C’était un événement attendu (affichant complet depuis longtemps !) que la venue à Toulouse du jeune prodige finlandais Tarmo Peltokoski – d’autant qu’il a été nommé Directeur musical (désigné) de l’Orchestre national du Capitole l’an passé, et qu’il prendra ses fonctions à la rentrée, succédant ainsi à Tugan Sokhiev, démissionnaire au début du conflit russo-ukrainien, et dont le poste aura ainsi été laissé “vacant” pendant deux ans. Du haut de ses 24 printemps, il est l’un des espoirs les plus sûrs et impressionnants de la jeune génération des chefs d’orchestre, aux côtés notamment de son compatriote Klaus Mäkelä, qui tient lui les rênes de l’Orchestre de Paris. Cerise sur la gâteau, le concert coïncidait avec la création de l’Orchestre national du Capitole sous la forme que l’on connaît : c’était le 1er mai 1974 sous la férule de Michel Plasson !
Intitulée “Crépuscules romantiques”, la soirée met en avant deux ouvrages de l’apogée créatif de deux géants autrichiens de la musique classique : Richard Strauss et ses Quatre derniers Lieder et Anton Bruckner avec sa fameuse 9ème Symphonie… qu’il avait dédiée à Dieu ! De fait, l’ultime Symphonie du maître de Saint Florian, véritable œuvre testamentaire, synthèse de tous ses précédents opus symphoniques, ambitieuse par son propos et fortement spiritualisée, la 9ème Symphonie est une composition hors norme, colossale bien qu’inachevée (limitée à trois mouvements grandioses) qui n’est accessible qu’aux meilleures baguettes…
Après son exécution d’une fabuleuse 4ème Symphonie (dite “Romantique”) au dernier Festival International de musique de Colmar (déjà à la tête de l’ONCT), Tarmo Peltokoski confirme ce soir ses affinités avec l’univers brucknérien. Peut-être Bruckner, plus que n’importe quel autre compositeur, craint-il la lourdeur et l’affectation, mais rien de tel avec le bouillonnant et trépidant jeune prodige de la bahuette, qui sait aussi proposer, dans les mouvements lents, une lecture d’une grande beauté formelle, fluide et équilibrée, harmonisant ici, avec une incroyable justesse, lecture analytique et globalité du discours.
Le premier mouvement resplendit par la limpidité de sa texture et la rigueur de sa mise en place dans l’agencement des pupitres dont on ne sait qu’admirer le plus – entre le lyrisme des cordes, des cuivres omniprésents et d’une implacable rigueur, les traits mystérieux de la petite harmonie ou encore la virulence des percussions (timbales). Dans un flot musical continu, éclatant de nuances et empli d’allant, le chef finlandais dirige avec souplesse en conduisant les crescendi avec maestria.
Le second mouvement, le diabolique Scherzo, laisse pantois par sa rythmique implacable (timbales et attaques de cordes), et fascine dans sa marche inexorable des damnés, tout à la fois accablante et cauchemardesque, dans lequel le chef se désarticule tel un damné lui-même – mais d’où émergent cependant quelques épisodes d’un lyrisme passionné (le trio), telle une lueur d’espoir au sein d’une humanité en quête de rédemption.
Dans l’Adagio final, celui de l’« Adieu au monde », Peltokoski opte pour un tempo plein de ferveur, d’attente et de silences habités, qu’il conduit comme une longue prière recueillie, alternant lumière divine et mystique (cantilène des cordes) et zones d’ombre poignantes et attristées (les cuivres) – avant qu’un immense crescendo enrôlant tous les pupitres ne voit s’ouvrir en grand les portes de l’Eternité, préfigurant l’apaisement final dans la réconciliation et l’union avec Dieu dans une coda apaisée… Magistral !
Las, nous serons moins dithyrambique sur la première partie du concert qui offrait à la soprano colorature allemande Chen Reiss la charge de délivrer les sublimes 4 derniers Lieder de Richard Strauss. Destinés à une voix autrement plus charnue et puissante que la sienne, cheval de bataille des sopranos lyriques voire dramatiques, elle ne possède pas la moitié des moyens requis pour rendre justice à cet autre “chant d’adieu”, et pire encore, n’émeut à aucun moment… le manque de chair et d’ampleur du timbre en étant la principale raison, en plus d’une couleur “passe-partout”. Heureusement, chef et phalange font un sort à la musique de Strauss, mais ils sont bien les seuls hélas…
On n’en sort pas moins exalté de cette soirée, d’autant qu’elle se termine avec la géniale Symphonie de Bruckner, et l’on peut prédire au chanceux public toulousain des lendemains musicaux radieux avec cette perle venue du Nord qu’est Tarmo Peltokoski !
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CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle aux Grains, le 3 mai 2024. STRAUSS / BRUCKNER. Orchestre national du Capitole / Chen Reiss (soprano) / Tarmo Peltokoski (direction). Photos (c) Romain Alcaraz.
VIDEO : Tarmo Peltokoski dirige la 4ème Symphonie de Bruckner à la tête de l’ONCT au festival International de Colmar