
Il y a six ans, Zachary Wilder avait donné son premier récital parisien au Théâtre Grévin. Il nous présentait alors son album “Eternità d’amore – The Venice Project”, un disque gravé avec le luthiste Josep Maria Martí Duran. Nous y étions et avions découvert un artiste orfèvre, à l’élégance rare. Et c’est de nouveau dans le haut lieu insolite du Boulevard de Montmartre, le Musée Grévin (et dans le cadre des concerts de Philippe Maillard Productions), qu’il nous convie pour accomplir à son bras un voyage à Londres sur les traces des successeurs d’Henry Purcell, fer de lance de l’Opéra anglais. Dans ce programme serti de raretés, se côtoient Daniel Purcell, le frère, mais aussi Georg Frideric Haendel, John Weldon, John Eccles, auxquels est venu se joindre également Johann Christoph Pepusch, anglais si ce n’est de naissance, tout au moins de cœur, qui tire notamment sa notoriété de sa composition de Beggar’s opera sur le livret de John Gay.
Entouré de Brice Sailly au clavecin et Evolène Kiener, au basson et à la flûte, le ténor américain cherche, comme toujours, à interpréter les pièces choisies dans le style de l’époque qui leur est propre. Et à cet égard, le choix du Théâtre Grévin n’est sans doute pas un hasard. L’acoustique du lieu permet, en effet, de déployer toutes les couleurs et les nuances tant des véhéments éclats de « Oh take him gently from the pile » de John Eccles que des pianissimi délivrés à fleur de lèvres de « Morpheus Thou Gentle God » de Daniel Purcell. Et le résultat est d’une grâce et d’un naturel désarmant. Zachary Wilder cultive l’art de nous mettre en apesanteur dont son « Take those lips away » de John Weldon, à l’infini douceur extatique, est une éclatante illustration.
A la mention de ces œuvres, on réalise que c’est tout un répertoire méconnu que Zachary Wilder nous révèle ici et dont il s’approprie avec aisance le langage. Dans la cantate de Daniel Purcell « By Silver Thames’ Flowr’y side », avec laquelle il ouvre le programme, il déploie dans les récitatifs une admirable maîtrise du legato et place la beauté du son avant toute chose : le timbre et les couleurs les plus suaves servent pareillement tendresse et désespoir. En peintre subtil et élégant des émotions humaines, Zachary Wilder confère à la coloration déploratoire et plaintive de l’aria « In vain the Springs discloses » une lumière éclatante. Fin musicien, il est ici dans son jardin. Et il le prouve d’autant plus que le programme lui donne l’occasion de faire valoir sa virtuosité en venant à bout, avec une facilité déconcertante, des vocalises escarpées « I go to the Elysian Shade » d’Henry Carey.
Sur scène, Zachary Wilder est un comédien de premier ordre qui se fait volontiers showman avec une lecture ironique et mordante, mais avec infiniment de chic et d’esprit, de « The Musical Hodgepodge » de Henry Carey qui se raille ici de ceux qui venaient se pâmer devant Farinelli. L’interprétation du ténor américain est d’autant plus savoureuse qu’elle a comme témoins muets, de part et d’autre de la scène de Grévin, les statues de cire de Philippe Jaroussky et de Cecilia Bartoli, deux artistes ayant rendu un vibrant hommage, dans leurs styles propres, au même Farinelli. Zachary Wilder, le comédien au tempérament facétieux, s’en donne également à cœur joie dans la chanson à boire d’Haendel « Bacchus » et aussi dans « The je ne sçai quoi » qui cherche désespérément une once de charme à une belle au physique ingrat.
Mais le point d’orgue des pièces proposées est sans nul doute l’extrait de Acis and Galatea HWV 49, « Would you gain the tender creature », toujours de Haendel, dont la beauté est sublimée par la grâce de l’artiste qui nous envoûte littéralement. Tragédien, Zachary Wilder sait également se faire crooner en osant quelques formes de notes, soupirs, et légère ornementation mélodique. La ligne de chant est simple, pure. Les mots sont pesés sans verser dans la préciosité. Dans les recitativi et les arie de la cantate de Johann Christophe Pepusch, « When Loves Soft Passion », qui clôt le programme, Zachary Wilder fait montre d’un sens inouï du phrasé, et d’une musicalité exemplaire, délivrant un texte pleinement investi et surtout articulé. L’art du dire n’étant pas chez lui la moindre des vertus, et qui témoigne d’une belle compréhension de la prosodie de la langue anglaise.
La réussite de la soirée tient aussi à la connivence profonde, pour ne pas dire aux affinités électives, du chanteur avec les deux musiciens l’accompagnant. Brice Sailly au clavecin et Evolène Kiener tissent le plus bel écrin pour le chanteur et l’aident ainsi dans la caractérisation de chacune des pièces. Fraîcheur juvénile, virtuosité pétillante, mais aussi profondeur et émotion, donnent à ce récital l’éclat d’un bijou précieux poli par un artiste, engagé et habité, à la personnalité rayonnante, apte à traduire tous les climats, de la plainte à la tendresse, des éclats d’humeur à la joie intense. Un constant régal.
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CRITIQUE, récital lyrique. Haendel, Purcell, Eccles, Weldon… Brice Sailly (clavecin) / Evolène Kiener (violon), Zachary WILDER (ténor). Crédit photographique © Maximilien Hondermarck
VIDEO : Zachary Wilder interrète l’Agnus Dei du Requiem d’André Campra
