Le choix des voix fait tout : Olivier Schneebeli optant comme les pères Jésuites avant lui au moment de la création de l’opéra, à Paris en 1688, pour un cast d’enfants et d’hommes pour l’ensemble des personnages. De ce fait, la réalisation met en avant l’esprit de troupe qui donne la cohésion au sein de la Maîtrise baroque de Versailles ; en réunissant plusieurs générations de chanteurs passés par la fameuse Maîtrise, ce David et Jonathas semble ainsi synthétiser la formation qui sous la direction du chef, aura incarner une ère d’excellence autant sur le plan artistique que pédagogique. Il n’est que d’écouter les prologues parlés déclamés ouvrant chaque acte pour mesurer l’engagement des jeunes artistes, projetant un verbe impérieux, tragique, épique. Le tout avec ce souci premier de l’intelligibilité si cher à Olivier Schneebeli : tels textes (stances du poète chrétien Antoine Godeau) s’avèrent d’ailleurs un choix particulièrement judicieux (comme le souligne le chef, il révèle une écriture intense et ardente digne de Corneille).
La jeune Natacha Boucher (« Page » comme le sont ici les dessus des chœurs, bergers, captifs, coryphées) offre son timbre lumineux, enfantin à Jonathas le fils de Saül. Pure incarnation qui ne perd jamais le sens du texte ni les enjeux de la situation. Le David de Clément Debieuvre, ancien Chantre, ne manque ni de précision ni de mordant dramatique. Mais la palme de l’intelligence expressive revient d’emblée au fabuleux Saül de David Witczak qui exprime et la rage du tyran défait, et la détresse d’un homme qui sombre malgré lui dans la haine et la jalousie (sa plainte au III : « Objet d’une implacable haine »)… La scène primitive, primordiale qui ouvre l’action, est de ce point de vue décisive et emblématique (« Où suis-je ? Qu’ai je fait? »). Déchu de toute grâce divine, que peut-il devant l’élévation du jeune David, l’élu ? C’est le cauchemar d’un roi abandonné de Dieu. A contrario se précise la puissante énergie du jeune David dans la lumière… (mais non sans sacrifice déchirant).
L’orchestre requis jubile littéralement à suivre et accompagner l’explosion du drame tragique (et « janséniste ») où un père n’épargne ni son fils ni son honneur ; où David, futur souverain d’Israël, perd aussi son jeune ami Jonathas, offrant l’une des scènes de déchirement et de deuil parmi les plus justes et bouleversantes. Aucune grâce ni répit pour les héros. Superbe réalisation, indiscutablement hautement représentative du travail exemplaire d’Olivier Schneebeli à Versailles. Cette lecture est un must, d’autant que les enregistrements d’opéras baroques réussis sont de plus en plus rares.
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CRITIQUE CD. Charpentier : David & Jonathas (1688). Les Pages et les Chantres du CMBV, Orchestre Les Temps Présents, Olivier Schneebeli, direction. Parution annoncée : le 22 mars 2024
Avec : Clément Debieuvre (David)
David Witczak (Saül)
Edwin Crossley-Mercer (l’Ombre de Samuel, Achis)
Jean-François Novelli (Joabel, un du peuple, un simple)
Jean-François Lombard (la Pythonisse)
Natacha Boucher (Jonathas)
Enregistré à l’Opéra Royal de Versailles en juillet 2021.