C’est avec la casquette de chef d’orchestre que le jeune violoniste Théotime Langlois de Swarte, Premier violon “chouchou” des Arts Florissants et de l’ensemble Le Consort, se présente ce soir sous les admirables voûtes de la Chapelle Royale de Versailles, pour une exécution du Requiem de W. A. Mozart (et de son fameux Concerto pour clarinette), placé à la tête du Chœur et de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles. Le jeune musicien prodige fait ici rayonner les deux ensembles “royaux” dans une version épurée du Requiem, tandis que le clarinettiste José-Antonio Salar-Verdu poétise avec lui le Concerto K.622.
Et pour explorer une fois encore cette œuvre, aussi fréquentée qu’au demeurant énigmatique, un Théotime Langlois de Swarte à la renommée grandissante, et à l’énergie ré-inventive, doublée d’un tempérament à la fois savant et intuitif. Il y a déjà un son “Langlois de Swarte”, une tonalité passionnelle et rigoureuse, et plus discrètement, poétique : le croisement en concert de deux partitions ultimes de Mozart met en valeur – dans le Concerto pour clarinette K.622 daté d’octobre 1791 – cette dernière vertu, en face du Requiem si universellement connu que certains croient en avoir sondé tous les secrets. Oui, le Requiem K.626 est-il « comme d’autres » ? Génial(e), à l’évidence, et comme tant d’œuvres de Mozart. Mais Symphonie (funèbre) inachevée, entourée d’une aura étrange – celle de la « chronique d’une mort annoncée » -, avec son commanditaire, le Comte Walsegg, l’homme en noir qui poursuit l’auteur et l’enjoint d’en terminer au plus vite, en une atmosphère de thriller implicite donnant même lieu post-mortem à un “délire” sur ce pauvre Antonio Salieri qui aurait empoisonné ce pauvre “Wolfie” – les réseaux “X” de l’époque « inspirant » Pouchkine, Rimsky-Korsakov, et jusqu’à Milos Forman…
Et il y a une fièvre étonnante dans la version qu’en donne Langlois de Swarte, avec des numéros successifs qui ont trait à la mise en place d’un opéra du sacré catholique, mais aussi une sorte de “work in progress”, qui contient aussi bien la réminiscence dans le terrible (la damnation de Don Giovanni) que la menace sournoise (début de l’œuvre), une agogique de course à l’abîme, une pulsation visible ou souterraine, des moments suspendus qui appellent de futures mélodies de timbres (le Recordare) et une conception étale du temps… Tout est lié par une direction d’énergie inlassable, souvent d’un tempo accéléré, et malgré la rigueur absolue de la mise en place, analogue à une improvisation en recherche d’elle-même, des buts techniques et philosophiques poursuivis. Pour cela, les très subtils Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal de Versailles homogènes, inventifs et amples, font bien saisir un nouveau regard. Les quatre solistes vocaux ne sont plus des « chargés d’air de concert », mais les protagonistes sans auto-valorisation d’une œuvre en recherche : la mezzo Mathilde Ortscheidt, le ténor Bastien Rimondi, la basse Edwin Fardini, et la soprano Marie Perbost, si délicieusement humble et intimiste.
En cette lumière si contrastée, parfois violente, du Requiem, on saisit mieux la précieuse éclaircie du début de concert, le Concerto pour clarinette K.622, lui aussi écrit en octobre 1791, pour l’instrumentiste Anton Stadler – un bon compagnon de fêtes comme les aimait Mozart, et qui rappelle aussi les relations moqueuses de Wolfgang avec le corniste (et marchand de fromages) Leitgeb -, mélangeant l’ardeur constructrice (Allegro), le jeu (Rondo-Finale) et en son centre un Adagio qui idéalise l’inspiration, la reliant au maçonnisme (le cor de basset cher au compositeur), et à ce que murmure le sublime. Un clarinettiste d’exception, José-Antonio Salar-Verdu, fait constamment se demander s’il « chante » ainsi la beauté du monde, l’espace de l’intime, les couleurs en bleu et or de Tiepolo ou Watteau, s’estompant jusqu’à l’imperceptible de ses fins de phrase… Et aussi, parfois, il semble citer les femmes tant aimées de Mozart, Aloysia Weber et Nancy Storace, ses cantatrices si désirées mais absentées, la Comtesse, Pamina ou Fiordiligi, les créations de son rêve plus réelles encore d’être passées dans l’écriture.
En guise de bis, l’Ave Verum apporte une teinte plus optimiste et douce, avant que le Lacrimosa ne résonne une seconde et dernière fois dans la Chapelle des Rois de France, replongeant l’auditoire dans une pure et bienfaitrice émotion.
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CRITIQUE, concert. VERSAILLES, Chapelle Royale, le 24 novembre 2024. MOZART : Requiem. M. Perbost, B. Rimondi, M. Ortscheidt, E. Fardini. Choeur et Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, Théotime Langlois de Swarte (direction). Toutes les photos (c) Emmanuel Andrieu
VIDEO : James Gaffigan dirige le « Requiem » de Mozart à la Basilique de St Denis