DVD opéras actualités
Moisson miraculeuse chez Opus Arte, en ce mois d’avril 2008. Pas moins de 3 productions événements sont publiées par le label britannique. Autant de publications DVD, incontournables
Igor Stravinsky: The Rake’s progress
Bruxelles, La Monnaie (mai 2007), Kazushi Ono/Robert Lepage. Sous la baguette de Kazushi Ono, à la direction honorable et d’une constante tension, le plateau vocal est d’une belle cohérence où chacun des personnages illustre la palette des teintes entre le blanc et le noir: de la candeur amoureuse d’Anne Trulove (Laura Claycomb qui nous fait un remake d’une romance hollywoodienne quand elle part en voiture retrouver à Londres, l’homme qu’elle aime mais qui l’a quittée…), à la naïveté du héros trop fragile (Andrew Kennedy dans le rôle de Tom Rockwell), jusqu’à la gravité calculatrice du diabolique Nick Shadow de William Shimell… sans omettre les deux personnages forts et délurés, tout droit issus d’une BD: Julianne Young (Mother Goose, la tenancière aux formes généreuses) et Dagmar Peckova (Baba la Turque, femme à barbe un rien hystérique). Un régal et l’une des productions de La Monnaie, ère Foccroulle, parmi les plus réussies. La captation comporte deux entretiens avec Robert Lepage qui explique au début de chaque partie (deux au total), les options de sa lecture et les enjeux de l’oeuvre. Voici donc une partition du XXème siècle qui s’est naturellement imposée sur les scènes lyriques, d’autant plus percutante qu’elle est admirablement servie par la mise en scène, subtile et délirante de Robert Lepage. Lequel en outre décrochait en mai 2007, le prestigieux Prix Europe pour le théâtre 2007. Lire notre présentation complète de The Rake’s Progress de Stravinsky par Kazushini Ono et Robert Lepage (2 dvd Opus Arte). Parution: avril 2008
Modest Moussorgski: Khovanshchina
Barcelone, Liceu (mai 2007). Michael Boder/Stein Winge. Les opéras de Moussorsgki sont politiques. Comme dans Boris, il s’agit d’exposer d’un côté, la naïveté superstitieuse des masses soumises, leur désir d’un père et d’un guide pacifiste et protecteur; de l’autre, l’opportunisme des cliques sans scrupules menées par de petits caporaux, habiles à exploiter et manipuler la crédulité et l’espoir des peuples, pour ne servir que leur intérêt individuel. L’histoire a ses cycles, celui-là reste le principal scénario de l’histoire russe: nation asservie, nourrie d’espoir, désireuse de liberté mais contradictoirement prête à suivre tout nouveau messie autoproclamé. La Khovanshchina met en scène une galerie de personnages haut en couleur: les Khovansky, père et fils (qui sèment la terreur à Moscou, grâce à leur horde policière Streltsy), le prince Golitsyn (fin politique proeuropéen qui a supprimé les sièges des boyards), le prêtre orthodoxe, illuminé et moralisateur, Dosifei, instance récurrente qui rappelle que l’église ne doit pas être écartée dans le partage du pouvoir… Chacun tire la couverture pour conserver ou renforcer son autorité. Enfin, surgit, bras du destin, le sombre Shaklovity, qui dénonce la machination des Khovansky pour s’emparer du pouvoir (d’où le titre « Khovanshchina« ). Dans cette arène haineuse et violente, où les femmes sont soumises, qu’il s’agisse de Marfa, prophétesse humiliée ou Emma, luthérienne qui échappe de justesse au viol par Khovansky fils, le metteur en scène Stein Winge souligne, dans une vision actualisée sans outrance ni décalages gadget, les rapports de sadisme, la volonté d’aliénation que les individus exercent les uns sur les autres: scène de la lettre où Shaklovity dicte au sbire vénal et peureux, la dénonciation de la Khoventchina, la capture d’Emma par Andreï Khovansky qui profite de sa prise pour tenter de la violer… Lire notre présentation complète de Khovanshchina de Modest Moussorsgki par Michael Boder et Stein Winge au Liceu de Barcelone (2 dvd Opus Arte). Parution: avril 2008
Richard Wagner: Tristan und Isolde
Glyndebourne, été 2007, Jiri Belohlavek/Nikolaus Lehnhoff. Production événement qui fit à son époque courir la jet set du monde entier: Nina Stemme y était consacrée star wagnérienne dans le rôle d’Isolde, une incarnation qu’elle avait déjà imposée ici même à l’été 2003. Les caméras d’Opus Arte ne voulaient pas manquer de capter le prodige scénique et vocal lors de sa reprise: ambition gagnante au dvd, car la chanteuse en 2007 tire bénéfice, de l’expérience acquise depuis, sur les scènes du continent avec le miracle que l’on sait. Si Wagner a trouvé en Waltraud Meier, « sa » Kundry, le compositeur n’aurait certes pas renié, l’Isolde de « la Stemme ». Chambriste et diseuse hallucinée/hallucinante, la soprano offre un investissement rare tout en éblouissant par la qualité de son articulation. Voilà qui rend justice au double génie du compositeur qui fut aussi poète et son propre librettiste. Soulignons l’entourage de cette Isolde de rêve, dans l’hyperféminité comme dans la passion radicale: René Pape (Mark), tout aussi habité et d’une langue sertie de nuances pianos lui aussi, Bo Skovhus, très convaincant Kurwenal, tendre et généreuse Katarina Karneus (Brangäne). Seul le Tristan de Robert Gambill faiblit parfois, manquant d’imagination, dans un chant systématique et terne, qui cependant (proximité avec un plateau exemplaire?) se bonifie d’acte en acte. La mise de Nikolaus Lehnhoff est épurée, sans effet, entièrement absorbée par l’intensité centrifuge des deux amants fusionnels et tragiques. Et dans la fosse, Jiri Belohlavek (à la tête du London Philharmonic Orchestra) distille une sonorité mesurée, ralentie, entièrement inféodée à la projection du chant des protagonistes. Autant dire que ce Tristan und Isolde se classe sans réserve parmi les meilleures lectures disponibles, digne production de celle dirigée avant de mourir par Armin Jordan, avec la mise en scène, cinématographique, -non moins captivante-, d’Olivier Py (3 dvd Opus Arte). Parution: mars 2008