mardi 16 avril 2024

DVD, compte rendu, critique. Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse (Santon, Niquet, 2015. 1 dvd Alpha)

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don quichotte chez la duchesse boismortier herve niquet shirley et dino corinne et gilles benizio dvd critique compte rendu critique dvd classiquenewsDVD, compte rendu, critique. Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse (Santon, Niquet, 2015. 1 dvd Alpha). Les comiques composant duo, avec une truculence bon enfant désormais populaires, Charlie et Dino, entendez Mr et Mme Benizio reprennent ici du galon et s’encanaillent brut chez le baroque emperruqué XVIIIè, Boismortier, digne contemporain de Rameau. On leur doit déjà d’avoir sévi pour King Arthur (2008) et La Belle Hélène (2012), leur dernier avatar s’appelle ici Don Quichotte. Créé à l’Opéra-Théâtre de Metz (janvier 2015), le spectacle répète tout un système déjà observé dans les réalisations antérieures. Grotesque et burlesque, gags et incidents faussement imprévus (dont la Duchesse hystérique suspendue au dessus de la scène) revisitent ainsi une partition emblématique du Concert Spirituel et de son fondateur et chef volontiers provocateur (mais pas toujours très fin), … Hervé Niquet : le chef dirige son collectif prêt à le suivre dans le comique gentillet, avec lequel au début de l’aventure musicale, il avait déjà abordé cette partition éclectique depuis 1988 : c’est donc la reprise d’un ouvrage emblématique des interprètes ici réunis qui à Versailles, sous les ors de la sublime salle de l’opéra Gabriel, pur style Louis XV, vivent comme une manière de …. consécration.

Lorrain de naissance, Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) sait pénétrer les salons de l’élite parisienne (grâce à une solide réputation de faiseur de Sonates raffinées (plusieurs livres de Sonates pour flûtes et cantates, éditées et prisées à Paris) ; il sait aussi imposer un tempérament taillé pour le drame et la comédie comme chef d’orchestre aux Foires Saint-Laurent (citée dans le spectacle à Versailles) et Saint-Germain, dans ses trois opéras-ballets : Les voyages de l’Amour (1736), Daphnis et Chloé (1747) et donc ce Don Quichotte chez la Duchesse (créé à l’Opéra-Comique en février 1743, soit à une époque où Rameau ne tarde pas à être reconnu comme le compositeur le plus important de son temps, et donc nommé compositeur officiel de la Cour de Louis XV… en 1745). Le livret signé du génial Charles-Simon Favart, auteur du sublime Arlequin-Dardanus de 1740 ou La Querelle des Théâtres, ou la Veuve d’Ephèse (VOIR notre clip vidéo), rassemble toutes les péripéties et les séquences d’une perle bouffone dans le pur esprit parisien de la Foire. A la façon des grandes enchanteresses et magiciennes amoureuses que l’Opéra met en scène, la Duchesse reçoit ici Quichotte, et souhaite le retenir en suscitant une série de tableaux illusoires propre à capter sa curiosité, saisir et capturer sa ridicule loyauté à Dulcinée… Hystérique, colérique, la Duchesse ne cesse de séduire le chevalier espagnole et voudrait l’épingler à son tableau de chasse. Mais face à l’imagination débordante et délirante de la séductrice, le chevalier illuminé, demeure fidèle à Dulcinée. Sa constance est saluée dans une conclusion où les petits esprits critiques célèbrent une telle constance.

Hervé Niquet depuis 1988, avait repris Don Quichotte en version scénique en 1996, avant la tournée 2014/2015 comptant plusieurs lieux comme ici à Versailles, dans l’écrin très officiel de l’Opéra royal. Ce qui fonctionnait mieux chez Arthur, s’épuise dans ce Quichotte dont le grille de lecture répète les procédés déjà vus : décalages, gags hors musique et pitreries potaches (le chef chante même en attendant le train…. sifflet en bouche; puis joue la comédie en costume grandguignol : d’abord en Quichotte lui-même, refusant d’ailleurs au début de rendre la lance du chevalier, puis en toréador des faubourgs), exacerbation du comique (originellement parodique chez Boismortier). Ravi d’être surpris et parfois décontenancé, le public, s’encanaille, surpris et amusé de voir un maestro se parodier lui-même (qui prend prétexte du théâtre et du divertissement dans l’opéra pour offrir plusieurs parodies symphoniques, intermèdes divers et totalement délurés pour combler un vide dans le déroulement de la soirée). Est-ce que cela sert pour autant la lisibilité de la partition ? Pas vraiment. Mais le narcissisme des interprètes lui est exposé, valorisé, flatté (on sait jouer nous madame). Mais alros que l’entrain bas son plein, on aurait souhaité alors plus de délire dans l’opposition bon enfant et la concurrence complice à laquelle se livrent le chef en fosse et le Duc/Dino.
Pourtant la verve est bien présente (et se suffit à elle-même) dans une partition qui cisèle des mélodies prenantes, avec une précision et un raffinement que n’auraient pas renié les grands baroques français, dont Rameau ou Dauvergne. Précisément Boismortier connaît son Rameau : son sens dramatique, l’économie et l’intelligence dans l’enchaînement des épisodes : poétiques, satiriques, graveleux, héroïques et sentimentales… convainquent absolument. Le compositeur maîtrise sans réserve les enjeux du théâtre.

 

 

Hervé Nique en perte de poésie ressuscite le joyau de Boismortier

Gags et saillies potaches font-ils un spectacle complet ?

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Osons dire que le geste du chef depuis 1988 et 1996 s’est …. caricaturé : nerveux, tranchant, vif pas toujours très articulé, parfois droit et martial; plutôt précipité et expéditif. Comme on aurait aimé plus de tendresse, de sensualité trouble, de douceur, de mystère. De poésie. Certes même si le sujet reste majoritairement comique, la musique et certains passages auraient gagné à être plus mélancoliques et introspectifs : comme par exemple, le solo de la Duchesse parodiant un air pastoral de Rameau (avec flûte obligée), assise sur sa balançoire, portée par un angélisme tendre et séducteur : pour se jouer de la naïveté (et de la loyauté) du Chevalier Quichotte, la duchesse aimerait tant le dégriser et le séduire pour qu’il soit enfin infidèle à sa Dulcinée, si souvent sollicitée… A trop vouloir nous démontrer la saveur facétieuse de l’ouvrage, le chef tend à en réduire la perception, car Boismortier est aussi ambivalent que Rameau : comique et nostalgique. Favart a façonné un livret plein de péripéties dont les astuces visuelles et les épisodes dramatiques annoncent indiscutablement et Monty Pyhton et aussi la comédie musicale française (d’ailleurs, le choeur n’hésite pas à basculer l’un des divertissements dans une parodie à la Michel Legrand). Autre réussite incontestable la traversée sur un cheval de bois (à bascule) des deux héros (Quichotte et Pancha) qui yeux bandés éprouvent une série d’épisodes spectaculaires, musicalement finement caractérisés (tempête et chevauchée avant de vaincre un monstre, nain puis géant…).

boismortier critique compte re rendu critique concert classiquenews_don-quichotte-montPourtant on remarque illico les beautés de cette partition méconnue, qui préfigure par son intelligence et son acuité dramatique, les meilleures perles de l’opéra comique à venir : ouverture dense, vitalité des contrastes poétiques d’un tableau à l’autre, chaconne finale… Parmi les joyaux de cette révélation, retenons l’air de conclusion de la Japonaise défendu par la soprano Chantal Santon dont la voix ample et agile, brillante et charnue, malgré son articulation encore perfectible convainc, séduit, saisit même par son brio délirant et nuancé. La soprano incarne une Duchesse déjantée, prête à tout pour déniaiser le preux mystique dont la fidélité à Dulcinée l’agace prodigieusement. Chantal Santon est le pilier de cette vision délirante et rien que comique. Hélas, l’autre protagoniste qui devait être un pilier lui aussi, François-Nicolas Geslot, déçoit continûment : faiblesse de sa présence scénique, voix à la ligne aléatoire aux aigus tendus et serrés, surtout style et intonation uniformes d’un bout à l’autre, son Quichotte pas assez humain, trop caricatural, est le maillon faible de la production. Visiblement la soirée de la captation n’était pas le soir du ténor.

Parmi les autres rôles : distinguons le Pancha très vocal et bien chantant de Marc Labonnette ; comme l’excellent Merlin de Virgile Ancely ; la paysanne de Marie-Pierre Wattiez (qui chantait le rôle déjà en 1996 : c’est elle que l’on fait passer pour Dulcinée pour fixer Quichotte à la Cour ducale. Son parler vrai et son dialecte de vraie maraîchère du village produisent le contraste idéal avec le monde héroïque hébété de Quichotte ; l’amante d’Agathe Boudet au charme bien trempé qui élève le niveau scénique souvent potache. Le berger séducteur et lascif du sopraniste Charles Barbier... En duc, le coréalisateur de la mise en scène Dino soi-même, dans un rôle parlé, affirme un naturel sûr et très rodé, une bête de scène, faussement benêt, possédant un vrai métier théâtral. Indiscutable.

Dans une mise en scène aux costumes généreux, et contrastes dramatiques favorisés, la production sait séduire le public, souvent de façon un rien racoleuse. L’inattendu né de la présence des comiques délirants dans un théâtre baroque raffiné, peut séduire. N’empêche on a déjà vu tout cela, et les ficelles de ce comique potache détourne l’attention du public des vraies attraits d’une partition savoureuse, plus raffinée et ambivalente qu’il n’y paraît. Malgré l’excellente Chantal Santon, notre appréciation est donc réservée.

DVD, compte rendu, critique. Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse.
Ballet comique en trois actes, livret de Charles-Simon Favart
Créé à l’Académie royale de musique, le 12 février 1743

Mise en scène : Corinne et GIlles Benizio
Décors : Daniel Bevan
Costumes : Anaïs Heureaux et Charlotte Winter
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Chorégraphie : Philippe Lafeuille

Don Quichotte : François-Nicolas Geslot
Sancho Pança : Marc Labonnette
Altisidore / La Reine du Japon : Chantal Santon-Jeffery
Montésinos / Merlin / Le Traducteur: Virgile Ancely
La Paysanne : Marie-Pierre Wattiez
Une Amante / Une Suivante : Agathe Boudet
Un Amant : Charles Barbier

Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, direction

Enregistrement réalisé à l’Opéra royal de Versailles en février 2015. 1 dvd Alpha.

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