Créée en 2015 à l’Opéra national de Paris, la pièce chorégraphique de John Neumeier “Le Chant de la terre” (sur la musique de Gustav Mahler) est reprise au Théâtre du Capitole de Toulouse pour six représentations, dans une version chambriste (orchestrée par Schoenberg) tout à fait adaptée à la fosse capitoline. Les six magnifiques poèmes – tous ré-adaptés d’écrivains de la période Tang (VIIIème siècle après J.C) – émaillent une partition qui exprime l’envie du compositeur viennois de retrouver du goût pour la vie alors que la mort approche, et qui se conclut par le mot “Ewig” (“Pour l’éternité”), répété 7 fois.
La traduction scénique de l’ouvrage mahlérien est très lisible. Un immense disque surplombe l’arrière-scène, évoquant notre terre et son halo bleutée, qui change de couleur selon les humeurs changeantes, gaies ou triste, de la partition. Un jeune homme, Philippe Solano, se souvient de son meilleur ami d’enfance, incarné par Kleber Rebello, leur joyeuse amitié, avant d’en être éloigné par la rencontre avec une femme (Nina Queiroz), et enrer dans une vie de couple “standard”, à l’instar d’autres couples qui font alors leur apparition sur scène. Le second reste lui en retrait, mais réapparaît à de nombreuses reprises, comme la réminiscence de cette amitié passée.
Une cérémonie orientalisante se produit en arrière-plan, sur les tons rouges/orangés d’un soleil couchant, et la simplicité de ce cérémonial se retrouve dans la chorégraphie de John Neumeier. Un certain formalisme dans les rapports entre les êtres, une fluidité qui exclut toute tension, un refus drastique de la culture occidentale qui est cependant évoquée quand les hommes apparaissent en jeans. Le groupe de danseurs masculins est superbe à regarder, bien que rien ne surprenne, et les pas dans les duos masculin-féminin et masculin-masculin créent des rapports frôlant plein de non-dits.
Pour souligner la théâtralité, et donner plus de profondeur encore à la musique, Neumeier instille des silences entre les différents Lieder. Les danseurs les meublent par des marches ou des danses solennelles qui créent des cérémonies ô combien mystérieuses. La partition est pourtant chantée avec une sensibilité ô combien touchante par la mezzo française Anaïk Morel et un santé revigorante par le ténor espagnol Airam Hernandez, l’un des chanteurs-chouchous de la maison occitane. Toute en transparence, avec sa dizaine de musiciens, la phalange toulousaine se pare d’une poésie prenante, grâce à la battue aussi précise que souple du chef français Nicolas André. Attentif et ému, le public attend de longues secondes avant de briser le lourd silence que les bouleversant “Ewig” égrenés par la mezzo lui impose…
_____________________________________________
CRITIQUE, danse. TOULOUSE, Théâtre du Capitole (du 19 au 25 avril 2024). G. MALHER / J. NEUMEIER : Le Chant de la Terre. Ballet de l’Opéra national du Capitole / Airam Hernandez (ténor), Anaïk Morel (mezzo) / Orchestre National du Capitole de Toulouse / Nicolas André (direction).
VIDEO : Trailer du « Chant de la Terre » par John Neumeier au Théâtre du Capitole