vendredi 23 mai 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysés, 21 MAI 2025. R. STRAUSS : Der Rosenkavalier. V. Gens, N. O’Sullivan, R. Mühlemann, P. Rose, J-S. Bou… Orchestre national de France, Henrik Nanasi / Krzysztof Warlikowski

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Le printemps explose en mille gouttes de bruine dans la grande ville. Rafraîchissante haleine des ondées caressantes après le passage de l’astre de feu et son cortège pastoral de nuées laineuses. Au loin, les rues en grande pompe se pressent vers les terrasses abritées et les théâtres aux lampions mordorés. Ce soir, le temple de marbre et d’or du Théâtre des Champs-Elysées allait révéler au monde une nouvelle production du Rosenkavalier de Richard Strauss, une promesse épanouie lors des premières bruines du printemps. 

 

Ce chef d’œuvre de la main de Richard Strauss et surtout de son librettiste Hugo von Hoffmannsthal dont le génie a su mettre dans la bouche de dames et gentilshommes très XVIIIème siècle, le langage de la modernité. On est emporté par les assertions de la Maréchale, voix d’une raison bien éprouvée par son désir. Et que dire des envolées exponentielles d’Octavian et de Sophie ? Tout ce livret est un traité non seulement d’amour mais une grande page de vie qui demeure valable un siècle après la création de ce beau Rosenkavalier à Dresde. 

Outre le triangle amoureux qui pourrait à la fois nous faire penser à ce monde suranné cher à Zweig et à Proust, ou bien l’on songerait aisément à La Contessa, Barbarina et Cherubino chez Da Ponte/Mozart, Rosenkavalier ne porte pas que des leitmotiv musicaux. Issue d’une tradition ancestrale, cette intrigue rappelle les amours de la belle Vénus et d’Adonis à Cythère. Mais aussi, grâce à la présence du baron Ochs, sorte de Falstaff débonnaire, l’opéra comique n’est pas loin. En particulier la fascination de Ochs pour le double travesti d’Octavian, la femme de chambre Mariandel, intrigue interlope qui semble quasiment calquer celle de La finta cameriera de Gaetano Latilla. 

Cette nouvelle production parisienne a été confiée au metteur en scène Krzysztof Warlikowski. A la réputation de casseur de codes et souvent aux références contemporaines voire kitsch, le metteur en scène polonais nous propose une vision problématique de cette fable. Son décor unique qui se métamorphose de chambre en salon bourgeois et de cinéma en boudoir peine à nous apporter des subtilités que l’on attendrait justement d’un tel metteur en scène. La présence des danseurs est bavarde et chaotique, sans une réelle utilité narrative. En revanche, Warlikowski fait intervenir la vidéo pendant la présentation de la rose et à la fin. Si la première est anecdotique mais fonctionne, la seconde est un des plus beaux moments d’opéra de la saison, un dernier regard de cette Maréchale qui rentre dans le désenchantement confortable de son appartement cossu et nous prend à parti avec un regard couleur du temps. Si la mise en scène de Warlikowski semble par instants maladroite parce qu’il cède à ses tics et ses obsessions, nous sommes emportés dans la passion ambiante qui, dans un geste de démiurge, réussit à installer sans effort. 

La distribution est largement dominée par la Maréchale de légende de Véronique Gens. Prise de rôle pour la superbe soprano dont l’interprétation est sans faute. On assiste à l’épanouissement de la maturité dans toute sa splendeur, cet éternel féminin qui ne cesse de fleurir surtout quand dans la fleur de feu vient butiner l’abeille de la jeunesse. La Maréchale de Véronique Gens a une voix sans l’ombre d’une imprécision, tout est net, précis, la ligne d’une belle musicalité débordante de couleurs dans le phrasé. Le jeu de Véronique Gens est aussi puissant, notamment au troisième acte, dans un élégant tailleur écarlate Yves Saint-Laurent ou Chanel (Collection Lagerfeld 1983), elle dit adieu à la passion en portant ses couleurs dans un oriflamme sartorial. Son dernier regard n’est pas un adieu, mais une promesse d’une nouvelle vie. 

Face à elle, Niamh O’Sullivan est un Octavian fougueux et inénarrable dans certaines scènes. La mezzo que nous avons loué dans son interprétation d’Ino dans Semele de Haendel dernièrement in loco, ne tombe jamais dans la caricature de l’adolescent en proie à la folie amoureuse au seuil de l’âge adulte. Vocalement, son Octavian est un régal, tout y est et il n’y a rien que des belles choses à en dire. La suissesse Regula Mühlemann – que nous avions découvert avec joie dans des récitals baroques -, campe une Sophie volontaire et passionnée. La ligne vocale est un fil de soie cristallin sans l’ombre d’une quelconque fragilité. Ses aigus diamantins sont galvanisés par une assise vocale sur un médium vigoureux et enveloppant. 

Le baron Ochs, en barbon sempiternel, est campé ici par Peter Rose. Drôle et parfois un peu pataud vocalement, on est agréablement surpris par un jeu tout en finesse. Dans les rôles secondaires nous remarquons la fantastique mezzo-soprano Eléonore Pancrazi dans une désopilante Annina qui mérite largement l’ovation qu’elle a eue pendant les saluts : Eléonore Prancazi est une des meilleures solistes françaises de notre temps. Dans le petit rôle du chanteur italien, nous avons aussi apprécié le ténor Francesco Demuro, à la belle présence scénique, et doté d’une voix aux mille et une irisations. Et dans le rôle de l’aubergiste, le jeune Yoann Le Lan nous ravit avec un timbre d’une rare beauté. 

L‘Orchestre national de France dévoile les sensuelles volutes de cette partition sous la conduite enthousiasmante du chef Henrik Nanasi. Pendant les près de 3h30 de l’opéra, Maestro Nanasi a gardé l’intensité au fer rouge et son énergie n’a pas du tout faibli, au contraire, l’émotion s’envolait avec des silences aussi caressants que les notes. 

A la fin de tout, alors que toutes les danses de la vie se tassent et se tarit la passion petit à petit, reste encore alors le parfum impérissable des roses de la vie que la jeunesse cueillit et dont les bouquets ne se flétrissent jamais au contact de la fourche cruelle du temps qui s’écoule sans cesse entre les doigts de ceux qui rêvent de le saisir.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, THEÂTRE DES CHAMPS-ELYSEES, 21 MAI 2025. STRAUSS : Der Rosenkavalier. V. Gens, N. O’Sullivan, R. Mühlemann, P. Rose, J-S. Bou… Orchestre national de France, Henrik Nanasi / Krzysztof Warlikowski. Crédit photographique © Vincent Pontet

 

 

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