dimanche 19 janvier 2025

CRITIQUE, opéra. TOULON, Théâtre de plein air de Châteauvallon, les 29/30 juin et 2 juillet 2024. MASCAGNI / LEONCAVALLO : Cavalleria Rusticana / I Pagliacci. A. Morel, T. Szlenkier, M. Croux, D. Miroslaw… Silvia Paoli / V. Galli.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

C’est concomitamment que s’est clôturée la saison 24/25 de l’Opéra de Toulon et l’inauguration du Festival d’été de Chateauvallon 2024, avec le diptyque bien connu de Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni et I Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, dans une mise en scène de la sulfureuse metteure en scène italienne Silvia Paoli, dont les précédentes productions ( cf : son Iphigénie en Tauride nancéienne ou sa Tosca nantaise) ont fait couler beaucoup d’encre. Et c’est dans le superbe théâtre de plein air, construit en hémicycle sur les hauteurs de la commune d’Ollioules, face à la Méditerranée, qu’un public varois venu nombreux s’installe, alors qu’on lui a préalablement offert un coussinet très pratique et confort pour tempérer la dureté du béton armé de la structure datant de 1966. Bref, un cadre enchanteur entouré de pins, et du bruit des cigales, avant celui, une fois la nuit tombée, des grenouilles batifolant dans les mares attenantes au “théâtre en dur” de la Scène Nationale de Châteauvallon, construit juste derrière. 

 

 

Las, le “bucolique” et l”enchantement” laissent bientôt place à la laideur et au désenchantement qui est la pain dont se nourrit le Regietheater à l’allemande – et dont Mme Paoli est l’une des thuriféraire, de l’autre côté des Alpes. Elle transpose ainsi l’action au milieu des années 80, dans l’univers de jeunes désaxés de quelques banlieues gangrenées par la drogues, où évolue également une vieille clocharde au milieu de sacs poubelles (à cours), tandis que Mamma Lucia est affalée dans un fauteuil en cuir défoncé, devant un vieux poste de télévision et avec une télécommande récalcitrante à la main (à jardin). De hauts grillages délimitent le fond de scène, lieu où évolue bientôt le chœur et sur lequel apparaîtra plus tard, grâce à des néons blancs, le message “Averti che Dio ti le vede” (“Je te préviens que Dieu te voit”...). L’héroïne apparaît comme un jeune fille déboussolée, habillée comme pouvaient l’être les marginales ou les prostituées de cette époque, short élimé et “ras-la-foune”, et ici “en cloque” de manière très avancée. Sans comprendre le sens de certaines scènes “adjacentes”, telle cette danse névrotique pendant la procession de Pâques ou encore l’arrivée d’Alfio, ici accompagnée de jeunes femmes racoleuses et aguicheuses, on demeure de toute façon très loin du drame austère qu’est le nerf de l’ouvrage, alors passons…

Las encore, annoncée souffrante, Anaïk Morel ne peut faire montre de tout son talent (à l’instar de sa saisissante Euryclée dans Pénélope de Fauré à Athènes le mois passé…), mais se bat cependant comme une lionne, et si les aigus ne sont pas toujours au rendez-vous, l’intensité du chant comme du jeu sont bien là – et elle n’en est pas moins ovationnée au moment des saluts. S’il possède une voix surpuissante, le ténor polonais Tadeusz Zlenkier ne maîrise pas toujours son instrument, et le raffinement n’est pas son point fort, à l’avantage des décibels. A l’opposé, sa compatriote Agnese Zwierko est “au bout de sa voix”, et court après un souffle et des aigus qui semblent un lointain souvenir. Par bonheur, le troisième polonais de la distribution, le baryton Daniel Miroslaw est la révélation de la soirée, avec son timbre de bronze et sa voix emplie de l’arrogance et du mordant qu’appelle le personnage d’Alfio, tandis que la mezzo israëlienne Reut Ventorero campe une une superbe Lola, aux intonations intensément aguicheuses. 

 

 

Après l’entracte, on retrouve une scénographie du même type que dans la première partie de soirée, un second grillage venant cette fois clôturer tout l’espace scénique, au centre duquel est installé un grand espace de jeu pour enfants, très coloré. La direction d’acteurs se montre plus “resserrée” dans Pagliacci, mais le même règne de la laideur prévaut. La distribution est en revanche un sans faute, et soulève le plus total enthousiasme, à commencer par la jeune soprano française Marianne Croux (Neda) qui enchante l’auditoire : timbre capiteux, émission facile, aigu puissant et rayonnant, rien ne (lui) manque !… Le personnage de canio convient mieux aux imposants moyens de Tadeusz Zlenkier, surtout qu’il fait un sort (scénique) à cet être blessé et désespéré. La beauté physique, la plastique de rêve, et le rayonnement du chant du baryton slovaque Csaba Kotlar en font un Silvio de rêve, et forme un couple plus que crédible avec la gracieuse Nedda de Marianne Croux. Vipérin à souhait, Daniel Miroslaw campe un Tonio repoussant, à la voix acérée comme un couperet. Quant au jeune ténor colombien Andrès Agudelo, il s’impose aisément en Beppe, avec son timbre à la fois clair et bien projeté.

Passées quelques approximations dans l’ouverture, et quelques décalages entre fosse et plateau au début du premier ouvrage,  la direction du jeune chef italien Valerio Galli s’avère un exemple d’équilibre dans la recherche de timbres et de connaissance intime de ce répertoire : chaque tempo est à la fois juste et théâtralement efficace, chaque détail instrumental est mis en valeur au moment où il faut. Quant aux Chœurs conjugués de l’Opéra de Toulon et de Montpellier (plus la Maîtrise de l’Opéra de Toulon), ils se montrent vocalement aussi engagés qu’efficaces.

Nullement rebuté par les images trash du spectacle, le public varois fait un triomphe à l’ensemble de l’équipe artistique réunie au centre du plateau au moment des saluts.

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CRITIQUE, opéra. TOULON, Théâtre de plein air de Châteauvallon, les 29/30 juin et 2 juillet 2024. MASCAGNI / LEONCAVALLO : Cavalleria Rusticana / I Pagliacci. A. Morel, T. Szlenkier, M. Croux, D. Miroslaw… Silvia Paoli / V. Galli. Photos (c) Frédéric Stephan.

 

VIDEO : Silvia Paoli raconte son « Cav/Pag » à l’Opéra de Toulon

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