Jusqu’à demain soir – pour son concert de clôture, avec rien moins que le grand Bill Christie (au clavecin) accompagné de son jeune mais néanmoins tout aussi talentueux acolyte Théotime Langlois de Swarte (au violon), dans un programme Leclair/Sénaillé que les deux compères ont donnés un peu partout en Europe… -, le Festival de Musiques Anciennes de Maguelone (dont Sylvain Sartre, le co-fondateur de l’ensemble Les Ombres aux côtés de Margaux Blanchard, reprend le flambeau, à partir de cette nouvelle édition du festival, des mains de son fondateur, Mr Philippe Leclant) fait la joie des mélomanes amateurs de musique baroque des environs de Montpellier (et de bien au-delà) !
Mais c’est Margaux Blanchard qui assurait – seule et depuis sa viole de gambe (dont elle est l’une des interprètes les plus recherchées…) – la direction musicale de « son » ensemble Les Ombres, lors du concert du 8 juin, qui a permis à une audience venue en masse (le concert affichant complet) de découvrir le grand talent du contre-ténor britannique Alexander Chance… rien moins que le fils du fameux contre-ténor Michael Chance, une vraie dynastie de chanteurs alla Deller pourrait-on oser dire !…
Sous les superbes voûtes de l’édifice roman, trônant au milieu des marais, ont résonné des airs et pièces musicales des plus grands compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles : Monteverdi, Haendel, Porpora, Purcell, Caldara… Le cul de four de l’église, en fonction des airs, se parent de couleurs chaudes ou froides, du bleu acier au rouge sang, participant à la magie de la soirée, l’oeil étant ici tout aussi sollicité (et conquis !) que l’oreille. Et quelle bonne idée, de la part de Margaux Blanchard et du jeune contre-ténor, de ne pas avoir “figé” le concert, mais au contraire d’avoir démultiplié les poses et les points de vue, le chanteur comme les solistes instrumentaux exécutant les morceaux sur les bancs placés à droite ou à gauche du clavecin (tenu par Brice Sailly), voire assis (pour le premier) sur le bord de l’estrade, à moins de deux mètres du public, renforçant le lien entre l’artiste et son public, tout en générant une émotion encore plus forte du fait de cette incroyable proximité.
C’est par un répertoire qui est celui de base de tout contre-ténor britannique, celui de Henry Purcell, qu’Alexander Chance débute son récital, avec l’air “Strike the viol” extrait de le la Birthday Ode for Queen Mary, enchaîné avec “One charming night” (The Indian Queen) et “Here the Deities” (Ode for St Cecilia’s day)… du même Purcell ! Sont ainsi confrontés, au fil de cette triple sélection purcellienne, les divers aspects complémentaires ou antinomiques de la psychologie complexe du compositeur. Et l’on peut compter sur la voix ductile et lustrale d’Alexander Chance pour les magnifier. Son timbre vif-argent idéal pour ce répertoire tend au sublime tantôt dans un registre mélancolique, tantôt sous le masque plus émancipé de l’extraversion, en fonction des airs. Mais encore, cette voix presque irréelle peut se nimber de féérique tendresse au fil de pages plus aériennes (en bis, nous auront droit au sublime “Music for a while” !), l’intelligence du texte étant par ailleurs magnifiée tant par une claire et parfaite articulation que par une abondante et judicieuse ornementation aux ressorts quasi instrumentaux. Et la formation baroque (pendant trois ans en résidence à l’Opéra de Montpellier tout proche entre 2018 et 2021…) composée ici – en plus des deux artistes déjà cités – de Marie Sablonnière à la flûte et Gabriel Rignol à l’archiluth, lui sert de formidable écrin.
C’est ensuite dans un répertoire italianisant qu’il s’attèle, avec des arias extraites de L’Orfeo de Rossi (“Lasciate Averno”), des Lodi de Augusto d’Antonio Caldara (“Merta il Propizio”), et plusieurs autres signées du Caro sassone (Georg Friedrich Haendel), tirées de ses opéras Amadigi di Gaula et Rodelinda. Comme souvent, avec les (jeunes) contre-ténors, le britannique se montre à son meilleur dans les airs lents et introspectifs, qui permettent à sa voix douce et melliflue de se déployer ici dans d’infinies nuances : « Sussurrate, onde vezzose » d’Amadigi fourniront à l’auditeur autant de moments de grâce, mais la théâtralité de « Stille amare » de Tolomeo ou de « Fra Tempeste funeste » de Rodelinda n’en sonnent pas moins convaincants que les airs “lents”, et l’on sent dans ces pages quel acteur il doit être dans une production scénique ! Les airs à vocalisation rapide, s’ils mettent en avant l’exceptionnelle virtuosité du chanteur, confirment également l’assise théâtrale du jeune artiste que l’on est donc impatient d’entendre sur une scène lyrique dans le rôle-titre d’un Giulio Cesare ou Rinaldo !
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CRITIQUE, concert. 41ème Festival de Musiques Anciennes de Maguelone, Cathédrale de Maguelone, le 8 juin 2024. Alexander Chance (contre-ténor), Ensemble Les Ombres, Margaux Blanchard (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.
VIDEO I : Alexander Chance interprète « In darkness, let me dwell » de John Dowland (accompagné de Toby Carr au luth).
VIDEO II : Alexander Chance chante « Es ist vollbracht » (Passion selon St Jean) de Bach :