vendredi 25 avril 2025

CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, Opéra, le 17 nov 2024. MASSENET : Thaïs. Jérôme Boutillier, Ruth Iniesta, Léo Vermot-Desroches, Carlo D’Abramo… Victorien Vanoosten / Pierre-Emmanuel Rousseau

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Voilà 15 ans (2009) que Thaïs n’avait pas été représentée à l’Opéra de Saint-Étienne. C’est une réussite éclatante qui renoue avec les grandes heures de la Maison stéphanoise, quand Massenet dont elle porte le nom, suscitait un festival lyrique… L’ouvrage concentre le meilleur Massenet, centré sur les deux rôles principaux, Thaïs et Athanaël, deux personnages qui exigent énormément des interprètes en particulier pour le baryton qui chante vertiges et démons intérieurs du moine cénobite Athanaël dont l’ardent désir pour la courtisane alexandrine, s’avère irrépressible, impérieux, destructeur.

 

Inscrite dans cette fin XIXè – début du XXè, où règnent les courtisanes parisiennes, souveraines des cœurs et des fortunes, la mise en scène (et les décors et costumes somptueux) de Pierre-Emmanuel Rousseau, s’affirme, claire, efficace, puissante, esthétique. Tout en contextualisant habilement le monde du luxe et de la sensualité (chez Nicias à Alexandrie), au style éclectique propre au Second Empire et à la IIè République, l’homme de théâtre nous rappelle que l’ouvrage est propre au style français fin de siècle ; il sait remarquablement dessiner le profil psychologique de chaque protagoniste, tout en éclairant aussi sa propre évolution… trajectoire opposée, brillamment symétrique et inversée ; à la progressive élévation spirituelle de Thaïs, qui passe de courtisane à recluse, fortifiant sa propre certitude, correspond l’implosion psychique du moine débordé, détruit peu à peu par son désir pour elle. Si Thaïs meurt comme une Sainte, apaisée, comblée ; rien de tel chez le moine que les déchirements ultimes transpercent et agitent jusqu’à la fin.

Du cabaret avec ballets et péripéties collectives effrénées, on passe au dénuement total du désert, aride, desséché… que traversent alors les deux héros, exténués, presque à l’agonie. Chaque point de maturation spirituelle signifie épreuve et lutte intérieure, ainsi que l’exprime la fine direction d’acteur ; ce qui rapproche le spectacle du cinéma : il y manque les effets de plans serrés qu’auraient pu apporter des écrans géants à l’appui du dispositif (on aime rêver). Mais le rapport salle / public permet de suivre avec intensité le parcours respectif de Thaïs et d’Athanaël.

Parmi les réussites éclatantes de la performance visuelle, saluons la présence très juste du danseur, Carlo D’Abramo, vedette des festivités chez Nicias, puis figure centrale du ballet inédit (dans ses deux volets ainsi restitués dont le Sabbat final), les « 7 esprits de la Tentation » qui finit d’exprimer la défaite totale et définitive d’Athanaël après la mort de Thaïs… Plusieurs images fortes s’imposent alors, accréditant la réussite de la mise en scène : évidemment, le moment de bascule qui nous vaut la sublime « Méditation de Thaïs » : un morceau d’anthologie pour orchestre et violon solo déployant le génie mélodique si voluptueux de Massenet ; où convaincu par le prêche d’Athanaël, Thaïs rompt (ici physiquement) le charme de sa beauté, source de son entrave sociale et qui fait d’elle l’esclave du désir masculin : elle s’entaille le visage ; scène violente qui fonctionne idéalement à mesure que chante alors un orchestre des plus envoûtants et enivrés.

Tableau purement festif et lascif pendant la fête chez Nicias (le ténor requis, Léo Vermot-Desroches, est impeccable : tendresse et puissance des aigus, présence naturelle, finesse du chant), ou images obsédantes qui s’imposent dans l’esprit du moine dévoré, chaque tableau est un marqueur important de cette nouvelle production. La somptuosité des décors ne gêne jamais la force ni le sens du drame. Elle les renforce.

 

Photo © classiquenews studio 2024

 

L’orchestre avance, droit, sans fioritures, parfois de façon un peu sèche ; mais nous n’en voudrons pas à Victorien Vanoosten d’écarter tout alanguissement douteux, toute fioriture inadéquate. Son Massenet sonne comme Verdi, en maître de l’action et des situations particulièrement dramatiques. Et l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire démontre ses indéniables qualités en couleurs et nuances dans justement la Méditation de Thaïs, axe majeur qui bouleverse le sens du drame. D’autant que le Chœur lyrique Saint-Étienne Loire, (dirigé par Laurent Touche), défend une même implication, parfois saisissante, pour chaque tableau.

Aucun des rôles « secondaires » ne démérite ; c’est même la cohérence indiscutable du plateau vocal, dans sa globalité, qui convainc de bout en bout. Chaque profil est travaillé dans l’exigence cinématographique que nous avons relevée. Artisan impressionnant et pilier de la nouvelle production, l’Athanaël de Jérôme Boutillier est bouleversant, d’humanité, de sincérité, de finesse surtout, dans un cheminement qui exprime l’ineffable, dans une gravité centrale parfaitement maîtrisée. Rongé, psychiquement atteint, en péril constant, le moine amoureux se consomme littéralement, mais avec une noblesse et une grande intelligence dramatique comme vocale pour tous ses airs et parties, ce qui signifie, pendant tout le spectacle ; le baryton reste quasiment toujours en scène, délivrant un chant affirmé et naturel, sans aucune tension, restant de surcroît intelligible du début à la fin. Moine fanatique que la frustration précipite dans la folie sauvage. Radical voire incandescent, le chanteur, formidable acteur également, sait s’économiser tout du long. L’incarnation demeure mémorable.

 

Photo © classiquenews studio 2024

 

Déjà applaudie ici même dans La Traviata, et ce soir Thaïs très humaine, la soprano Ruth Iniesta trouve elle aussi des accents justes entre chant voluptueux et profond de la courtisane, mais aussi clairvoyance et déjà renoncement de la femme qui est obsédée par la mort et la finitude. La justesse de l’actrice, l’intensité du chant aux très belle couleurs apportent un complément idéal à l’Athanaël de Jérôme Boutillier. Leur duo est remarquable de vérité. En outre, la version proposée, fusionne celles de 1894 et celle de 1898 (avec les ballets inédits déjà cités). De quoi se régaler musicalement, dramatiquement, vocalement, visuellement. Que demander de plus ?

 

Photo © Opéra de Saint-Etienne-Cyrille Cauvet

 

 

VIDÉO REPORTAGE

Pour 3 dates événements (15, 17 et 19 novembre 2024), l’Opéra de Saint-Etienne présente une nouvelle production de THAIS de Jules Massenet, l’enfant du pays, dans la mise en scène de Pierre-Emmanuel ROUSSEAU. Inspiré des maisons closes du Second Empire, à l’époque des courtisanes souveraines d’un Paris voué au luxe et au plaisir, le spectacle fusionne versions de 1894 et 1898 : il intègre en particulier plusieurs ballets très rarement réalisés dont partie des 7 esprits de la Tentation où le moine cénobite Athanaël exprime sa complète destruction psychique, dévoré par un désir qui le submerge et ne l’a jamais vraiment quitté, son désir pour Thaïs, d’autant plus inaccessible que l’ancienne courtisane alexandrine, elle, a trouvé en fin d’action, la paix spirituelle… Production événement – reportage CLASSIQUENEWS.TV © 2024

 

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