Semana de musica religiosa SMR Cuenca 2012
Premier concert (inaugural) du festival de musique sacrée à Cuenca. Malgré la crise, la « SMR » Semana de musica religiosa de Cuenca 2012 poursuit en dépit de tout, la ligne artistique qui fait aujourd’hui sa réussite : pertinence et défrichement
Marcos Portugal dans la Cathédrale de Cuenca
La pertinence, c’est évidemment de jouer la Missa Grande de Marcos Portugal (1782) sur un orgue somptueux, qui remonte à la même époque que la partition. Plus qu’un continuo traditionnel, l’instrument restauré en 2009 (chantier piloté par le facteur Frédéric Desmottes), apporte une richesse de couleurs dans chaque registre, des nuances et des contrastes à faire pâlir les toiles impressionnistes; il fait (à juste titre) la fierté de Cuenca: c’est l’un des orgues ibériques classiques les plus raffinés et les plus ambitieux jamais construits (3 plans sonores) …. Précisément avant celui de Malaga (5 plans sonores, conçus par le même facteur: Julian de la Orden).
Sur ce « matelas » sonore, les chanteurs de L’Echelle s’engagent à nuancer eux aussi la délicatesse enjouée du jeune Portugal: (alors âgé de 20 ans!) composée pour la Cour Royale portugaise et à l’occasion de la Sainte Barbe, la Missa Grande, fait une synthèse de toutes les tendances et modes musicales à son époque, se rapprochant de Mozart, dépliant aussi une verve prérossinienne; fidèle à la tradition vocale de la Cour, certaines parties vocales sont tenues par un soprano masculin: Charles Barbier, fondateur du chœur L’Echelle, apporte la couleur particulière de sa voix de tête, percutante (à déchirer les cieux, vraie trompette claironnante), à la fois riche et soutenue, dont la ligne acrobatique, seule (Et incarnatus est), ou en duo, entre autres, avec la soprano (Luanda Siqueira au timbre toujours fruité et élégant: Quoniam tu solus), souligne tout ce que la séduction de la partition doit à l’opéra contemporain. Cette Missa déploie de superbes effets immédiatement séducteurs, destinés à conquérir l’audience, d’abord royale, par sa virtuosité aimable et lumineuse.
Circonscrits dans le chœur des chanoines au niveau des stalles, magnifiquement irradiés par l’ampleur déjà orchestrale de l’orgue, les musiciens de L’Echelle offrent ainsi leur première offrande au sein de leur Résidence pendant la SMR Cuenca 2012 (lire notre article : les 5 concerts de la Résidence de L’Echelle à Cuenca SMR 2012).
Qui est déjà familier du festival sacré à Cuenca sait que la programmation en investissant les différents lieux patrimoniaux et historiques de Cuenca est aussi une manière de déambulation naturelle dans la cite perchée sur son rocher. D’ églises en salles des musée, de la Cathédrale (à haute altitude) à l’Auditorio (au bas du rocher), le festivalier réalise son propre parcours, déambulation particulière qui au moment de la Passion, peut aussi revêtir une signification féconde.
Dans la Cathédrale, pour ce premier concert, les chanteurs français circulent dans les allées latérales, au moment du plain chant (Graduel, Offertoire, Communion), se réunissant à l’extrémité opposée du choeur, devant l’autel pour créer en Espagne, « Quetzal », pièce contemporaine de Caroline Marçot: jeu de chansons et mélodies superposées, celles des marins des deux mondes, ces deux rives dont Marcos Portugal fait aussi le lien, de l’ancien monde (Espagne et Portugal) au Nouveau (Brésil)… Intitulé « Outre mers », le programme à l’image de la carrière de Marcos Portugal, désigne une ferveur en marche, évolutive, prenante par sa gaieté cultivée facétieuse; culture en mouvement, qui, avec Quetzal, prend son envol en une lévitation scintillante de voix libérées.
Saluons la direction des deux chefs pilotant ce superbe concert (que nous avions déjà écouté aux Invalides à Paris dans une configuration architecturale autre, avec une distribution sensiblement modifiée et un continuo… pas aussi riche, concert de février 2011, Paris, Invalides): Charles Barbier, vif et soucieux de précision, de tension comme de transparence dans le Quetzal final; Bruno Procopio, dont la carrière comme chef invité grandit pas à pas (récemment à la tête du Simon Bolivar Orchestra, dans un volet Rameau inédit pour les musiciens) et bientôt à l’opéra…
Le geste du chef, millimétré et fluide, est un véritable atout pour L’Echelle, d’autant que Bruno Procopio, défricheur des musiques des XVIIIe et XIXe, entre Brésil et Portugal, spécialiste de ce répertoire (musiques luso-brésiliennes), en est aujourd’hui l’interprète le plus inspiré (en particulier avec son ensemble dédié, Le Sans Pareil).
Simultanément au concert, les musiciens enregistrent à Cuenca le programme Outre Mers pour le disque. Le cd devrait sortir courant 2013 (chez le label Paraty). Le festival de Cuenca 2012 a bien raison de fixer ainsi la mémoire de ce concert inaugural où l’un des orgues le plus fascinants d’Espagne, apporte sa coloration opportune.
Prochain concert à Cuenca: ce soir, dimanche 1er avril 2012, Teatro Auditorio (20h), musique pour la Semaine Sainte à Naples: programme « Tenebrae », 1680-1695. Oeuvres de Cristofaro Caresana, Gaetano Veneziano. I Turchini. Antonio Florio, direction.