Hommage à Pierre Boulez en sa ville natale
Montbrison (42). Du 13 au 18 juin 2011
Hommage à Pierre Boulez en sa ville natale. E.O.C. (Daniel Kawka), répétitions publiques et concert. Cela s’était déjà produit pour un anniversaire du Maître : au solstice de juin 2011, Pierre Boulez revient à Montbrison, où lui est rendu un nouvel hommage par l’Ensemble Orchestral Contemporain que dirige Daniel Kawka. Des répétitions publiques – dont l’une verra le compositeur commenter pour les spectateurs l’une de ses partitions, Dérive 2 – précéderont un grand concert, et l’enregistrement d’un disque de Mémoriale et de Dérives 1 et 2.
Et plus que l’air marin la douceur du Lignon…
« On connait la chanson… des imbéciles heureux qui sont nés quelque part », Et puis en remontant 5 siècles, avec adaptation de Du Bellay : « Quand reverrai-je hélas de mon petit village Fumer la cheminée… ? (car plus me plaît) ma Loire en Forez que la Seine à Lutèce, Plus mon cher Montbrison que le Mont Appalache Et plus que l’air marin la douceur du Lignon. » Cette mirlitonesque transposition plairait-elle à l’enfant du pays que Montbrison s’apprête à célébrer une fois encore, en mi-juin ? Il n’est sans doute pas interdit de s’ amuser un peu lors d’un nouveau retour de Boulez dans sa ville natale, 70 ans après son départ vers Lyon (les Math Spé) puis vers la Capitale d’avant la Libération, et son entrée irrévocable dans les Ordres de la Musique…
La ligne de crête verte et bleue
On imagine d’ailleurs que pour le plus pudique et antimémorielintime des compositeurs français, il importe peu d’évoquer « l’enfance d’un chef » (d’orchestre, d’école et de pensée),évidemment sans connotation sartrienne, à plus forte raison de tisonner le « misérable petit tas de secrets » , selon la formule de son (anti)ami de 45 ans, Malraux. Il n’empêche : la présence de Pierre Boulez quelques jours à Montbrison autorise à rêver un peu, même s’il s’agit pour l’illustre enfant de la Cité forézienne d’une activité qui en public se traduira – entre autres – par un commentaire pendant répétition orchestrale. S’enhardirait-on alors jusqu’à profiter de la circonstance festive en questionnant le Maître de façon plus personnelle, car il y a des coulisses à l’Espace Poirieux, puis des cafés sur le Tour de Ville, et au-delà s’étendent au nord-est la campagne qui côté-plaine tire le regard vers le territoire où Honoré d’Urfé fit batifoler Céladon en quête d’Astrée, à l’ouest, côté-montagne, la ligne de crête verte et bleue des Monts du Forez qui sont au couchant pour Montbrison les « Monts du Soir » … ? Un spécialiste de la titrologie boulézienne ne pourrait-il alors (s’)interroger sur la série des Anthèmes qui parsèment l’œuvre, et ne font peut-être pas seulement allusion formelle à ce terme d’antiquité qui voyagea en Angleterre post-médiévale. Car si on regarde une carte de la Loire, n’aperçoit-on pas un Saint-Anthème, bourg du Livradois sur le versant auvergnat des Monts du Soir, qui serait témoin inattendu, en subconscient, de quelque réminiscence enfantine nichée dans la conscience pourtant si rationnelle d’un Pierre Boulez adepte du « par volonté et par hasard » ? Hasardez donc in petto de telles hypothèses, si vous avez peur que le haussement de sourcils puis d’épaules et de voix du Commandeur vous anéantisse !
Joli Navet et Clairon Dindon
Oui, il n’empêche. Le vieil homme sage (en une « sérénité (dé)crispée » que lui aurait souhaitée René Char) a peut-être ici été l’ « adolescent souffleté » que décrivit le poète, parant « les coups qui l’envoyant au sol le lançaient en même temps loin devant sa vie…. Jusqu’au moment où la nécessité de rompre disparue, il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort »….Encore Char dans le Poème pulvérisé : » Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». Et celui qui commencerait bien vite une carrière de polémiste et d’imprécateur n’allait-il pas répondre coup pour coup à des critiques imbéciles qui encore à la fin des années cinquante diraient d’une de ses œuvres : « C’est la symphonie qu’on entendrait dans un asile d’aliénés si on distribuait 17 instruments aux internés », ou « La musique de M.Boulez assassine l’oreille, hébète l’esprit » (Bernard Gavoty, signant Clarendon, et aussitôt rebaptisé par sa « victime » : Clairon-Dindon)… L’attaque préventive étant la meilleure des défenses , on entendit aussi Boulez railler André Jolivet sous le pseudo de Joli Navet, décrire la Turangalila de son Premier Maître Messiaen (tôt renié) comme une « musique de bordel », exécuter la musique concrète , « ce travail d’amateurs en pèlerinage qui fait concurrence aux fabricants d’effets sonores pour les films américains »… Et surtout, au-delà du limite-insulte parfois amusant, trancher du plat de la main (comme on aime à diriger) en légiférant pour une esthétique-matraque : « Tout musicien qui n’ a pas ressenti la nécessité du langage dodécaphonique est inutile ».Quitte à revenir plus tard pour sinon nuancer (ce n’est pas le genre de la Maison), du moins réévaluer certains jugements péremptoires de valeur sur les compositeurs (mais Tchaikowski, Chostakovitch ou Britten ne sortiront pas de la moulinette qui les avait broyés), voire les mouvements qu’il n’aimait pas.
« De la corruption dans les encensoirs », avait titré un jour le Maître, ultérieurement confronté – de par son Pouvoir institutionnel redoutable, après le très long exil hors de France – au manège irritant de ceux qui balancent l’encensoir devant les autels de la Divinité dont il est bon de gagner les faveurs…
Art, science et artisanat
Bon, Pierre Boulez est né en 1925, et à l’orée de la 1ère décennie du XXIe , il reste surtout l’un des compositeurs déjà le plus manifestement inscrits dans l’histoire musicale du XXe, et qui travaille encore, ne fût-ce qu’en reprenant sans cesse les proliférations formelles de chaque œuvre (définitivement) ouverte…L’auteur des 3 Sonates pour piano, du Marteau sans maître, de Pli selon Pli, d’Explosante Fixe, de Rituel, de Répons, des Anthèmes, des Notations… Le théoricien qui avait très tôt décidé qu’il fallait « penser la musique aujourd’hui », écrire ses « Relevés d’apprenti », et répondre à la question sur la définition de la musique : « Un art, une science, et un artisanat » (« furieux », ajouteraient les connaisseurs, qui célèbrent aussi l’amabilité contagieuse du chef avec ses musiciens)… Le chef d’orchestre internationalement reconnu pour son exploration lumineuse des univers de Mahler à nos jours… Le fondateur et longtemps pilote d’institutions comme l’IRCAM et l’Intercontemporain, qui marquent la France et l’Europe de notre époque, et se sont parfois ouvertes à des pensées pourtant « divergentes » (ainsi Kurtag, pour les aînés, et des « jeunes » compositeurs en rupture, voire sans allégeance).Le musicien qui, fût-ce en « pulvérisant la langue poétique et l’asservissant à son désir créateur », a uni Mallarmé, Char, Cummings ou Michaux au « pays fertile » de Klee, quelque part « entre centre et absence »…
A Montbrison, l’Ensemble Orchestral de Daniel Kawka donne en concert deux Dérives : celle de 1984, ultra-brève, celle, très longue, de 1988 (reprise en 2006), « étude sur les périodicités, selon le principe de germination placé au cœur de l’œuvre, sur le temps musical et la polyrythmie ». Et une courte Mémoriale (1985), hommage (comme le fut Rituel pour Bruno Maderna) d’amitié au flûtiste de l’Intercontemporain, Larry Beauregard, « modèle de ce que devrait être idéalement tout musicien du futur ». Implanté dans la Loire depuis 20 ans, l’E.O.C. , selon une pratique de pédagogie qu’il mène sur le terrain, ouvre 4 de ses répétitions (la 4e étant celle où Pierre Boulez dialogue en public), et continuera le travail pendant plusieurs jours en enregistrant les Dérives et Mémoriale qui sortiront au disque (chez Naïve) probablement début 2012.
Hommage à Pierre Boulez (né en 1925), à Montbrison (42), du 13 au 18 juin 2011. Répétitions publiques : Dérive 1, mardi 14, 14h30 ; Mémoriale, mercredi 15, 10h ; Dérive 2, mercredi 15, 14h30 ; Dérive 2, en présence et commentaire de Pierre Boulez, vendredi 17, 18h. Concert, samedi 18 juin, 20h30. Espace Guy Poirieux, Montbrison (42). Réservation et information : T. 04 77 96 08 69 ; 04 72 10 90 40 ; www.eoc.fr