samedi 26 avril 2025

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 18 mars 2023. Gamelan Gong Kebyar – Fleurons de la musique et de la danse

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Dans l’imaginaire collectif, l’île de Bali appelle des fantasmes de villégiature luxuriante. Intégrant le chapelet d’émeraude des îles de la Sonde, Bali fait partie de l’Indonésie et, outre les plages de sable blanc, c’est le siège de traditions millénaires toujours liées aux arts vivants. Conçus aux antipodes de la conception de spectacle de nos sociétés occidentales, le spectacle est une partie intégrante de la société balinaise.

 

En effet, la pratique de la danse, du théâtre et de la musique est considérée comme une obligation civile en rapport avec des rituels hindou-balinais. Cette incrustation profonde des arts vivants dans la vie des habitants de l’archipel démontre l’importance essentielle de l’expression humaine dans la vie quotidienne. Réunis en gamelans, des ensembles d’instrumentistes à vents et percussions, ces extraordinaires artistes s’emparent de l’art ancestral de la danse et de la narration pour mettre en lumière les belles légendes des montagnes et des jungles de l’île aux contours de malachite.

 

 

« L’île inconnue » 

Dans son esprit d’ouverture à toutes les expressions musicales, la Philharmonie de Paris accueille un week-end consacré à l’Indonésie. De par la distance physique, les musiques indonésiennes demeurent mystérieuses pour le commun des européens. Or, grâce à une démarche remarquable, la belle salle de Jean Nouvel a présenté deux trésors de la tradition ancestrale de l’île de Bali. Cette programmation démontre, encore une fois, que là où il y a de la volonté, les plus beaux projets fleurissent. Nous saluons le travail d’Olivier Mantei et de son équipe pour nous convier, l’espace d’une soirée, au voyage à Bali et la richesse impérissable de ses chants et ses danses.

Divisé en deux parties, ce concert convainc et captive d’emblée par un décor qui invite à s’échapper de l’architecture raffinée de la Salle Pierre Boulez. Mis en format scénique, le plateau de la Philharmonie de Paris, a vu deux gamelans se faire face avec un fond de toile noire et quelques grands kakemonos de diverses couleurs pour décorer un espace envahi petit à petit par une légère brume. Le décor planté, les musiciens ont commencé par l’ouverture purement instrumentale « Manuk Anguci« . Le son brillant et métallique du gamelan aux fines harmonies tressées a mis en place l’annonce des danses à venir. Le seul bémol qui allait habiter la première partie de la représentation fut l’émission extrêmement forte des micros qui captaient le gamelan pour la retransmission vidéo du spectacle. Le gamelan étant un ensemble de vents et de percussions, vraisemblablement faits pour le plein air, n’avait nullement besoin d’un tel dispositif qui a malheureusement un peu assourdi l’assistance, tant le volume était fort. Outre cet aspect technique, totalement indépendant de la qualité des interprètes, quand du fond de scène les danseuses firent leur apparition comme dans un rêve, l’effet fut immédiat. Comment décrire la délicatesse, l’élégance et la souplesse de leurs mouvements? Sans décliner une litanie d’épithètes, … c’était beau à pleurer. La grâce de la danse de ce premier gamelan nous a fait décoller vers des contrées encore parfumées des rites d’antan, où la maîtrise des gestes constitue la meilleure des offrandes aux divinités mystérieuses. Les danses de ce premier épisode étaient interprétées par des danseurs et danseuses dont le genre était habilement diffus sous des brocarts de soie lamée d’or rehaussé de vermillon.

Déjà conquis par les première danses, la deuxième partie allait nous transporter vers un temps ancestral. Comme une sorte de « ballet de cour » ou « opéra », ce Ballet narratif en 7 épisodes allait reprendre une tradition mélangeant la narration, la danse et le théâtre. Ce ballet reprend l’histoire d’un anti-héros, le roi de Lasem qui a voulu s’emparer de la vertu d’une jeune princesse par la force et l’a persécutée au coeur de la jungle. Le texte, en ancien javanais, est déclamé avec un grand luxe d’intonations par Jro Kartu qui campe tous les personnages. Pour ce Ballet, les musiciens exécutent la musique sur un autre gamelan aux sonorités sensiblement plus douces. La danse nous amène vers le coeur d’une intrigue dramatique sur des niveaux épiques qui nous rappellent la geste de Peer Gynt.
Le jeune et perfide roi de Lasem rencontre les génies protecteurs de la forêt et ce sont des danseurs aux masques apotropaïques et aux longues griffes qui se livrent au combat. La danse est souple, vive et aux contours mordorés. Quand le jeune effronté réussit à vaincre les faunes de la forêt, ceux-ci en appellent à la terrible bête Barong Ket, le roi de la jungle, une sorte de fauve aux canines recourbées et au corps couvert d’une fourrure épaisse. Ce monstre garde la forêt ; il est une incarnation de Shiva, dieu puissant de vie et de mort. Le roi de Lasem invoquant les mauvais esprits se transforme dans la « veuve » Rangda, sorte de pendant négatif de Shiva. Le combat qui s’ensuit est la lutte entre la pourriture et la pureté.

 

 

 

La puissance des deux adversaires ne permet pas une victoire et c’est finalement l’ensemble des musiciens qui quittent leur instrument pour invoquer les esprits décomposés et purifier par la mort l’essence vitale. C’est une sorte de cérémonie tantrique où le dénouement est l’acceptation du trépas pour accéder aux lumières les plus diaphanes. Le choeur à capella est saisissant, alors que la syllabe magique « Om » est prononcée par 24 voix viriles… On sent un rayon bouleversant d’énergie envahir l’ensemble de la Philharmonie de Paris. Tel un rituel accompli, c’est la signification de « Bali » (« Paix ») qui est chanté dans un soupir. Un message puissant et significatif dans notre Europe en guerre à ses confins, la paix fragile comme un murmure mais dont la puissance pénètre tous les êtres sans obstacle dès qu’elle est évoquée.

C’était une soirée inoubliable et, doit-on le mentionner, par pur souci de précision, tous les artistes sur scène sont des amateurs éclairés, dignes représentants de leurs traditions et agriculteurs ou employés à la ville. Le message est finalement resté gravé dans nos coeurs et nos esprits, d’humain à humain. Finalement ces Danses et Ballet de Bali ont démontré que les frontières culturelles n’existaient pas dès lors que les coeurs battent à l’unisson.

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 18 mars 2023. Gamelan Gong Kebyar – Fleurons de la musique et de la danse

Danses et ballet masqué de Bali
Gamelan Semar Paguligan saih pitu
Ballet narratif avec masques en sept parties

Troupe Jaya Semara Wati de Sebatu
Jro Kartu – direction artistique, co-mise en scène, narration, chant, marionettes
Kati Basset – conseil artistique, co-mise en scène, traduction, surtitrage
Christophe Olivier – création lumières / Photos : © Joachim Bertrand

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