement cohérents et dans des conditions d’accueil et de confort optimales, d’autant que l’Opéra étant en rénovation, tous les spectacles ont lieu dans un site encore tansitoire : la StaatenHaus.
Quels sont les temps forts à venir en 2024 ? Quelle est la place des ouvrages et des artistes français dans la programmation ? Le travail avec le chef François-Xavier Roth, des partenariats déjà fructueux avec le Festival d’Aix-en-Provence à l’Opéra-Comique à Paris… nourrissent une collaboration intense avec la France. A l’image de la production des très rares Soldaten (Les Soldats) de BA Zimmerman, actuellement à l’affiche de l’Opéra de Cologne (18 janvier) au moment où nous réalisons l’entretien, production qui passe ensuite à Hambourg (21 janvier 2024) et à la Philharmonie de Paris (28 janvier 2024).
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CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous évoquer votre coopération avec les artistes français, en particulier les metteurs en scène ?
HEIN MULDERS : Les metteurs en scène français sont régulièrement présents au sein de notre maison. Vincent Boussard a réalisé ici même Giulio Cesare (mai 2023) dans un décor très esthétique (avec en outre des costumes de Christian Lacroix) produisant un spectacle à la fois beau et fort. Il sera repris en 2024 / 2025. Le Vaisseau fantôme de Benjamin Lazar (avril et mai 2023) présentait un dispositif très particulier, où l’orchestre prenait place dans un grand bateau sur scène ; ce qui n’a pas manqué de poser des problèmes de projection du son… finalement résolus. François-Xavier Roth a présenté l’œuvre à l’Opéra de Cologne ainsi qu’au Festival de Pâques d’Aix en Provence ; plus tard, des représentations en concert ont eu lieu à Tourcoing et au TCE à Paris avec son orchestre Les Siècles. Enfin le Hansel et Gretel de la française Béatrice Lachaussée a été repris avec François-Xavier Roth pour les fêtes de Noël 2023, car c’est un spectacle idéal pour cette période. Photo : portrait d’Hein Mulders © Felix Broede.
CLASSIQUENEWS : Et qu’en est-il de votre collaboration avec le chef François-Xavier Roth ?
HEIN MULDERS : C’est une formidable aventure qui se poursuit ; nous venons d’achever le cycle Berlioz avec les fabuleux Troyens (sept – oct 2022). Le premier opéra fut Benvenuto Cellini, suivi de Béatrice et Bénédict ; il manque La Damnation de Faust. Quand l’Opéra a affiché Les Troyens, je venais de prendre mes fonctions ; c’est un ouvrage très ambitieux voire lourd à monter. Pour autant la mise en scène de Johannes Erath ne manque pas d’humour ; il a imaginé une troupe de comédiens qui incarnent les dieux, surtout leur dégénérescence. Leur chute s’accompagne avec l’avènement des hommes. Cela apporte de la clarté et aussi de la légèreté à l’action. La collaboration avec François-Xavier Roth se poursuit avec d’autant plus d’intensité ; voilà pour ma part 3 années que je travaille avec lui ; la clarté de ses intentions est un atout majeur ; il sait ce qu’il veut et l’exprime précisément, ce qui dans bien des cas est très appréciable. En 2023 / 2024, notre collaboration comprend 3 rendez-vous : 2 reprises (Hansel et Gretel, donné l’hiver passé, et Faust ; puis la création mondiale INES (INES est ici non pas une prénom mais un acronyme, juin / juillet 2024). En 2025, nous reprenons le principe d’un triptyque avec 3 grandes productions : une création et 2 ouvrages importants du répertoire.
Hein Mulders, directeur de l’Opéra de Cologne © Felix Broede
CLASSIQUENEWS : Vous avez développé des partenariats avec plusieurs institutions musicales françaises importantes. Lesquelles et de quoi s’agit-il?
HEIN MULDERS : A l’international, nous poursuivons notre partenariat avec le Festival d’Aix-en-Provence ; cela comprend 3 productions : ainsi Le Couronnement de Poppée (ici même à partir du 5 mai 2024) que Ted Huffman a présenté et créé à Aix à l’été 2022 ; puis la reprise du dernier opéra de George Benjamin, créé l’été dernier (2023) : « Picture a day like this » ; enfin en 2025, nous envisageons une nouvelle grande création…
Nous développons nos actions croisées avec l’Opéra-Comique à Paris et reprendrons ainsi Les Mamelles de Tirésias couplées avec Le Rossignol dans la mise en scène d’Olivier Py sous la direction de François-Xavier Roth. La production sera une surprise – heureuse je l’espère, pour notre public en 2025.
Plusieurs de nos productions maisons se déplacent jusqu’en France; ainsi Les Soldats de Zimmerman, après être donnés ce jeudi 18 janvier à Cologne, sous la direction de François-Xavier Roth (mise en scène : Calixto Bieito), seront accueillis à la Philharmonie de Paris, le 28 janvier suivant. La production a été conçue pour se déplacer dans les salles de concert. Elle tournera également à Hambourg (ElbPhilharmonie, le 21 janvier). C’est une œuvre colossale qui exige un orchestre impressionnant (le Gürzenich-Orchester Köln).
CLASSIQUENEWS : Quelle est votre action en faveur des jeunes interprètes ?
HEIN MULDERS : L’Opéra de Cologne soutient l’émergence et la professionnalisation des jeunes chanteurs à travers son studio d’opéra (« Internationales Opernstudio »), le plus ancien d’Allemagne, lequel remonte aux années 1960. Il s’agit d’une formation qui dure 2 ans dont l’issue est l’entrée dans le métier. Les promotions sont internationales. Tous sont associés à la programmation officielle ; ils participent aussi activement aux productions présentées dans le cadre de l’Opéra des enfants (Kinderoper) qui est une compagnie à part entière au sein de notre Maison.
CLASSIQUENEWS : Le jeune public et l’opéra pour les enfants sont d’autres axes majeurs de votre activité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
HEIN MULDERS : Notre opéra pour les enfants est une maison de production à part entière ; c’est un théâtre dans le théâtre ; la salle compte à peu près 200 places ; elle se prête tout autant aux concerts de musique de chambre ou d’opéras contemporains de forme réduite. Nous passons commande aux compositeurs d’aujourd’hui pour créer de nouveaux ouvrages destinés aux enfants, ainsi « Romeo und Julia » (d’après Roméo et Juliette de Shakespeare) de Boris Blacher est un opéra de chambre (« Kammeroper ») à l’affiche à partir du 24 février 2024. A travers notre programme « Community opera », nous offrons aux enfants la possibilité de composer et d’écrire leur propre opéra, sur les sujets qui les intéressent (l’amour, la nature, les problèmes d’identité…). Chaque projet est réalisé sur 2 années pendant lesquelles les enfants sont encadrés et accompagnés par une équipe pédagogique spécifique qui les aide et les encourage.
CLASSIQUENEWS : Le public est-il totalement revenu depuis la crise sanitaire ?
HEIN MULDERS : Le retour du public après la crise sanitaire reste difficile. Les spectateurs aiment toujours venir à l’opéra, mais ils se décident au dernier moment. La souscription aux abonnements suscite moins d’adhésion ; plutôt que de s’engager à long terme, le public se décide à la carte selon les offres visibles et accessibles. De plus le système de « stagione » (et non de répertoire) propre aux maisons d’opéras en l’Allemagne n’aide pas ; avec des dates de représentations éclatées dans le temps, beaucoup de spectateurs se disent qu’ils viendront plus tard, après la première, au risque d’oublier ensuite… Notre production de La Veuve Joyeuse, un standard idéal pour les fêtes de fin d’année a connu un creux d’audience tout de suite après la première début décembre, puis après, entre Noël et le Jour de l’An, tous les soirs étaient pleins et vendus en totalité. Tout cela doit être pris en compte. Plus que jamais nous devons entretenir le lien avec nos publics.
CLASSIQUENEWS : Quand inaugurerez-vous l’Opéra de Cologne flambant neuf ?
HEIN MULDERS : Notre grande attente aujourd’hui reste la fin du chantier de rénovation de l’Opéra… qui dure depuis plus de 12 ans à présent. Actuellement nous réalisons notre saison au sein de la StaatenHaus ; il nous tarde de réinvestir notre Maison, ne serait-ce que pour des raisons techniques et d’organisation. A l’occasion de l’inauguration officielle du bâtiment, que nous espérons à l’automne 2024 (septembre ou octobre probablement), le public pourra redécouvrir son opéra sur la Offenbachplatz. Nous avons aussi le projet d’ouvrir après les spectacles le soir, la cantine du théâtre aux spectateurs, qui pourront ainsi boire un verre, ou dîner, tout y en rencontrant les artistes et les équipes du Théâtre.
La StaatenHaus © Matthias Jung
Opéra de Cologne / Oper Koeln
7 productions à venir et
à ne pas manquer
CLASSIQUENEWS : Pour conclure notre entretien, présentons ensemble les productions importantes à venir, à ne surtout pas manquer en 2024, à l’Opéra de Cologne :
Idomeneo (17, 22, 25, 28 février, 2, 8, 10, 13 mars 2204)
Il s’agit d’un chef d’œuvre de Mozart à mon avis pas assez joué ni réellement compris à sa juste mesure par le grand public, comme le sont les opéras conçus avec Da Ponte, ou Die Zauberflöte (La Flûte enchantée), lesquels sont plus connus et joués régulièrement ; certes Idomeneo peut paraître long ; et sa forme « seria » peut impressionner… mais c’est l’un des opéras où le chœur (comme l’orchestre) prend une place saisissante. De plus le sujet est actuel en mettant en scène des peuples en conflit, ce qui rentre en résonance directe avec notre actualité. Le metteur en scène Floris Visser a déjà impressionné dans sa lecture de La Bohème, présenté récemment à Glyndebourne (2022). Plus d’infos sur Idomeneo : https://www.oper.koeln/de/programm/idomeneo/6684
Faust (3, 7, 9, 15, 17 mars 2024)
Début mars 2024, la reprise du Faust de Gounod atteste de la place du répertoire français ; la première de cette production s’est faite pendant la crise du covid dans le respect des normes sanitaires ; il était important de la redonner dans des conditions normales post-covid. François-Xavier Roth a choisi comme à son habitude la version originelle de l’œuvre (c’est pourquoi par exemple, il n’y a pas le fameux air de Valentin « Avant de quitter ces lieux… », que Gounod a ajouté par la suite) ; c’est une version plus dense et qui comporte à son début, plus de 30 mn de dialogues parlés (en français donc). C’est l’occasion de (re)découvrir l’ouvrage dans sa version d’origine. De surcroît dans la mise en scène de Johannes Erath qui a réalisé celle de nos mémorables Troyens… Plus d’infos sur Faust : https://www.oper.koeln/de/programm/faust/6699
Tosca (24, 28, 30 mars, 3, 5, 7, 11, 13 avril) – reprise
https://www.oper.koeln/de/programm/tosca/6725
Un Ballo in maschera (14, 20, 24, 26, 28 avril, 2, 4 et 10 mai 2024)
L’ouvrage fait partie des opéras qui n’avaient pas été représentés à Cologne pendant la dernière décade. C’était aussi le cas de La Femme sans ombre (Die Frau Ohne Schatten) qui a ouvert notre nouvelle saison 2023-2024. Pour ce Ballo in maschera, les spectateurs retrouvent une baguette devenue familière celle de Guiliano Carella, et la mise en scène de Jan-Philipp Gloger, particulièrement esthétique. JP Gloger dirige le Théâtre de Nuremberg, son travail est d’autant plus convaincant qu’il respecte les chanteurs. Plus d’infos sur Un Ballo in maschera : https://www.oper.koeln/de/programm/ein-maskenball/6736
L’Incoronazione di Poppea (5, 9, 12, 15, 18, 20, 22, 24, 26, 30 mai et 2 juin 2024)
Notre budget nous permet actuellement de réaliser les décors de 3 productions dans nos propres ateliers. En complément, 2 autres productions sont conçues en coproduction… c’est le cas de cette Incoronazione di Poppea mis en scène par Ted Huffman et qui vient d’Aix en Provence). Cette production de l’Incoronazione est sensuelle et très équilibrée ; des coupures très bien réalisées, renforcent l’action. La distribution est elle aussi emblématique de notre programmation en regroupant des chanteurs français (Elsa Benoît dans le rôle-titre et le contre-ténor Paul Antoine Bénos-Djian dans celui d’Ottone, avec de jeunes chanteurs locaux et étrangers qui sont tout aussi convaincants vocalement comme crédibles visuellement. Plus d’infos sur l’Incoronazione di Poppea / Le Couronnement de Poppée : https://www.oper.koeln/de/programm/die-kronung-der-poppea/6753
Les Pêcheurs de perles (9, 11, 20 juin 2024), en concert
INES, création mondiale (16, 22, 26, 28, 30 juin puis 3 juillet 2024)
Les deux ouvrages ont été programmés ensemble, sur la même période : ils sont complémentaires en proposant une œuvre du répertoire particulièrement séduisante (Les Pêcheurs de perles de Bizet, en version de concert) et un temps fort de notre saison, la création mondiale d’INES d’Ondřej Adámek. C’est une version contemporaine d’Orphée et Eurydice transposée à l’époque nucléaire. Les personnages principaux nommés par les initiales « O » et « E » évoquent un situation apocalyptique où l’homme qui a perdu sa femme, tente d’évoquer sa présence en se remémorant le passé, ce qu’il a vécu avec elle ; c’est à la fois poétique et tragique, désespéré et profondément humaniste, … expérimental aussi, en cela emblématique de l’imaginaire du compositeur, entre désolation et séduction. L’œuvre fait la part belle aux chœurs, placé dans le décor.
Propos recueillis par Philippe-Alexandre Pham en janvier 2024
TOUTES LES INFOS, LES OPÉRAS A L’AFFICHE DE LA NOUVELLE SAISON 2023 – 2024 de l’Opéra de Cologne – OPER KÖLN ici : https://www.oper.koeln/de/