samedi 28 juin 2025

CRITIQUE CD événement. GRAUN : Adriano in Siria (1746). Valer Sabadus, Bruno de Sá, Roberta Mamelli… Ensemble 1700, Dorothee Oberlinger [3 CD DHM Deutsche Harmonia Lundi]

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Dans la lignée de son ainé Reinhard Keiser, astre musical à Hambourg, Carl Heinrich GRAUN (1704-1759) s’affirme à Dresde à la Cour mélomane d’August le fort. Favorisé par Frédéric de Prusse (qui aimat sa voix, comme ses dons de compositeur), Graun apprend beaucoup des opéras de Hasse, vus à Dresde; pour Frédéric (devenu Frédéric II de Prusse), il compose la musique des funérailles de son père (Frédéric Guillaume) en 1740 avant de composer au moins 26 opéras pour la Cour de Berlin.

 

GRAUN est bien le maillon manquant, majeur qui relie Kaiser et Hasse à CPE Bach puis Mozart. Comparé à Jommelli dont ils ont en commun le socle napolitain, Graun raffine davantage son orchestre ; exprime comme nul autre à son époque, là finesse et la subtilité des passions humaines qu’il pare d’une langueur toute… Montéverdienne [les airs axiaux d’Erismena en témoignent principalement dans cet enregistrement superlatif].

 

CARL HEINRICH GRAUN
maillon éblouissant
entre Kaiser et CPE Bach

La délectable sincérité de Roberta Mamelli (Erimena), le Farnaspe de l’excellent Bruno de SÁ, éblouissent par leur justesse cristalline et leur intensité émotionnelle sans aucune affectation (superbe arioso d’Erimena « Ov’è il mio bene ? », d’une langueur tragique, inquiète,… au II, suivi du dernier air du même acte, ample aria d’une tendresse prémozartienne (de plus de 7mn) : « Se pur non moro al lato »… L’élégance et la mélodie naturelle de cet air d’une indiscutable force intime, soulignent combien Graun maîtrise le bel canto, lui-même ayant été à Dresde durant sa formation, un excellent chanteur (ténor). Voici assurément un modèle des airs lents et graves dont Graun a le secret et dans lesquels il révèle une profondeur inouïe.
D’ailleurs les protagonistes sont bien les amants souverains Farnaspe et Erismena. Et leur effusion rejoint l’éloquence de la prochaine esthétique Empfindsamkeit [celle de CPE Bach entre autres].

Ici règne l’agilité étourdissante des voix aiguës : sopranos, contre-ténors et sopranistes (Valer Sabadus dans le rôle titre, d’un emportement facile et toujours agité) – le ténor dans le rôle d’Osroa ne manque pas d’énergie guerrière (« Se ami piagato a morte », grand air de fureur)…, d’autant que l’Orchestre se montre alors des plus trépidants.

Le CD 3 (acte III) concentre l’élégantissime style d’un Graun rompu à l’esthétique du seria italien le plus virtuose comme le plus expressif ; les deux premiers airs de Sabina puis d’Aquilio, chacun de plus de 4m, dévoilent une rare intensité émotionnelle que les deux chanteurs excellent à incarner, entre ferveur et justesse, indiquant clairement la capacité de Graun à exprimer comme un Jommelli, la passion et les sentiments les plus intimes. Mais avec une flexibilité et un charme mélodique à notre avis supérieur au Napolitain.

L’Ensemble 1700 dévoile d’indiscutables qualités : une aptitude rare voire exceptionnelle sur le plan instrumental, à intensifier et colorer idéalement chaque air en situation (le déterminisme incisif souvent suractif d’Adriano : « Barbaro, non comprendo… » [III].

Même épanchement langoureux tout en finesse, de l’air d’Erimena « o Dio mancar mi sento »…, vocalement tout aussi juste voire bouleversant, grâce au tempérament de la chanteuse mais aussi à la tenue superlative des instrumentistes (entre effusion vocale et pudeur émotionnelle, assurément le plus bel air de l’ouvrage (et l’un des plus long, plus de 6mn).

 

Poétique métastasienne

Le livret de Métastase expose les passions des couples contrariés, éprouvés ; surtout le tempérament encore brut et instinctif de l’empereur Adriano / Hadrien bientôt métamorphosé par sa rencontre finale avec celle qu’il avait au début écartée : Sabina.
L’ouvrage de Graun suit cette trajectoire de la passion à la raison, des pulsions non analysées, aux sentiments assumés, à l’amour victorieux. Cet enregistrement est l’un des plus passionnants, publiés depuis ce début 2025, au rayon des intégrales baroques. A quand le venue de l’Ensemble 1700 et Dorothee Oberlinger en France?
La [re] découverte des opéras conçus par Graun et son patron Frederic II à Berlin dont le fameux Montezuma [et son livret écrit en français par le souverain mélomane] serait un cycle, réalisé par des interprètes aussi éloquents, passionnant à suivre. Une idée de programmation pour festivals et directeurs de salles.

 

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CRITIQUE CD événement. GRAUN : Adriano in Siria (1746). Valer Sabadus, Bruno de Sá, Roberta Mamelli… Ensemble 1700, Dorothee Oberlinger [3 CD DHM Deutsche Harmonia Lundi]

 

 

 

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