samedi 10 mai 2025

CRITIQUE, opéra. OPÉRA DE RENNES, le 9 mai 2025. MOZART : La Flûte enchantée (nouvelle production). Elsa Benoit, Nathanaël Tavernier, Damien Pass, Lila Dufy,… Nicolas Ellis (direction), Mathieu Bauer (mise en scène)

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C’est la nouvelle production lyrique événement de cette fin de saison 2024 – 2025 en Bretagne et dans les Pays de la Loire : d’abord créée à Rennes (jusqu’au 15 mai) puis reprise à Nantes et à Angers (à partir du 24 mai), La Flûte enchantée de Mathieu Bauer s’affiche lumineuse et facétieuse, d’autant plus convaincante que la distribution vocale sait réjouir voire captiver et que la mise en scène sert un propos cohérent et juste, à mille mieux des décalages et réécritures habituels.

Photos : La Flûte Enchantée par Mathieu Bauer / Opéra de Rennes : © Laurent Guizard

 

 

 

 

FÉERIE FORAINE

Nathanaël Tavernier (Sarastro) et Elsa benoit (Pamina) © Louis Guizard / Opéra de Rennes, mai 2025

 

La vision qui convoque le monde des forains – manège tournoyant, roue géante, barbe à papa et pommes d’amour à l’avenant, en couleurs vives et acidulées, convoquant héros populaires et techniciens, demeure d’un bout à l’autre, continument grave et drôle, en cela fidèle à l’esprit même du spectacle voulu par le dernier Mozart [et son librettiste complice Shikaneder], la fusion du conte féerique et du parcours maçonnique se réalisant alors sans confusion.

Sarastro – personnage clé du drame et qu’une machination illusoire voudrait présenter comme un tyran sans cœur, assure d’abord, en vrai Mr Loyal, la présentation des personnages, de l’action, des enjeux…. À travers des péripéties multiples, les personnages [par ordre d’apparition : Tamino le prince, Papageno son double comique, Pamina la belle captive…] passent chacun autant d’épreuves décisives où les sujets en question sont l’amour, la fraternité, la sagesse…

Après un premier acte d’exposition [où aussi le prince reçoit la Flûte magique qui permettra aux hommes de retrouver leur humanité, sujet central de l’opéra], la seconde partie est bien celle des mutations profondes où chacun (ré)apprend l’humanité et les valeurs maçonniques [égalité, vérité, fraternité], passant symboliquement les épreuves du feu, de l’eau, de l’air et de la terre, dans un continuum à la fois féerique et symbolique ; des ténèbres [marquées par l’esprit de vengeance] à la pleine lumière finale [où la vérité est révélée et les forces du mal (c’est à dire La reine de la nuit, Monostatos et les 3 dames) sont démasquées.
Tout cela se voit et se comprend sans lourdeur, et dans une joie contagieuse grâce au travail de Mathieu Bauer, et dans le décors réalisés dans les ateliers de l’Opéra de Rennes.

 

 

 

OPÉRA POPULAIRE

En outre à Rennes, le rapport scène / fosse / parterre se révèle idéal pour un spectacle qui n’oublie jamais dans son déroulement la place du spectateur : Mozart invente véritablement l’opéra populaire de surcroît en langue allemande, somptueuse offrande qui prolonge et approfondit une compréhension exceptionnellement profonde de la nature humaine… Au début, le passage de la réalité [l’adresse de Sarastro au public] à la féerie se réalise très simplement par le truchement des effets de brouillard qui flotte au dessus des spectateurs et plonge la salle soudainement dans le rêve et l’illusion [première scène où Tamino est poursuivi par le serpent monstrueux]. Puis en spectacle fraternel ouvert à tous, le chœur des esclaves charmés par les clochettes de Papageno est entonné par le public dans la salle, superbe impression qui renoue avec l’essence populaire de l’opéra (tel qu’il est encore vécu en Italie ou à Malte où ls habitants participent concrètement à chaque production des maisons d’opéras).

 

Le milieu des forains et des attractions foraines compose le cadre de la nouvelle Flûte Enchantée à l’affiche de l’Opéra de Rennes puis de Nantes et d’Angers, en mai et juin 2025 © Louis Guizard

 

 

 

 

 

RÉJOUISSANT PLATEAU VOCAL

Ce soir, outre l’intelligence et l’humour de la mise en scène, le spectateur a pu se délecter du chant très convaincant de l’équipe réunie sur scène. Le quatuor Pamina / Papageno / Sarastro / La Reine de la nuit se distingue particulièrement.

Assurant une prise de rôle attendue, la soprano ELSA BENOIT touche au coeur : sa PAMINA rayonne de sensibilité et d’intensité ; l’intelligence du verbe, la finesse des phrasés, la subtilité et le naturel s’avèrent superlatifs avec en particulier, face à Tamino alors contraint au mutisme absolu [l’épreuve du silence], l’air « Ach, ich fühl’s », déchirant de sincérité et de gravité…[acte II]. En outre le compositeur a réservé à la soprano les plus beaux duos avec Papageno [dont celui de l’acte I, sur 2 balançoires, hymne fraternel des plus émouvants qui célèbre l’art d’aimer : « Bei Männern »]. PAPAGENO pour sa part est magnifiquement campé par DAMIEN PASS, chant naturel lui aussi, ancré dans le bon sens populaire ; de même le SARASTRO de NATHANAËL TAVERNIER affirme sa prestance et sa noblesse naturelle, conférant au personnage du Grand maître du Temple, un charisme humain rayonnant. Reste LILA DUFY qui remplace ainsi Florie Valiquette initialement prévue : sa Reine de la nuit s’impose elle aussi par la facilité des coloratoures, un timbre naturel aux aigus faciles et percutants, en particulier dans le 2e air qui est celui de la manipulation haineuse et criminelle [« Der Hölle Rache… » : la mère exige de sa fille Pamina qu’elle tue Sarastro, ni plus ni moins], rare et génial emploi par Mozart d’un coloratoure stratosphérique d’un caractère rien que démoniaque.

Saluons aussi le Monostatos de BENOÎT RAMEAU, dont la verve naturelle confère au personnage du geôlier libidineux une sincérité inédite quand d’ordinaire les productions soulignent son esprit rien que caricaturalement et étroitement maléfique.
Le Tamino de MAXIMILIAN MAYER vocalement assuré, manque à notre avis de douceur : ses aigus sont en tension et souvent forcés ; dommage car aux côtés de la Pamina luxueuse d’Elsa Benoit nous aurions pu applaudir un couple d’anthologie [même si selon nous le personnage du prince est moins travaillé et riche que celui de Papageno]. Enfin les deux hommes armés du temple [en particulier le baryton scéniquement très à l’aise et vocalement solide de THOMAS COISNON / l’Orateur, comme la Papagena d’AMANDINE AMMIRATI, complètent très habilement le plateau vocal.
Le Chœur Mélisme(s), ensemble en résidence à l’Opéra de Rennes, sait attendrir et humaniser chacune des interventions du Chœur comme le trio des garçons – guides bienveillants pour Tamino dans son parcours semé d’épreuves, ici tenu par 3 jeunes filles, issus de la Maîtrise de Bretagne. Spectacle réjouissant et lumineux. Incontournable.

 

 

 

 

Les membres du Choeur Mélisme(s) incarnent les esclaves sous la coupe de Monostatos © Louis Guizard

 

Vive et précise, enjouée et facétieuse comme la mise en scène, la direction du chef Nicolas Ellis réalise l’alliance réjouissante de l’humour et de la profondeur. Dès l’ouverture, la clarté et la légèreté s’invitent au bal de l’intelligence et de la finesse. Le spectateur séduit dès le début, (re)découvre le chef d’oeuvre mozartien dans sa richesse préservée : son imaginaire enfantin, son univers féerique parfois terrifiant, ses références maçonniques, toute sa trajectoire amoureuse et fraternelle d’une lumineuse éloquence.

 

 

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Encore 3 représentations à l’Opéra de Rennes : les 11, 13 et 15 mai 2025 – TOUTES LES INFOS ici : https://www.classiquenews.com/opera-de-rennes-mozart-la-flute-enchantee-les-7-9-11-13-15-mai-2025-florie-valiquette-elsa-benoitnicolas-ellis-direction-mathieu-bauer-mise-en-scene/
Visitez aussi le site de l’Opéra de Rennes / page La Flûte Enchantée : https://www.opera-rennes.fr/fr/evenement/la-flute-enchantee
Puis à l’affiche d’Angers Nantes Opéra à partir du 24 mai au 18 juin 2025 : https://www.angers-nantes-opera.com/la-flute-enchantee….
Mercredi 18 juin 2025 (20h) : la production de La Flûte Enchantée sera projetée sur grands écrans en extérieur, et en direct pendant la dernière représentation scénique depuis la scène du Grand-Théâtre d’Angers, dans le cadre du dispositif « Opéra sur écrans » : projection sur tout le territoire en plein air et en accès gratuit – Place Graslin à Nantes et Place du Ralliement à Angers, mais aussi dans plusieurs lieux des Pays de la Loire / plus d’infos : https://www.angers-nantes-opera.com/opera-sur-ecrans-la-flute-enchantee
Retransmission sur la plateforme france.tv, le site internet de France 3 Pays de la Loire et les télévisions locales : Télénantes et Angers Télé, LM Tv Sarthe, TV Vendée, TVR, Tébéo-TébéSud et Val de Loire TV

 

MOZART : La Flûte enchantée par Mathieu Bauer

OPÉRA DE RENNES
Du 7 au 15 mai 2025

 

NANTES – THÉÂTRE GRASLIN

MAI
Samedi 24 – 18 h
Lundi 26 – 20 h
Mercredi 28 – 20 h
Vendredi 30 – 20 h

JUIN
Dimanche 1er – 16 h

ANGERS – GRAND THÉÂTRE

JUIN
Lundi 16 – 20 h
Mercredi 18 – 20 h
Retransmis en direct dans le cadre de l’opération « Opéra sur écran », spectacle en direct, en plein air, accès gratuit…

Opéra en allemand, surtitré en français
Durée : 3 h 15, avec entracte

 

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