C’est un programme résolument orienté vers la modernité – le XXème siècle viennois plus une création – qui était proposé par Les Siècles et son chef emblématique, François-Xavier Roth, lors de cette soirée du 30 avril au Théâtre des Champs-Elysées. Ce dernier, micro à la main, a présenté chacune des pièces proposées avant leur interprétation. On ne s’en plaindra pas, tant les explications qui ont été données par ce musicien étaient particulièrement claires, bien que brèves… même si cela a pu un peu affecter la magie du concert.
Commentaires introductifs très utiles pour l’appréhension de ces oeuvres, tant en ce qui concerne la pièce « en création », que les autres, très peu jouées. Ce concert débutait par la création mondiale d’un jeune compositeur argentin Alex Nante (né en 1992) : « A Subtle Chain-Five songs after Ralph Waldo Emerson« , pour soprano et orchestre. D’une durée de plus d’un quart d’heure, elle ne manque pas de séduction : débutant par une sorte de halo de cordes, comme un souffle, comme un chant incertain tentant de se frayer un chemin, elle s’anime peu à peu. Puis surgit la voix de la soprano, alors que l’orchestre a entonné une sorte de mélopée plaintive. Une musique qui rappelle par moments Bernstein, et un chant qui se souviendrait parfois d’un certain Poulenc. La soprano Jodie Devos, bien que souffrante, avait tenu à être présente et a assuré cette création du Premier Lauréat du « Prix Pisar ». Ce prix franco-américain a pour but de soutenir la musique contemporaine et les jeunes compositeurs de 21 à 35 ans. Même si elle n’a sans doute pas pu exprimer pleinement le talent qu’on lui connaît, chacun aura pu admirer la clarté exceptionnelle de ses aigus et le lyrisme émouvant de son phrasé.
Changement radical avec, toujours en première partie, le « Kammerkonzert » d’Alban Berg (1885-1935): Concerto de Chambre pour piano, violon et 13 vents, créé à Berlin en 1927, sous la direction d’Hermann Scherchen. Arnold Schoenberg (1874-1951), maître vénéré de l’Ecole de Vienne et du « disciple » Berg en est le dédicataire, le manuscrit de l’oeuvre lui ayant été offert par le compositeur à l’occasion de ses cinquante ans. Cette oeuvre, pleine de symboles introduits à la faveur de la notation musicale germanique (qui utilise les lettres A, B, C et non do, ré, mi, etc.) est en 3 mouvements. La « règle » de trois s’applique ici : référence est faite par l’intermédiaire de motifs musicaux aux fameux trois compositeurs, les trois A (pour Arnold Schoenberg, Alban Berg, et Anton Webern (1883-1945), autre « disciple » de Schoenberg). On observera que ce n’est pas un hasard si le Concerto fonctionne sur 3 « intervenants » : le piano, le violon et les instruments à vents (bois et cuivres).
Pour interpréter cette partition difficile, Les Siècles avait sollicité le concours de solistes remarquables : le pianiste Jean-Efflam Bavouzet et le violoniste Renaud Capuçon ; mais aussi, une phalange de « vents » aguerris à ce type de répertoire… Articulée sur trois mouvements qui s’enchaînent « Tema scherzoso con variazioni, Adagio, Rondo ritmico con introduzione« , la pièce est d’une durée d’une bonne demi-heure, le premier mouvement associant le piano et les vents, le second le violon et les vents, enfin le troisième et dernier faisant intervenir l’ensemble des trois protagonistes. D’une grande complexité, cette pièce exige des musiciens virtuoses, lesquels étaient bien au rendez-vous pour exécuter cette pièce singulière…
Nouveau changement après la pause : cette fois c’est un plateau littéralement submergé de musiciens qui se met en place pour l’interprétation du poème symphonique d’Arnold Schönberg « Pelléas et Mélisande opus 5, d’après Maeterlinck. Créée en 1905, on se rappellera que le choix de Schoenberg de composer sur l’oeuvre de Maurice Maeterlinck résulte d’un conseil qui lui a été donné par un autre compositeur, Richard Strauss (1864-1949). Il est vrai que lors de sa création la pièce de théâtre de Maeterlinck avait grandement marqué les esprits en Europe. Cette pièce exige un effectif très important, pas moins d’une centaine d’instrumentistes, dont 7 contrebasses, 2 harpes, 3 sections de vents réparties dans l’orchestre, etc. Elle se déploie sur 4 mouvements quasi enchaînés « lento-allegro« , « scherzo-presto« , « quasi adagio« et enfin « Finale« , d’une durée de près de 45 minutes. On peut repérer, ça et là, les thèmes de « l’anneau », celui du « destin » omniprésent, qui « circulent » dans l’oeuvre et illustrent le drame.
Composée près de vingt ans avant le Concerto de Berg, elle n’en a pas les audaces harmoniques et cherche son chemin entre Malher et… le futur Schoenberg qui « inventera » plus tard le dodécaphonisme. Dans cette oeuvre également singulière, Schoenberg déploie un grand lyrisme sur fond de postromantisme, dans laquelle des séquences intimes côtoient des harmonies puissantes, des valses… Schoenberg y « raconte », à sa façon, le drame de Maerterlinck. Il faut toute la science de l’orchestre que possède François-Xavier Roth pour mener à bon port ce mastodonte instrumental, toujours d’une grande homogénéité, jusqu’aux déchaînements sonores du final.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 30 avril 2024. BERG / SCHOENBERG… LES SIECLES / F. X. ROTH. Photos (c) Jean-Philippe Raibaud.
VIDEO : F.X. Roth raconte Berg, Schoenberg et Nante à l’occasion du concert du 30/4 au TCE