Dans une atmosphère chargée d’émotion et d’attente, le 45ᵉ Festival Montpellier Danse a ouvert son rideau le 23 juin à l’Opéra Comédie – transformant l’annulation de MOMO par la Batsheva Dance Company (prévue la veille) – en un triomphe artistique inoubliable. « Thikra : Night of Remembering », Création Mondiale du chorégraphe anglo-indien Akram Khan, n’a pas seulement comblé un vide : elle a offert au public un voyage transcendant, tissant la mémoire du défunt directeur Jean-Paul Montanari (disparu il y a deux mois tout juste) aux réminiscences chorégraphiques d’un patrimoine universel.
Envoûtante Soirée d’Ouverture du 45ᵉ Festival Montpellier Danse : “Thikra”, l’hommage dansé d’Akram Khan à la mémoire et à Jean-Paul Montanari
Sur la scène de l’Opéra Comédie, quatorze danseuses – telles des prêtresses d’un rituel antique —- ont incarné la vision fusionnelle d’Akram Khan et de l’artiste saoudienne Manal AlDowayan. Inspirée des paysages désertiques d’AlUla (Arabie Saoudite), l’œuvre puise dans la maxime : « Sans passé, il n’est pas de futur ». AlDowayan a planté un désert sculptural en mouvement, où la lumière de Zeynep Kepekli dessinait des ombres changeantes sur des dunes de tissus et de métal. L’espace, sacralisé comme un mandala kathak, devenait un écrin pour les corps en transe.
Rituels capillaires moyen-orientaux, bharatanatyam indien et contemporain épuré se sont entremêlés dans une langue chorégraphique inédite. Les danseuses (Pallavi Anand, Divya Ravi, Mei Fei Soo...) ont déployé une précision mathématique, leurs mains mudras dialoguant avec des percussions envoûtantes signées Aditya Prakash. La bande-son, mêlant chants bulgares (Gyura Beli Belo Platno), percussions tribales et cordes électroacoustiques, a créé un paysage sonore où chaque battement résonnait comme un cœur collectif.
« Comme je me tiens humble dans l’immensité de ce désert épique qu’est AlUla, j’ai l’envie d’exhumer les cultures qui l’ont traversé. »
— Akram Khan (dans le programme de salle).
Thikra transcende la performance : c’est un manifeste politique et poétique. Les chevelures tressées des danseuses (référence aux rituels moyen-orientaux) sont devenues des cordes reliant les ères ; leurs corps, des archives vivantes. Khan explore ici une question brûlante : « comment danser quand les cultures s’effritent ? » La réponse fuse : par un « remembrement chorégraphique » où chaque geste ressuscite un fragment d’humanité ».
À la chute du rideau, un tonnerre d’applaudissements a secoué l’Opéra Comédie. Spectateurs et critiques unanimes ont salué à la fois l’alchimie parfaite entre scénographie visuelle (AlDowayan) et narration dansée (Khan) ; la puissance féminine d’un ensemble où chaque interprète irradiait tantôt en soliste, tantôt en choeur antique, et l’audace d’avoir transformé l’annulation initiale en un hommage global, liant deuil personnel et mémoire culturelle. Thikra, coproduit par Montpellier Danse, entame désormais une tournée mondiale (Vienne, Paris, Londres…) mais c’est à Montpellier, « Cité internationale de la danse », qu’elle a trouvé son âme…
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CRITIQUE, danse. MONTPELLIER, Soirée d’ouverture du 45ème Festival Montpellier Danse (Opéra Comédie), le 23 juin 2025. Akram Khan : « Tikhra » (Création Mondiale pour 14 Danseuses). Crédit photo © Philippe Laurent