Depuis le 10 juin 2025, le Palais Garnier vibre au rythme de « Red Carpet« , la nouvelle création du chorégraphe israélien Hofesh Shechter spécialement conçue pour les 13 solistes du Ballet de l’Opéra National de Paris. Cette œuvre, présentée pour la première fois hors de sa compagnie londonienne, marque un tournant dans l’histoire de la danse contemporaine à l’Opéra National de Paris. Dans un écrin de rideaux cramoisis et de lumières pulsées, Shechter plonge le public dans un cabaret surréaliste où glamour et anarchie se conjuguent avec une grâce troublante.
La magie de la scénographie opère d’emblée, avec ce labyrinthe textile de velours rouge, évoquant le célèbre rideau d’avant-scène du Palais Garnier, encadre les danseurs et quatre musiciens nichés dans des alcôves lumineuses. Image marquante également, ce lustre monumental descendant des cintres au cours de spectacle, clin d’œil au Foyer de la Danse, crée un choc visuel symbolisant la rencontre entre tradition et subversion. L’absence de tapis rouge – seulement suggéré dans l’imaginaire – renforce la dimension métaphorique du spectacle : « Qu’est-ce que la célébrité dans un monde en crise ? » semble interroger Shechter.
Du côté de la chorégraphie, Shechter, tel un alchimiste, fusionne son langage viscéral et électrique avec la technique impeccable des danseurs de l’ONP. Le résultat montre une tension dramatique portée par des mouvements explosifs, mêlant chutes libres, contractions torsadées et envolées lyriques ; des séquences collectives galvanisées par une musique techno (interprétée en live par un quatuor de violoncelle, contrebasse, batterie et bois), où les corps semblent chargés d’électricité ; et des duos sensuels aux accents presque combatifs, notamment portés par Loup Marcault-Derouard et Adèle Belem, dont la connexion scénique électrise la salle.
Pour la première fois, Chanel (Grand Mécène de l’Opéra) signe des costumes originaux inspirés du soir : des robes moulantes aux reflets métallisés pour les femmes, se déchirant progressivement sous l’effort physique, et des costumes masculins en soie écrue, transformés en seconde partie en tenues déstructurées, symbolisant la vulnérabilité sous le vernis social. Ces choix stylistiques incarnent parfaitement la thématique du spectacle : « Le glamour comme armure et comme prison ».
Shechter, également compositeur, livre une partition hybride et envoûtante, avec des percussions tribales fusionnant avec des nappes électroniques ou des silences brusques où le souffle des danseurs devient partition. Le quatuor de musiciens, visible au fond de la scène, amplifie l’immersion dans ce « café-théâtre décalé » cher au chorégraphe. « Red Carpet » n’est pas un ballet : c’est une expérience sensorielle totale qui pulvérise les codes du genre. Shechter, en chaman moderne, révèle l’humanité crue derrière les paillettes, porté par des danseurs de l’ONP en état de grâce. À voir absolument avant la fin des représentations ou sur écran — mais rien ne remplacera l’énergie électrisante du live au Palais Garnier, où chaque vibration de tambour résonne dans tout le corps des spectateurs…
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CRITIQUE, danse. PARIS, Palais Garnier, le 11 juin 2025. Ballet de l’ONP. Hofesh SHECHTER : « Red Carpet » (création mondiale). Crédit photo (c) Julien Benhamou