dimanche 19 janvier 2025

ENTRETIEN avec BRUNO MANTOVANI à propos de son nouvel opéra : « Voyage d’Automne », création mondiale, à l’affiche du Capitole de Toulouse du 22 au 28 nov 2024

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Pour son 3ème ouvrage lyrique, Bruno Mantovani (né en 1974) aborde un thème qui lui est cher : le rapport de la création et du pouvoir, en particulier autoritaire. « Voyage d’Automne », à travers le séjour de 5 écrivains français dans l’Allemagne nazie, évoque l’aveuglement assumé et l’allégeance commode, le confort préservé … d’une indécence partagée. L’auteur explique les sujets qui l’intéressent (les mécanismes psychologiques à l’œuvre), comme les formes opératiques qui l’inspirent. Figure allégorique de la poétesse, orchestration, structure dramatique, moment de bascule…
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Photo portrait de Bruno Mantovani © Caroline Doutre
Toutes les photos de la production du Voyage d’hiver de Bruno Mantovani au Théâtre national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Qu’est ce qui vous a inspiré particulièrement dans le sujet de ce nouvel opéra ?

BRUNO MANTOVANI : Le sujet offre tout ce que j’aime à l’opéra ; c’est une intrigue historique, d’après des faits réels et plusieurs sources dont le livre de François Dufay, qui porte le même titre « Le Voyage d’Automne ». Il y a tous les ingrédients d’un drame lyrique complet : des caractères très incarnés (pour moi c’est une priorité), à travers les échanges des 5 écrivains ; une trajectoire (le voyage évidemment des protagonistes dans l’Allemagne nazie) ; des intrigues mêlées, de pouvoir, amoureuses ; des coups de théâtre… ; j’y exploite la « caisse à outils » léguée par les compositeurs lyriques qui ont précédé, en assumant totalement la forme du « grand opéra » que j’aime. En réalité tout se déploie dans le sens de la représentation ; tout s’inscrit dans l’action théâtrale et dramatique. La veine qui est la mienne n’est pas celle de l’imaginaire musical, où tout est suggéré plutôt que montré, comme celui du lied ; l’opéra, c’est l’action et le drame représenté. Voilà la forme qui m’intéresse.
Je me souviens des cours de mon professeur Rémy Stricker au Conservatoire de Paris ; l’histoire musicale nous apprend que les compositeurs sont, soit opératiques, soit suggestifs, soit pour le théâtre et la représentation, soit pour l’univers de la poésie et de la suggestion. On constate que la plupart sont l’un ou l’autre, et rarement les deux ; voyez Beethoven ; il s’affirme à l’opéra moins dans les lieder ; c’est l’inverse pour Schubert et Robert Schumann. Je me suis longtemps interrogé sur ma propre sensibilité. Quelle forme, quelle direction défendre ? « Voyage d’automne » s’inscrit clairement dans la représentation ; c’est ma réponse.

 

CLASSIQUENEWS : De quelle façon votre nouvel opus lyrique s’inscrit-il par rapport aux précédents ?

BRUNO MANTOVANI : Avec le recul et sans que j’en ai fait le projet préalable, « Voyage d’automne » est un nouvel ouvrage qui comme les deux précédents, traite de la tyrannie. Il interroge la relation entre la création et un pouvoir autoritaire. Dans « Akhmatova » (2011), il s’agissait d’évoquer la poétesse Anna Akhamtova au temps de Staline ; « L’Autre côté » créé à Strasbourg (2006) est une fable fantastique dont le héros est un graveur dans une société qu’il pense idéale et qui est, en réalité une tyrannie. L’autoritarisme est un sujet qui me parle ; le sujet croise ma propre histoire ; mes grands parents ont fui le franquisme. A toutes les époques, le pouvoir despotique interdit les artistes et les créateurs. Sauf à les manipuler. Ce que « Voyage d’Automne » illustre aucune sans ambiguïté.
De fait, l’enchaînement des ouvrages se présente comme un triptyque. Pourtant tout cela s’est réalisé sans plan d’origine. Le sujet central du pouvoir autoritaire et de la création me concerne profondément ; cela explique probablement que je sois si touché et inspiré par ce thème. D’ailleurs, je peux vous avouer qu’au moment où les dernières répétitions s’achèvent avant la prochaine création, je reste choqué par ce que j’ai écris. Je sors de son écoute (je l’ai écouté déjà 3 fois dans la continuité), très troublé et ému. C’est une œuvre qui ne laisse pas indemne.

 

CLASSIQUENEWS : Qu’exprime et montre « Voyage d’automne » sur scène ?

BRUNO MANTOVANI : Les 5 écrivains sont des courtisans ; leur complaisance au régime nazi est le fait d’égo qui négocie dans le sens de leur intérêt personnel. Ils sont tous autocentrés et n’hésitent pas à fermer les yeux sur ce qui ne les avantage pas ou les gêne. Ce que l’opéra exprime ouvertement dans la scène où leur train passe à côté d’une fosse où les nazis réalisent un massacre de juifs. A ce moment précis, j’ai composé un quintette a capella où chacun, sans ambiguïté, ferme les yeux pour ne pas voir ce qu’ils ont tous compris. L’œuvre dénonce cette indécence, et les mécanismes psychologiques qui mènent à cette allégeance assumée.
Avec Dorian Astor, l’auteur du livret, nous avons créé un personnage inventé, la poétesse qui s’inspire d’une réelle poétesse gazée à Auschwitz (mais postérieure au moment où se passe l’action de « Voyage d’Automne »). La poétesse est une figure allégorique qui paraît 3 fois pendant l’action. Elle est d’abord silencieuse puis chante. C’est elle qui rétablit la place de l’humanité et de la fraternité dans un monde qui en totalement dépourvu.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Quelle en est l’écriture musicale ?

BRUNO MANTOVANI : Sur le plan de la forme, j’assume les éléments traditionnels de l’écriture opératique : airs, récitatifs, dialogues, ensembles (comme le quintette vocal dont j’ai parlé, juste après le massacre des juifs) ; j’ai même écrit un récitatif arioso et une cabalette… La structure de l’ouvrage est « classique », composé de 12 tableaux ; chacun des 3 actes est composé de 4 tableaux. J’aimerai citer à nouveau mon professeur Rémy Sticker qui ne cessait de souligner l’efficacité des moyens mis en œuvre par Mozart par exemple, dans ses opéras. C’est une formidable « boîte à outils » comme je l’ai dit, que l’on aurait tort de mettre de côté.

 

CLASSIQUENEWS : Et l’orchestration ?

BRUNO MANTOVANI : Orchestralement, la partition n’est pas écrite pour un grand effectif. L’orchestre est par 2, sans tuba ; avec harpe, percussions, piano, et aussi un accordéon que je souhaitais pour sa couleur nostalgique. Il en ressort un effet de résonance ; l’écriture orchestrale favorise la diversité, les contrastes comme la grande caractérisation de chaque tableau.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y-a-t-il un point de bascule dans la continuité du drame ?

BRUNO MANTOVANI : Le point de bascule se situe justement au moment de la scène de massacre dont j’ai parlé. Les deux premiers actes sont d’action ; ils permettent d’exposer le contexte, les caractères. Avec l’acte III qui commence avec le massacre, l’opéra est plus psychologique ; c’est le moment où Drieu la Rochelle évoque son suicide. L’acte IV réalise le commentaire de ce qui s’est passé au cours des actes précédents.

 

Propos recueillis en novembre 2024

 

 

 

Toutes les photos de la production du Voyage d’hiver de Bruno Mantovani au Théâtre national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

 

 

présentation / annonce

LIRE aussi notre présentation du Voyage d’hiver, nouvel opéra, création mondiale de Bruno Mantovani à l’affiche du Capitole de Toulouse, du 22 au 28 nov 2024 :
https://www.classiquenews.com/opera-national-du-capitole-de-toulouse-bruno-mantovani-voyage-dautomne-creation-mondiale-du-22-au-28-novembre-2024-marie-lambert-le-bihan-pascal-rophe/

 

OPÉRA NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE. Bruno MANTOVANI : Voyage d’Automne, création mondiale (du 22 au 28 novembre 2024) Marie Lambert-Le Bihan / Pascal Rophé

 

 

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