Le génie se transmet de père en fils
David Stern un chef d’exception
Si le public connait Isaac Stern (1920-2001) génial violoniste américain d’origine ukrainienne, son fils, David, qui est chef d’orchestre, suit son chemin avec bonheur sans jamais chercher à imiter son père. Excellent musicien, fin connaisseur des compositeurs qu’il aborde et soucieux de les faire jouer autant que possible dans l’esprit de leur temps (si possible sur instruments d’époque), David Stern dirige avec talent et un véritable plaisir des orchestres « modernes » et des orchestres jouant sur instruments anciens. Lorsque nous avons rencontré le chef d’orchestre quelques heures avant le concert qu’il devait donner avec le Jeune Orchestre Atlantique à l’Abbaye aux Dames de Saintes le 13 décembre 2011 (lire notre compte rendu), nous avons rencontré un musicien chaleureux, passionné par son art, désireux de transmettre son savoir, naturellement disert sur chaque sujet abordé.
Les orchestres
David Stern qui a débuté sa carrière en tant qu’assistant de sir John Eliot Gardiner a ensuite pris la direction du concerto Köln avant de partir vers d’autres horizons. Actuellement directeur musical de l’opéra de Tel Aviv et de l’opéra de Saint Gall (Suisse), il a aussi fondé son propre ensemble, Opera Fuoco, en 2003 qui regroupe un orchestre et un choeur, lequel est basé en région parisienne. Si David Stern aime travailler avec des orchestres « modernes » l’écouter parler des instruments d’époque est d’autant plus instructif que le chef d’orchestre les affectionne particulièrement, d’où sa volonté de faire jouer les musiciens d’Opéra Fuoco sur des instruments anciens : « le travail sur un instrument ancien est très différent de celui sur un instrument moderne et réclame une concentration de chaque instant », nous dit David Stern en substance.
Le Jeune Orchestre Atlantique
Le Jeune Orchestre Atlantique, dont la moyenne d’âge est de 25 ans environ, existe depuis 1996 et les sessions de travail organisées régulièrement avec des chefs de renommée internationale permet non seulement aux instrumentistes de se former mais aussi de se plier aux exigences les plus diverses propres à chaque chef ce qui est aussi formateur que les études suivies dans des conservatoires.
L’orchestre est composé de jeunes gens fraîchement diplômés qui sont à la croisée des chemins et si une vingtaine d’entre eux forment le noyau du Jeune Orchestre Atlantique (ils suivent toutes les sessions de travail) les autres se destinent à une carrière soit au sein d’orchestres, soit en tant que solistes. Pour David Stern qui accorde beaucoup d’importance à l’enseignement, ces sessions de travail avec le Jeune Orchestre Atlantique sont une occasion formidable, la source d’un approfondissement interprétatif soutenu. Le chef d’orchestre qui est déjà venu à l’abbaye aux dames en 2008 renouvelle cette année l’expérience avec un réel enthousiasme : « Ils sont jeunes, ouverts, attentifs » ; « C’est aussi un réservoir de jeunes talents dans lequel j’ai recruté des instrumentistes pour Opéra fuoco en 2008 et j’en ai déjà repéré cette année ».
Peu avant le concert, pendant le raccord, David Stern n’hésite pas à quitter l’estrade pour aller dans la nef principale afin de se rendre compte du résultat des répétitions précédentes avant de prodiguer ses derniers conseils aux musiciens pour le Ballet des ombres heureuses; si la méthode peut en étonner plus d’un, elle se révèle cependant efficace puisque l’orchestre suit avec une précision remarquable les consignes de son chef.
Le programme du concert
Les trois compositeurs qui sont au programme du concert de ce 13 décembre, David Stern les connait bien. Et là aussi il parle avec amour et enthousiasme de ces hommes aux parcours à la fois si différents et pourtant si complémentaires; Si le français Louis-Ferdinand Hérold (ndlr: le « Shubert français », récemment remis à l’honneur par le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française), est le moins connu des compositeurs du programme, David Stern parle avec une véritable tendresse de son parcours et de ses oeuvres : « Contrairement à Chérubini qui a quitté l’Italie pour s’installer en France, Hérold est parti en Italie pour parfaire sa formation. » Et sur le concerto pour piano et orchestre N°4 en mi mineur : « Hérold a composé une oeuvre très lyrique; l’influence de l’opéra est omniprésente dans sa musique instrumentale ».
Concernant Christophe Willibald Gluck, Stern est tout aussi intarissable : « Gluck a quitté l’Autriche pour rejoindre Versailles sur l’invitation de Marie-Antoinette … Il s’est parfaitement adapté au goût français ». Il a même reformé de façon décisive l’opéra français.
Si le Jeune Orchestre Atlantique joue la musique instrumentale d’Orphée et Eurydice (ouverture, ballet des ombres heureuses et ballet des furies), on y retrouve un lyrisme qui ressort aussi dans ses oeuvres instrumentales. Quant à Luigi Chérubini, il a parfaitement intégré le goût français, comme Lully en son temps, et il a composé des oeuvres tant lyriques qu’instrumentales dont la facture même se mélange tout en se différenciant les unes des autres. Ainsi que le remarque fort justement David Stern, le programme tourne autour d’oeuvres (excepté Orphée et Eurydice) fortement influencées par les oeuvres lyriques que les trois hommes ont pu découvrir autour de leurs périgrinations car « ces compositeurs qui ont assimilé des formes de cultures variées de par leurs voyages les ont retranscrites dans leur musique sous différentes formes ».
La pianofortiste d’origine bélarusse Daria Fadeeva qui a débuté comme altiste a déjà travaillé avec David Stern. Il évoque avec amusement les circonstances de leur première collaboration après qu’elle ait choisi de se consacrer au piano qu’elle a également étudié : » vous savez, je reçois de nombreux cds d’artistes qui veulent travailler avec moi. Mais quand Daria m’a donné un enregistrement qu’elle avait fait au piano, j’ai eu envie de l’écouter » et de conclure : « J’ai été séduit par ce que j’ai entendu ». L’évidente complicité entre le chef et la jeune pianofortiste donne un résultat convaincant.
Les deux musiciens se complètent parfaitement et le concerto de Hérold résonne joyeusement sous les voûtes de l’abbatiale pendant le raccord puis au moment du concert. Comme David Stern, Daria fadeeva est soucieuse de transmettre son savoir aux plus jeunes, et le passage de témoin au moment du raccord se fait en douceur. Là encore le chef fait montre d’une patience exceptionnelle rappelant parfois les enfants au silence d’un seul regard, sans avoir besoin de prononcer un mot.
Ecouter David Stern parler avec autant de passion de son art, est d’autant plus réjouissant qu’il maitrise parfaitement son sujet, que le discours est clair, net, précis et concis. Nous sommes d’autant plus séduits que nous voyons les yeux de Stern s’allumer et pétiller de plaisir dès qu’il est lancé sur un sujet, quel qu’il soit. En vrai musicien, les paroles du chef se font chaleureuses et très justes; en pédagogue chevronné, il témoigne d’une connaissance vivante, accessible, engageante.
Le chef, qui dirige son orchestre d’une main ferme, sait ce qu’il veut et il l’obtient sans se lancer dans d’interminables explications; et tout le talent du chef vient non seulement de la formation qu’il reçut de la part de son père et de celle de ses professeurs, mais aussi de sa parfaite connaissance des oeuvres et de leurs compositeurs.
Portrait réalise à Saintes (17), le 13 décembre 2011. Propos recueillis par notre envoyée spéciale Hélène Biard.