mardi 29 avril 2025

Debussy: Clair de lune. Mélodies (Dessay, Cassard, 2011) 1 cd Virgin classics

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En novembre 2011, « La » Dessay nous offre son premier récital de mélodies, l’un des plus beaux jamais enregistrés à ce jour: clarté articulée du timbre, alanguissement langoureux, pointes expressives, belle accentuation narrative (Pantomine), et toujours intelligibilité ciselée d’une vraie grande diseuse… l’album est un modèle du genre.

La diva française rend hommage avec humilité à celui qui l’initia à l’art du dire en chantant, Ruben Lifschitz… quand elle abordait pour la première fois ce si difficile genre soliste. D’autant que le piano de Philippe Cassard, debusyste engagé si dynamique (et convaincant) excelle dans l’art du dialogue chant et piano.


Extases Debusystes

La mélodie est au coeur des jeunes années de Debussy: un genre qu’il abandonne à partir de 1904 mais après avoir offert un chapelet de chef d’oeuvres dont témoigne le présent album si inspiré.
Enchantement, extase et chant halluciné versé vers le rêve, le chant de la diva française captive d’un bout à l’autre grâce à son souci premier du texte, jamais sacrifié, jamais escamoté; les amateurs verlainiens seront aux anges (3 poèmes de Verlaine paraissent ici: Pantomine, Clair de lune qui donne son titre à l’album; En sourdine); à Vienne, pianiste pour la richissime Comtesse Nadeja von Meck, amoureuse et protectrice de Tchaïkovski, Debussy est le premier à mettre en musique Verlaine si peu connu alors: dès septembre 1882, il compose En Sourdine, puis Clair de lune, puis Pantomine… (pour les reprendre ensuite vers 1900/1901) ; le programme comprend aussi Théodore de Banville (Nuits d’étoiles, superbe lever de rideau enchanteur/enchanté de 1880 et qui porte allusivement ses amours de jeunesse avec la belle soprano Marie Vasnier, dédicataire de plusieurs mélodies; Pierrot de 1882, Fête galante dont la matière mélodique sera ensuite réutilisé dans Petite Suite de 1889); … avouons notre préférence pour Apparition de Stéphane Mallarmé (et ses intervalles vertigineux) et les vers musicaux d’après Paul Bourget (Romance, l’âme évaporée, au doux parfum d’une candeur nostalgique; Les cloches, La Romance d’Ariel, et surtout ce doux balancement, douloureux, hypnotique de Regret).

L’élévation orientalisante et mystérieuse du Rondel chinois (daté de 1881 et rendu après plusieurs hypothèses au jeune poète Marius Dillard), écrit lui aussi pour la fée mélodieuse Marie Vasnier; l’exotisme énoncé comme une psalmodie qui berce de « Flots, palmes, sables » (avec harpe); mais aussi le jeune marin suicidaire amoureux de la lune du Matelot qui tombe à l’eau (1881), donné ici en première mondiale et qui contient tant de la liquidité suggestive d’un Debussy contemplatif et émerveillé,… De Maurice Bouchor (dont Chausson s’inspire aussi: Poèmes de l’Amour et de la mer de 1876), distinguons également Romance (début 1882), où diffuse une subtile amertume dans l’évocation du sentiment amoureux… tout ici relève d’une parfaite sobriété: l’économie du chant, le très fin piano de Philippe Cassard restituent ce fantastique crépusculaire, cette sensualité diaphane, cette mélancolie ciselée qui font toute la précieuse couleur des mélodies de Claude Debussy. Et quand il aborde le texte du plus fantastique d’entre tous: Leconte de Lisle, Claude développe Les Elfes en plus de 7mn (1881-1882), dans une narration enflammée, tendre, palpitante grâce au chant et au piano, enchantés et fluides, des deux interprètes, vrais complices en communion: le Chevalier qui traverse le bois pour épouser sa belle, rencontre l’essaim des Elfes, il ne s’en remettra pas. La narration passionnée suit les images épiques d’un texte haletant.
Des Parnassiens, Leconte de Lisle et Banville, Debussy, très amateur de poésie énigmatique et mystérieuse, dévoile un don singulier de mélodiste et de prosateur illuminé, en particulier dans ses mélodies précédents son Grand Prix de Rome (1884).

En conclusion à une collection sertie de nombreux joyaux vocaux et lyriques, le programme réserve une place de choix au petit oratorio à la fois mystique et païen, La Demoiselle Elue, que le jeune Debussy, alors pensionnaire à la Villa Medicis de 1887-1889, après son grand prix de Rome en 1884, a composé sous le ciel romain. D’après Dante Gabriel Rossetti, le poème musical est achevé en 1889: on regrette ici la dureté du jeune chœur de Paris, pas aussi diaphane et caressant que les solistes, Karine Deshayes, Natalie Dessay (d’une souple et langoureuse ferveur) et Philippe Cassard, véritable poète atmosphérique.

Claude Debussy: Clair de lune: mélodies. Natalie Dessay, soprano. Karine Deshayes, mezzo. Philippe Cassard, piano. 1 cd Virgin classics. Réf.: 5 099973 076827. Enregistrement réalisé à Paris en novembre 2011.

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