La maison d’opéra amstellodamoise poursuit brillamment sa saison (après Rigoletto de Verdi en septembre) avec Peter Grimes de Benjamin Britten. Un production exaltante de force mettant au premier plan ce chef d’œuvre de l’art lyrique au XXe siècle. La noirceur de la culpabilité de Peter Grimes, imposée par le village et rongeant Grimes de l’intérieur, se fait sentir dès le lever de rideau.
La metteuse en scène Barbora Horáková nous plonge immédiatement dans le sentiment de lourdeur qui pèse autour du personnage principal par une première image très frontale. Cette frontalité, avec la violence, avec la méchanceté, avec la misère, ne nous quittera pas jusqu’à la fin de l’opéra. Si l’on peut trouver cette mise en scène statique, nous pensons que c’est parfaitement en accord avec le livret et la partition. Seule la mer bouge, les hommes sont tous bornés… B. Horávoká crée des tableaux particulièrement marquants, notamment à la fin ; pour le dernier air de Grimes, où ce dernier est debout devant trois bateaux qui s’élèvent comme les trois croix sur un fond noir profond. Il faut souligner ici le travail remarquablement intelligent de Sascha Zauner aux lumières, qui contribue grandement à la beauté des images.
Le rôle-titre, écrit pour le compagnon de Britten, Peter Pears, est ici interprété avec beaucoup de sensibilité par Issachah Savage. Le ténor américain – souffrant à la générale et la première, avait été remplacé, et chantait donc pour la première fois en cette soirée de deuxième représentation. Malgré une très belle présence scénique et une diction irréprochable, on peut encore ressentir une certaine fragilité vocale due sans doute à la maladie induisant une certaine insécurité scénique. Nous ne doutons pas que cela ira de mieux en mieux au fil des représentations. Et le chanteur paraît malheureusement d’autant plus fragile que le reste du plateau est à couper le souffle. Mais avant de parler des autres solistes, l’autre personnage principal – quand il est interprété avec autant de force – est sans nul doute le chœur. Placé sous la direction précise, incisive, énergique d’Edward-Ananian Cooper, le Koor van De Nationale Opera a encore prouvé son excellence musicale et scénique, dans un répertoire particulièrement exigeant.
Crédit photographique © Monika Ritterhaus
Les chanteurs néerlandais, habitués de la maison, sont d’un excellent niveau, à commencer par Johanni Van Oostrum qui interprète l’institutrice Ellen Orford. L’on est subjugué par sa large palette de couleurs, allant de graves sérieux et chauds, à des aigus intensément lyriques, en passant par un médium expressif. Également Néerlandaise, Helena Raskercampe campe une Auntie fruste et masculine, parfaitement dans le caractère qu’on attend de cette tenancière de bar. Lucas Van Lierop est un ténor touchant, au chant très naturel, passant d’une émotion scénique à l’autre, sans jamais détériorer sa voix. Il est issu du Dutch National Opera Studio, tout comme son brillant confrère Sam Carl qui est marquant sur tous les plans dans le petit rôle d’Hubson. C’est encore un néerlandais qui tient le rôle du révérend Horace Adams, le ténor Marcel Reijans, à la voix claire idéalement timbrée. Il est bon de voir tous ces chanteurs locaux d’une très grande qualité réunis sur un même plateau. Particulièrement à l’aise dans ce répertoire, le baryton anglais Leigh Melrose (dans le rôle de Balstrode) est parfait : une voix époustouflante de puissance et d’énergie, et un sens du théâtre très développé. Également britanniques, Claire Barnett-Jones et James Platt sont de remarquables acteurs, à l’aise dans la folie typique propre à leur personnage.
Enfin, l’Orchestre du Nederlands Philharmonisch est mené avec brio par le séduisant chef suisse Lorenzo Viotti, aussi attentif à ses chanteurs qu’à la variété de couleurs très symphoniques qu’il donne à l’orchestre dans les célèbres interludes. L’orchestre est tout à fait à l’aise dans ce répertoire difficile, ce qui prouve encore une fois la très haute qualité des musiciens de la phalange amstellodamoise. Une production idéale et très justement appréciée par l’enthousiaste public néerlandais !
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CRITIQUE, opéra. AMSTERDAM, De Nationale opera en ballet, le 9 octobre 2024. BRITTEN : Peter Grimes. I. Savage, J. Van Oostrum, L. Melrose… Barbora Horáková / Lorenzo Viotti. Photos © Monika Ritterhaus
VIDÉO : « Behind the scenes » de Peter Grimes à l’Opéra d’Amsterdam