Alors que l’Auditorium Maurice Ravel de Lyon s’apprête, en février, à fêter son 50ème anniversaire – en même temps que les 150 ans de Maurice Ravel et les 100 ans de Pierre Boulez et de Luciano Berio, auxquels trois concerts leur seront dédiés ce même mois -, c’est pour l’heure Schubert et Mahler qui sont célébrés, à travers deux ouvrages emblématiques de leur auteur, la Symphonie Inachevée et Le Chant de la terre.
Le programme débute donc avec la fameuse Symphonie N°8 dite “inachevée” de Franz Schubert, dans laquelle le chant des contrebasses et des violoncelles retient positivement l’attention, tandis que le hautbois et la clarinette s’épanouissent dans un fondu de grande beauté. Bien qu’on aurait souhaité plus de tension encore dans le premier mouvement, la direction de Nikolaj Szeps-Znaider s’avère efficace, et il fait en sorte que la fin du deuxième mouvement laisse l’auditeur dans l’indéfini, l’incomplet, l’éternel…
Après cette courte première partie, le directeur musical de la phalange lyonnaise déchaîne les éléments du “Chant de la Terre” de Gustav Mahler, une œuvre écrite en 1908 mais qui ne sera créée par l’ami Bruno Walter qu’après la disparition du compositeur. Cette œuvre sombre est notamment le reflet de la période noire que traverse Mahler car au décès de sa fille s’ajoutent des problèmes cardiaques tout juste diagnostiqués et son congé récemment donné de la direction de l’Opéra de Vienne (1907). Elaboré à partir de sept poèmes chinois du VIIe au IXe siècles de notre ère découverts dans le recueil La Flûte chinoise de Hans Bethge, Le Chant de la terre est une véritable symphonie de Lieder pour alto, ténor et orchestre où Mahler évoque la condition humaine oscillant entre héroïsme et intimité : l’extase et le désespoir, la solitude et la nature, la jeunesse et la beauté, le printemps et enfin l’adieu à l’ami qui s’achève dans un murmure sur le mot “Ewig” (“Pour l’éternité”) répété sept fois…
Entouré du ténor néo-zélandais Simon O’ Neil (accouru de Paris le matin même suite à la défection de son collègue Stuart Skelton…) et la contralto allemande Wiebke Lehmkuhl, le directeur musical de la phalange lyonnaise nous donne à entendre une interprétation chargée d’émotion et, en mahlérien convaincu, conduit ses troupes avec toute l’énergie, le dynamisme et l’élan que requiert la partition, avec également le sentiment d’accéder à l’inexprimable. Les solistes ne sont pas en reste dans cette réussite qui joue avec les sens : O’neil possède une santé vocale éblouissante, avec une voix claire mais puissamment projetée, tandis que Lehmkul se montre capable d’apprivoiser un chant luxuriant et généreux accoutumé à Wagner et Strauss, pour atteindre une mezza voce qu’elle conduit peu à peu aux limites du silence pour atteindre cette dimension d’éternité dans “L’Adieu” conclusif que Mahler, pourtant chef d’orchestre hors pair, pensait impossible à diriger. Les longues secondes de silence qui suivent les derniers accords en disent long sur l’émotion qui étreint alors la gorge des auditeurs, mais c’est pour mieux laisser éclater la joie ensuite, et les rappels s’enchaînent les uns après les autres.
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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, le 30 janvier 2024. SCHUBERT / MAHLER. Orchestre national de Lyon, Nikolaj Szeps-Znaider (direction). Crédit photographique (c) Emmanuel Andrieu
VIDEO : Hartmut Haenchen dirige « Le Chant de la Terre » de Mahler au Festival de Saint-Denis