Dans l’écrin intimiste de la Salle Pasteur, et toujours dans le cadre du 40e Festival Radio France Occitanie Montpellier, Bohdan Luts – phénomène violonistique couronné par quatre prix simultanés au Concours Long-Thibaud 2023 (Premier Grand Prix, Prix du Public, Prix de la Presse, Prix de l’Orchestre) – a livré un récital d’une maturité stupéfiante pour ses vingt ans à peine. Aux côtés de la pianiste Olga Sitkovetsky, experte dans l’accompagnement des jeunes prodiges, il a construit une « architecture sonore concentrique » (selon le programme) autour de Ravel, déployant une palette émotionnelle allant de la méditation mystique à la virtuosité diabolique.
Place d’abord à la Sonate pour violon et piano en sol majeur de Maurice Ravel. Dès l’Allegretto initial, Bohdan Luts a imposé une clarté néoclassique lumineuse, dialoguant avec le piano de Sitkovetsky dans un équilibre chambriste parfait. Le mouvement central, « Blues », fut la révélation : son glissando irrésistible évoquait autant les smokings de Harlem que les cafars de Montmartre. Luts y a révélé une sensibilité jazzistique inattendue, transformant son Carlo Antonio Testore (prêté par la Fondation Fischli) en un instrument de blues désinvolte et raffiné.
Avec Fratres d‘Arvo Pärt, Luts a transcendé la technique pour toucher au sacré. Les pizzicati résonnaient comme des gouttes d’eau dans un cloître, tandis que les lignes mélodiques, étirées à l’extrême, créaient une tension hypnotique. Sitkovetsky a enveloppé le violon d’un halo de notes répétées, rappelant le « tintinnabulum » cher au compositeur estonien. Un moment de suspension hors du temps.
Dans Caprice d’après l’Étude en forme de valse de Saint-Saëns & Poème élégiaque d’Eugène Ysaÿe, le virtuose a jailli avec une aisance confondante. Le Caprice – pièce imposée au récent Concours Long-Thibaud – a vu Luts déployer un arsenal de doubles cordes, staccati et harmoniques d’une précision laser, sans jamais sacrifier l’élégance de la valse. Le Poème élégiaque, en contraste, fut un torrent romantique : son vibrato large et son legato onctueux ont rappelé pourquoi Ysaÿe le surnommait « Chant d’amour ».
Cantabile de Nicolo Paganini est une pièce courte mais capitale, elle a révélé l’art du chant lutien : un son crémeux, un phrasé vocal où chaque note pleurait ou souriait. Le dialogue avec le piano fut ici d’une complicité touchante, Sitkovetsky soutenant le cantabile d’accords pudiques.
Clôture idéale et incendiaire, enfin, avec le fameux Tzigane de Maurice Ravel. Bohdan Luts a transformé son violon en tsimbalom des steppes, depuis l’introduction solo hallucinante (où chaque harmonique semblait défier les lois de l’acoustique) jusqu’au galop final effréné. Sitkovetsky, en partenaire égale, a ciselé les traits pianistiques avec une énergie rythmique électrisante.
L’ovation debout qui a suivi était inévitable !…
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CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 40e Festival Radio France Occitanie Montpellier, le 7 juillet 2025. RAVEL, PAËRT, YSAŸE, PAGANINI. Olga SITKOVETSKY (piano), Bohdan LUTS (violon). Crédit photo (c) Droits réservés