samedi 20 avril 2024

Cycle de concerts Messiaen – Florentz Lyon, CNSMD. Du 18 novembre au 5 décembre 2008

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Messiaen-Florentz
partage d’exotisme

Quinzaine de rencontres et concerts
Lyon, CNSM
Du 18 novembre au 5 décembre 2008

Jean-Louis Florentz (1947-2004) fut compositeur à Lyon en résidence auprès de l’O.N.L., et enseignant au CNSM, qui lui consacre – en miroir avec son maître Olivier Messiaen – une large quinzaine de concerts et de rencontres. Ce « partage d’exotisme » des deux auteurs français souligne leur inspiration extra-européenne et dans le cadre d’une Nature où ils écoutaient, chacun à sa manière, les chants d’oiseaux…

L’inspiration des hommes et des oiseaux
« Tantôt les étoiles étaient des hommes, tantôt les hommes des étoiles, les pierres des animaux, les nuages des plantes ; il jouait avec les forces et les phénomènes ; et c’est ainsi qu’il touchait lui-même aux cordes profondes, cherchant sur elles et s’approchant des sons purs et des rythmes. » Cet immense clavier de la Nature – sans doute offert à l’homme par un Dieu Créateur de la beauté et du sens -, deux musiciens français dont l’un fut disciple de l’autre en auraient volontiers joué, poétiquement et dans l’espace du sacré. Certes ni Jean-Louis Florentz ni Olivier Messiaen ne cherchaient –que l’on sache – une inspiration particulière du côté des romantiques allemands, et du roman initiatique de Novalis, Les disciples à Saïs, d’où vient cette citation. Mais la conception de la Création comme totalité du Chant, l’absence de barrières culturelles – dans un cadre strict ou plus élargi de la religion chrétienne – entre Europe et reste du monde, voire une conception synesthésique ( « débordement » de la perception sensorielle d’un sens à l’autre) en art, le voyage en quête de la splendeur du monde, la coexistence d’une multiplicité des langues et des rituels pour exprimer le Verbe, tout cela, ils l’avaient en commun. Ainsi le CNSM peut-il unir J.L.Florentz – qui enseigna « l’analyse des musiques de tradition orale » dans la Maison de la rive droite de Saône – et O.Messiaen – qui fut à Paris un professeur mythique – en une célébration qui, selon le titre retenu, « partage l’exotisme » des inspirations, rapporte les expériences du maître et du disciple à leur commune passion des chants des hommes et… des oiseaux qui se répondent (parfois en secret) sur notre planète. Cette présence rappelle aussi que J.L.Florentz fut en résidence auprès de l’Orchestre National de Lyon, de 1995 à 1997, qui créa sous la direction d’Emmanuel Krivine Les Jardins d’Amènta puis L’Anneau de Salomon.

L’infatigable voyageur

Messiaen, on le sait, c’était prioritairement l’Asie (Inde, Japon) …et les Alpes Françaises. Florentz, lui, fit de l’Afrique et du Proche-Orient ses territoires d’élection et de recherche : car il était homme de science par ses études universitaires d’abord – bien sûr, le grec et le latin, comme Messiaen, mais aussi et surtout l’arabe littéraire, l’éthiopien et deux autres langues orientales, les sciences naturelles, « l’étho-écologie des communications animales -, par une pensée qui unissait la Bible et ses « territoires », et qui ne séparait en rien théorie et pratique, terrain et réflexion. A côté de lui et en matière d’oiseaux, Messiaen n’était qu’un amateur distingué, ex-auditeur libre d’ornithologie, même s’il voulait voir figurer sur sa carte de visite une telle « qualification » plus que celle d‘analyste musical ou de compositeur ! Dans le domaine des voyages aussi, et peut-être surtout : J.L.Florentz n’a-t-il pas accompli 14 périples d’études (Afrique du nord, Niger, Côte d’Ivoire) entre 1971 et 1979, 12 entre 1981 et 1997 ( Kenya, Egypte, Polynésie, Martinique…), et encore 2 en 2000 et 2002 (Madagascar, Sahara) ? C’était d’ailleurs pour y vivre des expériences où recherche scientifique, esthétique, rapport à la création musicale et complexe émotion ne pouvaient se dissocier : « Moments exceptionnels, dit-il, dont certains furent d’une intensité extrêmement éprouvante, aussi bien dans l’ordre esthétique que dans celui du malheur. L’indescriptible beauté du lever de la pleine lune derrière le Kilimandjaro ou sur la Mer Rouge ne m’a pas fait oublier le génocide de l’ethnie Dinka au sud du Soudan… J’ai éclaté en sanglots en respirant l’arôme des acacias d’Abu Simbel ; mais j’ai vu aussi la misère, la crasse et le malheur des lépreux de la banlieue nord du Caire, j’ai ainsi plusieurs fois frôlé les limites du supportable… ». Science ultra-moderne et technologie voisinaient ainsi sans complexe de stratification des « valeurs » avec les données originaires de la Bible et de sa « diffusion » dans la mosaïque des cultures du sacré, un catholicisme très soucieux du culte de Marie, des communautés « originales » par leur histoire théologique, leurs rites et leurs chants (Arménie, Syrie..) Et une recherche de la transcendance à travers les cultures et les civilisations des pays interrogés, en particulier ceux d’Afrique et du « Proche-Orient sémitique », entre Egypte, Caucase et Ethiopie, Syrie et Israël…

Des réacteurs d’avions aux chiffres du sacré
D’où une passion, à travers le phénomène d’harmonies ou de timbres des moteurs d’avion, pour l’aéronautique, avec « relevés précis des spectres tant en vol que dans des stages en aéroports. » Pour « camper les décors des rêves qui sont à la base de la musique », rien de tel qu’une préparation puis une notation férocement scientifiques des « sacs photos » porteurs des documents qui accompagneront le relevé visuel des voyages, et une non moins grande avidité d’exactitude dans les techniques d’enregistrement avec sonogrammes (chants des humains, des animaux et de la « pure nature »). En témoignent des « relevés d’apprenti»-maître » lors d’un voyage au Kenya : « 00.2 chauve-souris un peu au loin, grognement de hyène, tonnerre très loin. 00’40 hyène moins loin, bruit de la pluie. 03’30 : tonnerre très loin, orthoptères divers grillons… » En somme toute une matière de mémoire qui d’un côté appelle la connaissance scientifique et d’un autre convoque les matériaux de la C(c)réation pour un immense Poème de la Nature. On en trouvera des marques dans un livre-album des Editions lyonnaises Symétrie (2007), qui juxtapose un très large choix florentzien des photos de voyages en référence aux œuvres musicalesEt à quel rayon de la Bibliothèque Infinie, en quel étage de la Tour de Babel, faudrait-il placer l’inspiration numérologique qui sous-tend fortement l’écriture dans ses principes et sa réalisation ? J.L.Florentz n’est pour cela évidemment pas le premier en histoire de la musique : le Père Bach y suffirait du côté de la symbolique du sacré, et plus tard Messiaen, mais on peut y ajouter un cryptage « laïque » (et passionnel) chez Berg. Pour J.L.Florentz, au-delà du pythagorisme fondateur (l’Un et le Multiple), c’est évidemment la 1ère référence qui s’impose – non à l’oreille de l’auditeur sans information préalable, mais pour la beauté et la justesse du geste compositionnel, qui à l’instar de Messiaen et même selon d‘autres formulations, est aussi prière. Libre à nous, ensuite, d’adhérer ou de sourire aux références de l’arrière-plan, telles que les pointe l’organiste et disciple Michel Bourcier : par exemple, dans Asun, un 153 (les poissons de la pêche miraculeuse après la Résurrection, via le Nouveau Testament et la cosmologie égyptienne) qui s’entrelace avec une déduction triturant les chiffres-date de la « révélation » de Fatima (13 mai 1917)…Et dans l’arrière-plan du fondamental, il y a sans doute, au delà de la foi, un rapport complexe avec la mort : « C’est en Afrique que j’ai appris à me familiariser avec la mort, phénomène impressionnant, inéluctable, terriblement banal aussi, mais que l’Occident s’obstine à nier, à occulter, comme si le silence pouvait éloigner l’échéance. »

Sexe des anges, abîmes et précipices

L’œuvre, même en considérant la disparition prématurée du compositeur ( à 57 ans, en 2004), n’est pas du tout abondante : 15 opus (après auto-retrait de 3 numéros), une « parcimonie » un peu à l’image d’Henri Dutilleux qui y découvrait « un sens aigu du mystère sans lequel, selon moi, il n’est pas de vraie musique ». Et à l’inverse de celle de Messiaen…Deux instruments y sont privilégiés : l’orgue, et le violoncelle – Florentz ne discute pas longtemps sur…le sexe musical des « anges, tous mâles, et d’une beauté insoutenable », dont le violoncelle serait la voix indiscutable ! -. Le chœur y est présent, parfois immergé dans un grand orchestre qui a la préférence du compositeur. La plus-que-quinzaine du CNSM (du 18 novembre au 5 décembre, en divers lieux de Lyon) entend donner une image généreuse de tous ces aspects – en miroir avec Messiaen, centenaire de naissance et surtout « filiation » obligent -, y compris par une démarche ethno-musicale-et-langagière, puisque deux musiciens-conteurs-luthiers du Congo, les frères Christian et Amour Makouaya, inscriront leur science dans une soirée privilégiée du parcours. Une rencontre autour des éditeurs et des interprètes du compositeur permettra de mieux situer ce« musicien de l’ailleurs ».Les domaines de direction de chœurs (Nicole Corti vient de succéder à Bernard Tétu), de violoncelle (Yvon Chiffoleau, interprète élu de J.L.Florentz), d’orgue (François Espinasse, avec invitation d’Olivier Latry) et d’orchestre (Peter Csaba) s’unissent pour un panorama : Qsar Ghilâne (l’ultime œuvre de J.L.Florentz), L’Ange du Tamaris, Le Chant de Nyandarua, Asmarâ, Psaumes et Litanies, Laudes…Du côté de chez Messiaen, Un vitrail et des oiseaux, Cinq Rechants, O Sacrum Convivium, Le Quatuor pour la fin du Temps, Les Oiseaux exotiques (avec Sayako Oki). Et dans le cadre de toute une journée à l’Ecole Normale Supérieures (Lettres), les étudiants-pianistes CNSM iront de branche en branche pour le Catalogue des Oiseaux…Histoire, aussi, de comparer à l’objectivité scientifique florentzienne le commentaire plus lyrique de Messiaen, par exemple pour le Chocard des Alpes : « Merveilleux paysage de la Meije, abîmes et précipices, immenses rochers, alignés comme des fantômes géants ou comme les tours d’une forteresse surnaturelle. »

« Partage d’exotisme », Olivier Messiaen (1908-1992), Jean-Louis Florentz (1947-2004). CNSMD Lyon, Salle Varèse, sauf Ecole Normale Supérieure (18 nov) ; Eglise Saint-Pothin(27 nov, 2 déc).

Mardi 18 novembre 2008, E.N.S. 12h30, 15h, 17h, 20h. ; mercredi 19, 20h30 ; jeudi 20, 18h (rencontre sur J.L.Florentz), 20h30 (voyage musical Congo) ; vendredi 21, 18h (rencontre sur J.L.Florentz), 20h30 (chœurs, violoncelle) ; mercredi 26, 20h30 ; jeudi 27,20h30 ; mardi 2 décembre, 20h30 ; jeudi 4 et vendredi 5, 20h30 (orchestre CNSM).

Information et réservation : Tél.: 04 72 19 26 61 ; www.cnsmd-lyon.fr

Illustrations: Olivier Messiaen, Giotto : Le sermon de Saint-François aux oiseaux, Jean-Louis Florentz (DR)

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