Quel superbe chef-d’œuvre que l’oratorio Elias de Felix Mendelssohn ! Sauf au Royaume-Uni où l’ouvrage a toujours suivi de près le Messie de Haendel, Elias/Elijah aura mis longtemps à se défaire de critiques peu fondées. Car qu’il s’inscrive dans la lignée de Bach-Haendel n’est pas un défaut, loin s’en faut ! Tout le début de l’ouvrage, s’ouvrant par un récitatif avant l’ouverture culminant dans un grand choeur, suivi d’un duo de sopranos, et d’un tendre récit et air de ténor, pareille fresque n’a rien de passéiste. Certes, tous les éléments de l’oratorio suivront, mais colorés de timbres et de formes que seul le Romantisme pouvait refléter et transfigurer.
Dans cette version scénique de l’oeuvre – signée par Calixto Bieito pour le Theater an der Wien, et reprise à l’Opéra de Lyon pour les Fêtes de fin d’année -, le miracle provient d’abord et avant tout de la fosse – un Orchestre de l’Opéra national de Lyon à son meilleur – et du choeur maison, principal protagoniste de l’oratorio (devant même le prophète Elie). Le chef allemand Constantin Trinks leur insuffle son incroyable fougue, toute la splendeur de l’interprétation rayonne d’instruments parfaitement harmonieux, et d’un choeur éblouissant de clarté polyphonique et de nuances – les deux entités étant ici couronnées par le héros somptueux que se révèle être Derek Welton. Le baryton australien domine l’écrasant rôle-titre et le colore de toutes les couleurs du liedersänger qu’il est aussi. Autre personnage remarqué, l’extraordinaire Veuve de la soprano serbe Tamara Banjesevic, à la technique infaillible, quand les graves abyssaux de l’alto étasunienne Beth Taylor (la Reine) font passer un frisson le long de l’échine. Robert Lewis prête son timbre suave au personnage d’Ovadyah et Kai Rüütel distille toute l’émotion dont la voix est à la fois porteuse et coutumière, ici distribuée dans la partie de l’Ange. Les comprimari se montrent également irréprochables, avec une mention pour le Séraphin de l’italienne Giulia Scopelliti.
Enfin, la production du trublion catalan Calixto Bieito signe une mise en scène plutôt sage par rapport à sa sulfureuse réputation, qu’il relie bien évidemment aux soubresauts que vit notre monde contemporain, notamment au travers de vidéos signées par Sarah Derendinger. Sa direction d’acteurs, qui a toujours été sa force, s’avère à la fois forte et millimétrée, à l’instar de ce peuple versatile qui passe, en un claquement de doigts, de la joie paroxystique à la haine totale, écoutant le meilleur harangueur – à l’instar de nos sociétés contemporaines qui portent au pouvoir ici un Trump, là un Bolsonaro, ou plus récemment un populiste comme Javier Milei en Argentine… On comprend moins certaines scènes ou personnages énigmatiques, tel ce double de Giulietta Masina (dans La Strada de Fellini) omniprésente du début à la fin, courant en tout sens en faisant des moulinets avec ses bras, et qui ne cesse de se gratter ? Mais comme tous les grands noms de la scène d’aujourd’hui, Bieito a ses marottes qu’il ne faut pas toujours chercher à comprendre…
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CRITIQUE, opéra. LYON, opéra (du 17 décembre 2023 au 1er h=janvier 2024). MENDELSSOHN : Elias. D. Welton, B. Taylor, T. Banjesevic, R. Lewis… Calixto Bieito / Constantin Trinks. Photos © Bertrand Stofleth.
VIDEO : Trailer de « Elias » de Felix Mendelssohn à l’Opéra de Lyon