jeudi 29 mai 2025

CRITIQUE, opéra (en version concertante). VERSAILLES, Opéra Royal, le 25 mai 2025. WAGNER : Siegfried. T. Unger, A. Asszonyi, S. Bailey… Orchestre national de la Sarre, Sébastien Rouland (direction)

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Dans le cadre majestueux de l’Opéra Royal de Versailles, la version de concert du Siegfried de Richard Wagner a offert, le 25 mai 2025, une expérience musicale d’exception. Ce troisième volet du Ring des Nibelungen poursuit le cycle (entamé en 2023 avec L’Or du Rhin, suivi en 2024 avec La Walkyrie) par l’Orchestre du Théâtre National de la Sarre, sous la baguette superlative de leur directeur musical, le chef français Sébastien Rouland. Une célébration anticipée du 150ᵉ anniversaire de la création intégrale du Ring à Bayreuth (1876-2026), magnifiant le lien historique entre Louis II de Bavière, Versailles et Richard Wagner.

 

Sébastien Rouland, chef associé à ce projet cyclique depuis ses débuts, a déployé une lecture à la fois précise et flamboyante de la partition. Son orchestre, formé de musiciens rompus au répertoire wagnérien (tradition oblige dans les maisons allemandes), a fait vibrer la salle de marbre et bois doré par la transparence des textures, où les cuivres, d’une rondeur sans vulgarité, dialoguaient avec des bois d’une poésie forestière (scènes de la Forêt). L’acte I, centré sur l’ambiance étouffante de la forge, contrastait avec l’éclat cosmique de l’acte III (entrée d’Erda et réveil de Brünnhilde). Le chef a su particulièrement gérer les climax de l’ouvrage : le Murmure de la forêt (Waldweben) a jailli comme un souffle organique, tandis que la traversée du feu final a électrisé l’auditoire par sa tension progressive.

La version de concert, dépourvue de mise en scène si ce n’est quelques déplacements sur le maigre espace leur restant devant l’orchestre placé sur le plateau, exige des chanteurs une incarnation par la seule puissance du verbe et du timbre. La distribution internationale réunie à Versailles a relevé ce défi avec brio. Dans le rôle-titre, l’allemand Tilmann Unger possède un timbre clair et juvénile, idéal pour le « héros ignorant », mais la voix apparaît fragile dans le I, avant de prendre de plus en plus d’assurance au II et au III. Son “Nothung ! Nothung !” à l’acte I n’a pas eu totalement l’effet escompté, tandis que la scène du dragon révélait ensuite une palette allant de la bravoure à l’émerveillement enfantin. Son monologue final (« Ewig war ich« ) a été du plus bel effet. De son côté, la soprano hongroise Aile Asszonyi (Brünnhilde) est une soprano dramatique à la projection de laser, et elle a transformé l’immobilité en triomphe. Son réveil (« Heil dir, Sonne !« ) a déployé des aigus étincelants et une ligne de chant d’une tenue héroïque, épousant chaque nuance de l’orchestre. 

Le baryton-basse britannique Simon Bailey (Wotan), à la noble autorité, a humanisé le dieu déchu par un legato sombre et pénétrant (dialogue avec Erda à l’acte III). Son duel verbal avec Mime (Acte I) fut un modèle d’ironie tragique. Accouru en remplacement d’un collègue défaillant (et donc seul chanteur à avoir besoin d’un pupitre avec la partition…), Paul McNamara possède cette voix de ténor caractériel, emplie de duplicité. Son récit de la peur (Acte II) a révélé un art du phrasé grotesque et poignant, contrepoint parfait à la simplicité de Siegfried.. Werner van Mechelen interprète un Alberich complexe, maladif dans son obsession, appuyé par une voix puissante et riche en nuances. Formidable Erda campé ici par l’alto brésilo-américaine Melissa Zgouridi, aux graves abyssaux, tandis que la basse japonaise Hiroshi Matsui séduit grandement par la puissance de sa voix caverneuse. Enfin, Bettina Maria Bauer (L’Oiseau des bois) est une soprano légère au timbre de cristal, parfaite en guide aérien dans la forêt

Cette version de concert a démontré que la puissance du Ring réside avant tout dans sa partition. Sébastien Rouland, en alchimiste inspiré, a uni la rigueur germanique (Orchestre de la Sarre) et la clarté française (acoustique versaillaise) pour servir un récit initiatique universel. Les ovations finales – saluant particulièrement la soprano dramatique et les voix graves – ont confirmé l’émotion partagée. Rendez-vous est pris pour Le Crépuscule des Dieux en mai 2026, où le rêve de Louis II de réunir Versailles et Bayreuth trouvera son accomplissement !

 

 

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CRITIQUE, opéra (en version concertante). VERSAILLES, Opéra Royal, le 25 mai 2025. WAGNER : Siegfried. T. Unger, A. Asszonyi, S. Bailey… Orchestre national de la Sarre, Sébastien Rouland (direction). Crédit photographique (c) Emmanuel Andrieu

 

 

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