lundi 28 avril 2025

Dmitri Chostakovitch: Le Nez (1930). Valery Gergiev 2 cd Mariinsky label

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Dmitri Chostakovitch:
Le Nez (1930) par Gergiev



Mariinski concert hall, juillet 2008
: Gergiev et sa troupe abordent le premier opéra de Chostakovitch: un premier coup de maître, composé rapidement entre 1927 et 1928, à l’âge de 22 ans! D’après Le Nez de Gogol (Récits de Saint-Pétersbourg, 183§), un écrivain dont il partage nombre de valeurs esthétiques (outre un parallèle dans leur destinée et leur confrontation aux épisodes sombres de l’histoire russe: ils ont tous deux habité Saint-Pétersbourg, ville chérie, au lien indestructible), Chosta sait aussi s’éloigner de la source pour mieux y revenir: ainsi les idées de Gogol à peine évoquées dans son texte originel que le compositeur, assisté du librettiste -gogolien comme lui-, Evgeni Zamiatine (pour la 3è scène du I)-, développe dans l’opéra, comme par exemple l’excellente scène de la diligence (Scène 7). Il ajoute d’autres vers tirés d’autres textes gogoliens, et aussi un épisode emprunté aux Frères Karamasov de Dostoïevski.

Sautillant mordant, d’une nervosité qui sait être âpre et cynique, soufflant un vent sarcastique et aussi humain, Gergiev lit l’ouvrage avec un maestrià évidente. Sens de l’ambivalence, de l’ironie sous-jacente, et aussi des climats fantastiques et surréalistes propres à la nouvelle de Gogol, le chef s’appuie sur une connaissance intime de la partition et de sa source poétique: il s’ingénie à caresser tous les reliefs instrumentaux, la vitalité des rythmes, la motricité ambivalente d’un orchestre qui fourmillent d’idées, de climats, d’alliances timbrées, dans les cuivres, les percussions sollicitées, aux angles éloquents et insolents (il est vrai que l’inventivité du jeune Chosta exploite un plateau qui dénombre pas moins de… 78 rôles!). La partition n’atténue en rien la portée fantasque, grotesque et en même temps tendre (surtout pour les petites gens) de la nouvelle initiale. Plus qu’une adaptation ou une redite édulcorée, l’opéra Le Nez réalise une transposition étonnante du texte originel, sans amoindrir sa saveur poétique et ambivalente. Aucun doute, ce Nez version Chosta est un pur chef-d’oeuvre, le premier accomplissement d’un compositeur de vingt ans!
Le contraste entre les tableaux proches de l’hystérie sarcastique et ceux d’une poésie vertigineuse, est magnifiquement restitué: ainsi l’épisode de la Cathédrale de Kazan qui fait suite à la série initiale des scène de caractère, purement d’exposition.


Opéra gogolien

Gergiev éblouit de bout en bout. Sa direction porte l’architecture de la pièce, détaillant chaque note et climat, sansjamais se diluer. C’est du grand ouvrage. L’urgence haletante qui s’en dégage est le plus bel hommage à une partition monumentale de 500 pages, qui malgré son allant infernal et sa cadence bouillonnante, n’en a pas moins été vécue dans chacune de ses notes par l’auteur, qui s’est exprimé à ce sujet.
Gogol et Chostakovitch dénoncent en filigrane la vulgarité humaine, la mesquinerie de la masse conforme dans laquelle il convient de se fondre: individu et société, tel n’est pas le moindre des thèmes développés dans cet opéra qui tient autant de la miniature psychologique que de la fresque universelle. Gogol écrit son texte sous Nicolas Ier… Chosta décrit avec froideur mais minutie les tares sociales du système stalinien: ici et là, même pointes satiriques amères et parodiques sous le masque du délire fantastique. L’équation ainsi posée cible en particulier, sujet central, la notion d’identité. Identité et liberté de l’individu confronté à la lâcheté de la masse.
Ce réalisme délirant qui affleure dans chaque scène est parfaitement exprimé par chacun des protagonistes: aucun des chanteurs ne démérite tant la tension passe de l’orchestre à la scène, des instrumentistes aux solistes.

Cauchemar grinçant, du 25 mars au 7 avril…

Le 25 mars, l’assesseur en collège, Platon Kovaliov/kovalev a perdu son nez. iI le voit « en haut uniforme » qui s’échappe à Riga. L’ayant récupéré, il tente de le fixer sur son visage, sans succès… le délire tourne au cauchemar. Car ce nez s’exprime même, grâce à l’invention géniale de Chostakovitch, comme une personne autonome (par la voix du ténor). Finalement, le 7 avril, Platon se réveille… avec son nez à sa place. Que penser de cette nouvelle parfaitement incompréhensible? Invraisemblable même qui paraît donc d’autant plus inutile… En fait rien de tel: si comme on l’a dit, Chosta traite Le Nez de Gogol pour exprimer ses propres conflits intérieurs (il se démarque du classicisme russe et revendique alors une rupture de ton et de style, de langage et de rythme), comme Gogol en 1836 exprimait les siens personnels, Le Nez est bien une satire virulente contre les hypocrisies criminelles de notre civilisation, contre l’action muette et homicide des tyrannies, contre la barbarie moderne qui tend à rendre inhumain chaque homme actuel: bruits « révolutionnaire » de la foule, à laquelle répond le cri lancinant de la machine policière, odieusement courtoise, … l’opéra est une savante et méticuleuse galerie de portraits aux profils terrifiants: même Platon et son nez revendiquent dans leur vocalità spécifique, cette arrogance qui peut « tuer » l’autre. Cette sauvagerie à l’oeuvre est parfaitement énoncée dans la scène -inexistante chez Gogol- où la foule hystérisée tente de lyncher le Nez…


Tragédie humaine et sarcastique

La fascination musicale de la partition tient surtout au portrait que brosse Chosta de son héros, Platon. Dans la scène du bureau de poste (que Chosta tenait pour centrale dans l’opéra) où celui qui est dépossédé de son appendice tente de trouver de l’aide, le compositeur en fait un être seul, condamné, douloureux… humain et tragique. Toute notion inconnue dans le texte de Gogol.

L’écoute montre à quel point Chostakovitch possède son langage, a le génie de la scène lyrique. D’ailleurs, en 1929 puis 1930, lors de la première écoute puis de la création officielle (Leningrad, théâtre Maligot, aujourd’hui Moussorsgki), les critiques bien pensants n’épargnèrent pas une oeuvre jugée iconoclaste, dérangeante, « obscène », considérée telle « la grenade d’un anarchiste » , une « frasque de jeunesse »! L’oeuvre fut rapidement retirée de l’affiche et disparut des programmations jusqu’au début des années 1970 où elle fut reconsidérée.
Saluons ainsi Valery Gergiev de nous l’offrir avec un telle fureur dramatique, avec un telle intensité brûlée et acide. Le maestro sait mesurer ses combinaisons instrumentales et rétablir cette union convaincante entre musique et chant, orchestre et solistes. Le résultat est stupéfiant, « gogolien » dans l’âme, à la fois, sombre, ivre et désespéré, entre vérité et délire. Ce premier titre inaugure magnifiquement le nouveau label discographique fondé par le chef russe: « Mariinsky label« . Un premier volume qui nous rend déjà impatient des suivants. Le dvd de la production (à l’affiche du Met en 2010) qui est passée par la France en mai 2008, est annoncé également chez le label Mariinsky dans les mois à venir.
A suivre.

Dmitri Chostakovitch: Le Nez (1930). Solistes, choeur et orchestre du Théâtre Mariinsky. Valery Gergiev, direction. Sortie en France: le 22 mai 2009.

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