El Concerto Criollo
œuvres vocales et instrumentales
du XVIIe ibérique en Amérique Latine
Lyon,
Les 30 novembre, 2 et 3 décembre 2008
Concert de l’Hostel Dieu
On n’est pas obligé de connaître l’œuvre de Gaspar Fernandes, un Portugais qui à la toute fin du XVIe partit en Amérique Latine fondre sa culture musicale catholique dans le creuset de « là-bas ». Six de ses partitions et neuf de son « courant » sont donc données par Le Concert de l’Hostel Dieu, qui a travaillé à la restitution de ce qui sommeillait dans les bibliothèques du Mexique ou du Portugal…
Du côté de la Lagune
Filomeno, Domenico, Antonio et Georg Friedrich du côté de la Lagune. « Je suis de plus en plus fatigué des sujets à Orphées, Apollons, Didons et Galatées ! Il faudrait chercher des sujets nouveaux, d’autres pays. Il souffle un vent nouveau, le public en aura bientôt par-dessus la tête des nymphes fidèles, des chevriers sentencieux, des divinités maquerelles… » – « Pourquoi n’écrivez-vous pas un opéra sur mon aïeul Salvador Golomon, insinue Filomeno. Avec décor de plages et de palmiers. » Le Saxon et le Vénitien éclatèrent de rire. « Qui a vu un nègre protagoniste d’un opéra ? dit le Saxon. Les nègres sont bons pour les mascarades et les intermèdes. » « De plus un opéra sans amour n’est pas un opéra, dit Antonio, mais les amours d’un nègre et d’une négresse feraient rire ; et ceux d’un nègre et d’une blanche sont impossibles, du moins au théâtre… »
Vous rappelez-vous le merveilleux récit tout en dérapages temporels d’Alejo Carpentier, Concert Baroque ? On y suit les pérégrinations en Europe d’un noble Mexicain et de son domestique noir Filomeno, descendant d’esclaves ; tous deux rencontrant à Venise un musicien saxon (Haendel) et deux compositeurs italiens (Scarlatti, Vivaldi) philosophent sur le choc des cultures. Allez, un petit conseil d’ami internautique : avant de vous rendre au concert « El concerto criollo », (re)lisez le bref et fulgurant chef-d’œuvre de Carpentier : cela « se passe » un bon siècle après les musiques sorties des manuscrits d’Oaxaca et Coïmbra, la colonisation y est espagnole et non portugaise, mais sous les rires et les grimaces des personnages et avec le style éblouissant du narrateur cubain surgissent les grandes et souvent terribles interrogations sur le rôle de l’Europe dans ses impitoyables commerce triangulaire ou soumission de l’Amérique. Et sur des séquelles culturelles, qui toutes ne furent pas funestes, en particulier pour la musique.
Le swing catholique
Ce que le Concert lyonnais de l’Hostel Dieu, fidèle à ses principes de (re)découverte (« création de programmes interdisciplinaires, associant musique savante et populaire des temps baroques »), propose dans ses concerts d’avant-Noël, c’est un regard sur des musiques fort peu connues depuis nos rives continentales. Et même si la ressemblance stylistique avec l’Europe du XVIIe est sans doute forte, il y aura beaucoup à découvrir dans ce travail mené par un Trio de l’Hostel Dieu : F.E. Comte, le Patron, Paulin Bündgen et Henri-Charles Caget, ses conseillers artistiques (et intervenants) en la circonstance. Pour « s’assurer l’allégeance des nouveaux fidèles, indiens et esclaves noirs, l’Eglise catholique d’Europe s’efforçait de les éblouir et de leur assurer une place active dans la pratique cultuelle. Les maîtres de chapelle formés au Portugal ou en Espagne composent en « petit nègre » des « Négrillos », cousins américains des Villancicos ibériques. Les sonorités baroques se mélangent au « swing tout à fait africain des rythmes syncopés, les langues indigènes se mélangent au portugais pour chanter Dieu sur un ton résolument païen. Le chantre de ce métissage des Trois Cultures s’appelle Gaspar Fernandes… » Ce musicien né au Portugal passa 30 ans de sa vie professionnelle à la cathédrale d’Evora, et à la jonction du XVIe et du XVIIe franchit l’Atlantique pour s’installer à Guatemala, puis à Puebla, où il composa l’essentiel de son œuvre américaine, selon un musicologue « le trésor le plus spectaculaire de toutes les cathédrales de l’hémisphère occidental ».
Sauve-qui-peut-la-vie
Un disciple, Gabriel Ruiz de Morga, « transporte le volume monumental des œuvres de son maître – 248 folios, 301 œuvres ! – à Oaxaca » , où rien ne vous interdit de l’aller consulter, et dont l’Hostel Dieu donnera une mini-anthologie – 6 partitions, en compagnie d’œuvres de Felipe de Magalhaes – (très grand polyphoniste portugais), Santiago de Murcia, Juan Aranies et quelques anonymes de cette « école », tous puisés aux manuscrits mexicain d’Oaxaca et portugais de Coïmbra. Tout ce « liturgique et para-liturgique », ces motets, canzonetas et villancicos, Fernandes les a-t-il écrits ou empruntés à des poètes espagnols ou américains ? Outre la musique parlée avec immense talent par l’Ibérique traverseur d’océan, on reste songeur devant la diversité linguistique du compositeur, entre « portugais, espagnol, latin, espagnol, nahuatl, negrito… » Et Concerto Criollo vous permettra, outre le plaisir musical, de réfléchir au heurt comme à la fusion des cultures, sur fond d’histoire tragique, à l’esclavagisme et à la prédation destructrice par l’Europe renaissante et baroque, au sauve-qui-peut-la-vie-ou-ce-qu’il-en-reste des « Indiens » et des Noirs martyrisés au nom de la Sainte Conversion des âmes (si encore ces derniers en avaient une au regard de leurs « bienfaiteurs »).
L’affirmation claudélienne et une réponse césairienne
Et là encore, littérature, clap de fin (provisoire) : cherchez dans le génie néo-baroque de Claudel qui s’innocente en perpétuel catholique-poète du Soulier de Satin, avec son Sergent qui morigène la Négresse Jobarbara : « Ta maman, prise avec toutes les femmes de son village pendant qu’elles pilaient du mil au clair de lune…Et ce Portugais de Portugal, quand il l’amena au Brésil pour lui apprendre les bonnes manières et le goût de la canne à sucre il n’y a rien de meilleur, s’il n’avait eu cette inspiration, les cheveux accommodés avec de l’huile de palme et vêtue d’un morceau de papier, tu en serais encore à danser comme une niaise sur les bords du fleuve Zaïre, essayant d’attraper la lune avec tes dents ! » A quoi répond Aimé Césaire, en aussi sublime français du XXe , mais du côté des damnés de la terre : « Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent…Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences. Aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force, et nous savons maintenant que le soleil autour de notre terre éclaire la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite. »
El Concerto Criollo . Concert de l’Hostel Dieu, Œuvres de Gaspar Fernandes, Felipe de Magalhaes, Santiago de Murcia, Juan Aranies… Dimanche 30 novembre 2008, Salle Sainte Hélène, Lyon-2e 17h, et mardi 2 décembre, 20h30 ; mercredi 3, Salle de l’Astrée, Villeurbanne, 20h30. Mardi 2 décembre 20h30. Information et réservation : T. 04 78 42 27 76 ; www.concert-hosteldieu.com
Illustration: Franck Emmanuel Comte, directeur musical et fondateur du Concert de l’Hostel Dieu (DR)