jeudi 28 mars 2024

DVD, événement, critique. MOZART : LUCIO SILLA (Petibon, SanteFe / Guth, Madrid, sept 2017 – dvd Bel Air classiques)

A lire aussi

lucio-silla-mozart-teatro-real-madrid-dvd-review-par-classiquenews-petibon-critique-dvd-classiquenewsDVD, événement, critique. MOZART : LUCIO SILLA (Petibon, SanteFe / Guth, Madrid, sept 2017 – dvd Bel Air classiques). Opera seria de jeunesse, mais partition majeure et mûre, Lucio Silla (Milan, 1772) fut créé à Vienne (Theater an der Wien). Ici gravée en 2017, la production de ce dvd a été produite en 2015 déjà, sous la direction âpre, affûtée, presque hallucinée du regretté Harnoncourt. Inspiré par la vision du maestro légendaire, le metteur en scène Claus Guth, familier des Mozart à Salzbourg, signe une lecture non moins incisive, tragique, désespérée ; qui met en lumière la part démunie, impuissante des individualités éprouvées. Bien que Mozart soit encore adolescent, 16 ans, il signe un seria … romantique, davantage inscrit dans les tourments et l’impuissance des âmes amoureuses (Giunia et son aimé Cecilio) confrontés, éprouvés par l’exercice de la dictature aveugle et haineuse, jalouse et barbare (Lucio Silla). Pour mieux souligner la métamorphose qui s’opère dans l’esprit du politique – basculement lumineux de la cruauté à la bonté et au renoncement (comme dans son dernier seria, La Clemenza di Tito), il faut au préalable et dans un première déroulement dramatique ciselé comme ici, toute la noirceur exposée de situations tendues, de parodies de tortures à peine déguisées pour renforcer l’effet du pardon final. De l’enfer humain, à la salvation collective.

 
 

 

 

A 16 ans, Mozart réinvente le seria dont il fait un théâtre âpre et romantique

La Giunia superlative de Patricia Petibon

petibon bel air classiques critique par classiquenews bac150-bac450-lucio-silla-143-javier-del-realLa scène que convoque Claus Guth est donc celle d’un monde déshumanisé, enclin au mal, au diable en blanc et noir, où la société terrorisée est la proie des fantaisies abjectes d’un empereur alcoolique, instable, furieux. Guth nous plonge dans les visions de ces êtres martyrisés ou frustrés et imagine tout un bestiaire fantastique d’ombres et de sang répandu qui citent les prisons et la torture immorale qu’on y réalise sans vergogne.
Reste la direction moins vive et acérée d’Ivor Bolton, en place de son prédécesseur, habité, inspiré, illusionniste d’une magie délirante, Harnoncourt. La comparaison est hélas assez tragique pour le chef britannique, qui peine à nourrir la tension à l’image de ce théâtre visuellement barbare et cynique. On se surprend toujours à penser à la jeunesse de Mozart et pourtant capable d’une intelligence et justesse psychologique exceptionnelle.

Des deux distributions alors en alternance à l’automne 2017, celle réunie autour de
Patricia Petibon ne mérite que des éloges tant la vraisemblance physique et vocale apportée à chaque personnage de cet échiquier sadique, suscite de trouble et de vérité. A 16 ans, proche de Goethe (son Mitridate précédent était dans la veine d’un romantisme noir et impuissant, essentiellement tragique), Mozart redouble d’invention ténébreuse, ausculte avec une hypersensibilité le monde souterrain des âmes chancelantes et tragiques ; il réinvente aussi le langage même du seria, dont il interrompt l’aridité systématique des récitatifs secs et des airs accompagnés, grâce à une écriture orchestrale, plus libre, constante, très caractérisée. L’écriture de l’orchestre et la conception même des coloratoure (en particulier pour le rôle axial, central, de Giunia) suit très précisément les jalons émotionnels de chaque individu.
Ainsi la Giunia de Patricia Petibon (qui selon la déclaration de l’éditeur, fait ses adieux en 2017 à Madrid dans un rôle qui l’a hissé au sommet), bouleverse, captive, saisit par son brio vocal, son agilité de coloratoure expressive et percutante, son jeu physique aussi, très abouti, sa ligne et ses intentions constamment portées, renforcées par une volonté libertaire voire révolutionnaire absolument convaincante : il fallait bien ce dvd pour fixer une telle incarnation (évidence beaucoup moins manifeste chez sa consœur Julie Fuchs, dans la distribution II, certes encore verte dans un rôle de soprano coloratoure parmi les plus redoutable du répertoire ; comme Constanze plus tard, prisonnière du Pacha dans l’Enlèvement au sérail, la Giunia de Petibon est juste et d’une impeccable sincérité : elle affirme une volonté féminine d’une audace souveraine qui contraste avec les futures tragédiennes passives, languissantes et démunies du XIXè à venir.
Ici tous les protagonistes ont un cœur vaillant prêt à en découdre contre l’arbitraire politique. Du reste, c’est bien l’opéra des Lumières, et en particulier les opéras de Mozart (songez à Suzanna dans les Noces ou Despina dans Cosi)… qui produit des portraits féminins absolument admirables par leur ardeur et leur ténacité.
La cohérence dans la choix des solistes versus les enjeux passionnels, émotionnels de leurs personnages respectifs restitue ce labyrinthe psychologique, huit clos certes promis à une heureuse résolution, mais si écorché, vif, âpre avant la fin. Engagé, acidulé, le Cecilio lui aussi éprouvé de Silvia Tro Santafé (dans un rôle travesti qui lui va comme un gant), rayonne par sa vérité et son épaisseur. On reste troublé par l’intelligence et le discernement humain dont fut capable le Mozart adolescent. Où-a-t-on vu, écouté un théâtre aussi raffiné, élégant, virtuose et tout autant passionnel, embrasé, juste ? L’égal au XVIIIè en ses premiers jalons lyriques de Haendel et Monteverdi qui l’ont précédé. Cette captation majeure mérite le CLIC de CLASSIQUENEWS et soulignant par des inteprètes de premier plan, la profondeur unique de l’opéra mozartien.

—————————————————

CLIC_macaron_2014DVD, critique. MOZART : LUCIO SILLA. Petibon, Tro Santé, Streit / Guth, Bolton (2 dvd Bel Air classiques – oct 2017, Madrid, Teatro Real). CLIC de CLASSIQUENEWS de juin 2018. Parution : début juin 2018.

MOZART : LUCIO SILLA
Dramma per musica en trois actes (1772)
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Livret : Giovanni de Gamerra avec l’aide de Métastase
Lucio Silla : Kurt Streit
Giunia : Patricia Petibon
Cecilio : Silvia Tro Santafé
Lucio Cinna : Inga Kalna
Celia : María José Moreno
Aufidio : Kenneth Tarver
Orchestre et Chœurs du Teatro Real – Madrid
Direction musicale : Ivor Bolton
Mise en scène : Claus Guth
Supervision de la reprise : Tine Buyse
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Manfred Voss
Dramaturgie : Ronny Dietrich

FICHE TECHNIQUE
Enregistrement HD : Teatro Real – Madrid | 10/2017
Réalisation : Jérémie Cuvillier
Date de parution : 8 juin 2018
Distribution : Outhere Distribution France

2 DVD
Référence : BAC150
Code-barre : 3760115301504
Durée : 180 min.
Livret : FR / ANG / ALL / ESP
Sous-titres : FR / ANG / ALL / ESP / ITA / JAP / KOR
Image : Couleur, 16/9, NTSC
Son : PCM 2.0, Dolby Digital 5.1
Code région : 0

1 BLU-RAY
Référence : BAC450
Code-barre : 3760115304505
Durée : 180 min.
Livret : FR / ANG / ALL / ESP
Sous-titres : FR / ANG / ALL / ESP / ITA / JAP / KOR
Image : Couleur, 16/9, Full HD
Son : PCM 2.0, DTS HD Master audio 5.1
Code région : A, B, C

https://belairclassiques.com/film/mozart-lucio-silla-petibon-tro-santafe-streit-madrid-bolton-guth-dvd-blu-ray

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CD événement, annonce. Franz SCHUBERT : OCTUOR en fa majeur D. 803. SOLISTES DE L’ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE BERLIN (1 cd Indésens).

Le label français INDÉSENS publie le nouvel album des solistes de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, dédié à l’Octuor en...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img