mardi 27 mai 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre du Châtelet, le 24 mai 2025. G. BIZET : L’Arlésienne / Le Docteur Miracle. D. Bawab, H. Mas, M. Mauillon, T. Dolié… Orchestre de chambre de Paris, Pierre Lebon (mise en scène), Sora Elisabeth Lee (direction)

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Sabine Teulon-Lardic
Sabine Teulon-Lardic
Critique et Musicologue : l'un nourrit l'autre et vice versa ! Sabine a écrit une Thèse sur l'opéra-comique au XIXe siècle.

Pour célébrer le 150ème anniversaire de la disparition de Georges Bizet, le Théâtre du Châtelet propose un diptyque tragique et comique du compositeur dans le cadre du festival Palazzetto Bru Zane. Versus Provence : L’Arlésienne de Daudet ; versus commedia dell’arte : Le Docteur Miracle. Avec l’Orchestre de chambre de Paris et d’excellents artistes mis en scène par l’iconoclaste Pierre Lebon, le public familial s’éclate. 

 

Versus tragique, L’Arlésienne, drame d’Alphonse Daudet avec les musiques de scène de Georges Bizet (1872, théâtre du Vaudeville) est ici remanié en conte par Hervé Lacombe, s’inspirant de la nouvelle éponyme d’Alphonse Daudet (1866). Au centre du plateau, l’immense moulin est un dispositif scénographique doublement pertinent. Au plan dramatique, les ailes en mouvement figurent la temporalité des destinées sur trois générations en milieu rural provençal, dont celle du jeune Frederi, hanté par son Arlésienne volage. En outre, le premier plateau du moulin intègre un castelet dont les toiles déroulent des paysages naturalistes ou bien des scènes folkloriques du XIXe siècle à la manière d’un diorama sous diverses saisons (Bertrand Killy aux lumières). Au plan de la récriture, les allusions aux Lettres de mon moulin (La Chèvre de M. Seguin, Le Secret de maître Cornille) trouvent ici une évocation pittoresque au pied du moulin de Fontvieille où le jeune Alphonse séjourna, proche des félibres. Plusieurs « tableaux » de bergers, arlésiens et arlésiennes sont rapidement saisis dans la mise en scène néo-réaliste de Pierre Lebon. Cependant, dans le huis-clos du mas provençal, le « réalisme poétique » et intime de L’Arlésienne peine à surgir. Car cette adaptation emmêle les fils narratifs conduisant au suicide du fils Frederi, concomitant de l’éveil de conscience de l’Innocent, son frère. En outre, la stylisation de pantomimes et chorégraphies métamorphose les êtres douloureux en santons-acrobates dans un registre trop expressionniste. Lorsque la sincérité du conteur provençal – Eddie Chignara – et la naïveté errante de l’Innocent « à la Debureau » (Pierre Lebon) habitent la scène de bout en bout, les musiques de scène de Bizet sont d’inépuisables ressources d’intimité et d’éclairage psychologique. Sous la direction de Sora Elisabeth Lee, l’Orchestre de chambre de Paris renoue avec la véritable formation de 26 musiciens et fait briller les standards : l’alerte Marche des rois en ouverture ou l’étourdissante Farandole (des emprunts de Bizet au recueil provençal de Vidal), sans omettre les joyeuses volées du Carillon. Plus rarement interprétés in extenso, les autres pages raffinées mêlent l’instrumental au quatuor vocal (les futurs interprètes du Docteur Miracle). Si le tempo du premier menuet est trop vif et haché, les tempi et nuances appropriés de la Pastorale (sicilienne pour 2 flûtes émérites) et de l’Adagietto (mélodrame sous les aveux amoureux des vieillards) forment deux pics de séduction sous une nuit étoilée à la Van Gogh.

Versus comique, le public est à la fête en découvrant Le Docteur Miracle, opéra-comique en un acte du jeune Bizet (à peine 19 ans), composé pour le concours offenbachien des Bouffes-Parisiens (1857) qu’il gagne, ex aequo avec Charles Lecocq. Sous la plume de L. Battu et L. Halévy, le canevas dell’arte oppose le Podestat de Padoue dupé (baryton) au clan des jeunes amoureux, sa fille Laurette (soprano) et le capitaine Silvio (ténor), rejoints par sa seconde épouse Véronique (mezzo). Silvio est prêt à tous les travestissements (charlatan, serviteur Pasquin, docteur) pour obtenir le consentement paternel au mariage. La scénographie efficace d’un théâtre de tréteaux – un empilement de praticables et de trappes campant la maison du Podestat sur la place publique – donne lieu à d’acrobatiques jeux de scène, calibrés sur les rythmes musicaux. Tous vêtus de rouge comme au cirque, les quatre chanteurs en défient les risques sur les pas d’un effronté manipulateur (rôle parlé incarné par Pierre Lebon 1). Ce bateleur des farces du Pont-Neuf, mâtiné de Sganarelle du Malade imaginaire, mène l’intrigue. Après l’ouverture virevoltante, de piquants numéros vocaux déroulent les épisodes de la pasquinade, entrecoupée de vifs dialogues. Le talent précoce de Bizet s’y expose, apte à composer la couleur du moment. Pour se limiter à des exemples, le second tempo de l’ouverture frétille sous la baguette de la cheffe de l’Orchestre de chambre de Paris; la fanfare de rue (coulisse) couine avec un brio clinquant. Autres registres, la tendre effusion de la romance de Laurette, détaillée avec fraîcheur par Dima Bawab (L’amour vient) s’enchaîne au registre décomplexé de la cupidité dans l’air de Véronique. La crânerie et la splendeur du timbre d’Héloïse Mas y fait merveille. Si le prétendant – Marc Mauillon – séduit par un naturel vocal adapté à ses travestissements (Je sais monter les escaliers), le podestat au ventre postiche – Thomas Dolié – affiche également une belle palette expressive. Ces protagonistes patentés excellent dans l’iconique « quatuor de l’omelette », bissé lors de la création aux Bouffes. Le registre prosaïque de la recette est audacieusement détourné vers les codes sérieux du bel canto contemporain (Donizetti), construisant une progression et un crescendo superlatifs depuis le tempo lent initial. La grandiloquence vocale est d’une discordance désopilante au vu des paroles. En complicité de l’Orchestre, les interprètes en savourent le sel pour notre plus grand plaisir.

Dans ce diptyque tragique / comique, le public du Théâtre du Châtelet découvre les facettes du génie de Bizet (1838-1875), avant l’incontournable Carmen. L’intériorité tragique comme l’ironie cocasse s’affirment pleinement, à quelque âge de sa brève carrière.

 

 

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CRITIQUE, opéra / conte musical. PARIS, Théâtre du Châtelet, le 24 mai 2025. G. BIZET : L’Arlésienne / Le Docteur Miracle. D. Bawab, H. Mas, M. Mauillon, T. Dolié… Orchestre de chambre de Paris, Pierre Lebon (mise en scène), Sora Elisabeth Lee (direction). Crédit photographique © Thomas Amouroux

 

 

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