Pour la première fois était reprise – au Festival (d’automne) de Glyndebourne -, la production d’“Il Turco in Italia” de Gioacchino Rossini, imaginée par la metteure en scène française Mariame Clément pour le festival anglais en 2001. Une production vraiment divertissante et très amusante. Le propos de la comédie repose ici sur un écrivain contemporain, Prosdocimo, en panne d’inspiration et qui feuillette un magazine de voyage, et qui se met à créer toutes sortes de personnages et de situations à partir de celui-ci. Installé à son bureau, il écrit, tandis que les mots apparaissent derrière lui sur un immense tableau. Au fur et à mesure qu’il apporte des modifications, celles-ci se reflètent sur le tableau. Mais sa partenaire Fiorilla intervient également, apportant des changements qui semblent provenir d’une perspective féminine plutôt que masculine. Avec ingéniosité, les personnages, les décors et les accessoires se transforment au fur et à mesure de ces ajustements. Le rôle de Prosdocimo est interprété avec beaucoup d’humour et une certaine naïveté par le baryton britannique Ross Ramgobin, en pleine ascension.
Crédit photographique © Tristram Kenton
Dès l’ouverture, cette idée est introduite lors d’une séance de dédicaces par l’auteur. Il est accompagné d’une petite amie séductrice et en quête d’attention (en fait Zaïda), qu’il abandonne au profit d’une assistante plus raisonnable. Lorsque le rideau se lève, l’auteur est à son bureau et l’assistante devient sa compagne, celle qui modifiera constamment l’histoire. La première moitié de la production se déroule dans le bureau de l’auteur, où les personnages apparaissent au fur et à mesure qu’il écrit son roman. Cela signifie également que la scénographie (comme des roulottes de gitans, une pièce du 19e siècle, puis une station-service du 21e siècle) apparaissent sur scène depuis les coulisses sur un tapis roulant, puis disparaissent de l’autre côté. Les personnages doivent aussi constamment se métamorphoser en fonction des changements dans le roman. Ainsi, le Turc passe d’un costume traditionnel à un jeans et un blouson en cuir, tandis que la femme séductrice troque ses vêtements du 19e siècle contre une tenue des années 1950, et ainsi de suite…
La soprano russe Inna Demenkova semblait avoir été vraiment surprise par la chaleur de l’accueil du public de Glyndebourne. Elle n’aurait pourtant pas dû l’être, car elle interprète le rôle de Fiorilla avec non seulement beaucoup de charme, mais aussi beaucoup d’à-propos dans les exigences vocales de Rossini, avec en plus un jeu scénique particulièrement séduisant. Cela est également vrai pour son mari, Don Geronio, interprété par le baryton italien Fabio Capitanucci, ainsi que pour le séduisant, superbement timbré et magnifiquement vocalisant, Selim chanté ici par la basse écossaise Michael Mofidian.
Ces trois chanteurs ne cessent de ravir le public tout au long de la soirée, surmontant par ailleurs avec aisance toutes les exigences dramatiques, y compris les chorégraphies complexes. On a également droit aux moments de chants pétillants dus à Grace Durham dans le rôle de Zaïda, personnage terre-à-terre et en quête de l’affections du séduisant Turc. Sa scène avec la boule de cristal, par exemple, et le « combat de chats » avec Fiorilla et Zaida, sont ainsi pleines d’esprit et très amusantes. Enfin, le rôle de l’amoureux atypique est joué par un jeune homme, Don Narciso, interprété avec ferveur par le tenorino argentin Agustín Gómez.
En fosse, la cheffe d’orchestre Olivia Clarke maintient un rythme éclatant tout au long de la partition vive de Rossini, imprégnée de nombreuses influences mozartiennes. Tout cela est traité avec tant d’humour qu’il n’y a guère de risque que des stéréotypes raciaux ou culturels puissent venir offenser qui que ce soit. C’est avant tout une comédie sur les rapports entre les sexes, mettant en scène divers archétypes masculins et féminins. Du moins, c’est ainsi que l’on pourrait le justifier !
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Critique, festival. Festival (d’automne) de Glyndebourne, Glyndebourne Opera House, le 12 octobre 2024.ROSSINI : Il Turco in Italia. I. Demenkova, R. Ramgobin, A. Gomez, M. Mofidian… Mariame Clément / Olivia Clarke. Photos © Tristram Kenton.
VIDEO : Trailer de « Il Turco in Italia » de Rossini selon Mariame Clément au Festival de Glyndebourne