jeudi 17 avril 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre du Châtelet, le 14 mars 2025. GRIEG : Peer Gynt. B. de Roffignac, R. Camarinha, D. Bigourdan… Olivier Py / Anu Tali

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Depuis sa création, Peer Gynt est rarement donnée dans sa forme originelle. Pièce-fleuve, de près de quatre heures, alliant musique, danse, théâtre…, en soi une œuvre d’art totale – le Gesamtkunstwerk n’était pas l’apanage de Richard Wagner, elle peut intimider et l’on a plus souvent en concert la suite d’Edvard Grieg que l’œuvre d’Henrik Ibsen. Limoges en 2017, avec beaucoup de coupes, ou Dijon en 2014 avaient tenté le pari. Mais force est de constater que, depuis la création, « les deux œuvres ne se recroisent presque plus », comme le déplore Olivier Py qui a pris l’initiative de porter le projet sur la scène du Théâtre du Châtelet, tout en assurant la traduction de la pièce, parties chantées incluses. 

 

 

Une traduction faite à partir de l’anglais, « qui accélère la langue », et, notamment pour le chant, une « tradaptation », néologisme qui décrit une traduction effectuée « selon les règles de la prosodie », pour parvenir à une traduction non pas littéraire mais « musicale et théâtrale ». L’accessibilité du texte s’en trouve accrue, même si parfois les sur-titres en anglais aident à entendre les vers d’Ibsen, parfois écorchés par certains acteurs soumis il est vrai à une mise en scène frénétique où l’on se déplace comme on parle – vivement. Frénétique ? Le mot n’est pas usurpé : le metteur en scène impose à sa troupe une course sans fin, débridée, joyeuse ou violente, course existentielle dira-t-on si l’on s’en tient au thème de la pièce. A la circulation des personnages répond celle des décors. Typiquement nordiques dans leur simplicité et avec leurs toits très pentus, des maisons vont et viennent côté cour comme jardin, où s’abrite la mère de Peer, où se recueille et attend Solveig. Le plateau parfois s’ouvre pour faire surgir, ici une salle de bal, là un asile psychiatrique au-dessus desquels on peut circuler – et les acteurs ne s’en privent évidemment pas. Quelques accessoires du plus sommaire, un carton, au plus inattendus : un bateau gonflable, un palmier, jalonnent la scène et les acteurs s’en emparent et en jouent avec une forme d’avidité folle, comme pour ajouter au caractère survolté de la soirée. Toute la chorégraphie (Ivo Bauchiero), dansée ou non, force l’admiration tant elle ne laisse aucun répit et se déroule impeccablement.

Saluons ici Bertrand de Roffignac qui, en Peer Gynt, livre une performance éblouissante en occupant l’espace durant les plus de deux-cents minutes d’un spectacle à la durée extravagante. Savourant un texte incisif et drôle, le comédien déclame, murmure, grogne, apostrophe le public à l’occasion, rumine des monologues, tour à tout joyeux, sombre voire sinistre, contemplatif, pessimiste ou interrogatif. De tous ces registres surgit un personnage fantasque, pas forcément aimable mais profondément vivant. Jusqu’à la scène finale où, aux pieds de Solveig, qui l’a attendu sa vie durant dans une résignation sulpicienne, il se couche, dans une posture fœtale, soulignant combien il confond l’amour de la femme et de la mère. 

La scène du Châtelet est vaste. Le dispositif scénique relègue l’orchestre au second plan, les musiciens étant soit occultés par un rideau, soit aperçus en transparence à travers ce même rideau qui s’orne alors de silhouettes projetées et mouvantes. La lisibilité de la partition n’en souffre aucunement. Certains intermèdes musicaux sont abordés comme une pause dans la pièce, d’autres sont au cœur de l’action, comme la célèbre danse du roi de la montagne ou la chanson de Solveig. La distance n’empêche aucunement la musicalité et l’on saluera ici la parfaite homogénéité de l’ensemble, avec une mention pour les percussions, parfaitement tenus, et les bois d’une grâce toute nocturne. Les parties chantées mettent ainsi en valeur les interprètes, qu’ils soient comédiens s’essayant au chant avec plus ou moins de bonheur, ou chanteurs confirmés. En Solveig, Raquel Camarinha marque sans doute un peu trop de retenue pour laisser son chant s’épanouir pleinement mais cela s’explique probablement par le personnage qui lui est confié, d’une tendresse assez rigide. Et sa berceuse finale balaie toute réticence. Endossant plusieurs rôles (Roi des Trolls, le Courbe…), Damien Bigourdan fait entendre ses qualités vocales, tout en s’épanouissant dans l’exubérance scénique voulue par Olivier Py. On notera aussi les petits mais multiples rôles dévolus à Clémentine Bourgoin, Justine Lebas, Lucie Peyramaure – notamment lorsqu’elles forment avec bonheur un délicieux trio de vachères.

Une réussite. Totale comme l’œuvre !

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre du Châtelet, le 14 mars 2025. GRIEG : Peer Gynt. B. de Roffignac, R. Camarinha, D. Bigourdan… Olivier Py / Anu Tali. Crédit photo © Vahid Amanpour

 

 

VIDÉO : Trailer de « Peer Gynt » de Grieg selon Olivier Py au Théâtre du Châtelet

 

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