Nice, Opéra. Ballet : Coppélia du 18 au 31 décembre 2015. On sait avec quel éclat en 1973 sur la scène du Palais Garnier, Pierre Lacotte si scrupuleux et si respectueux de la chorégraphie comme du plan originels avait reconstitué le ballet Coppélia, sublime ballet d’action, conçu par Saint-Léon et Delibes en 1870. La musique de Delibes (qui intègre une csardas sur la scène parisienne, volonté folkloriste oblige dans le I) apporte un supplément d’âme à l’action dansée, que Tchaikovski saura assimilé pour ses chefs d’oeuvres postérieurs (Le Lac des cygnes ou Casse noisette). A travers le thème et la figure de la poupée mécanique, c’est le fantasme d’un corps fantasmé, idéal qui s’impose sur la scène : l’art chorégraphique est-il humain ? La danse, défi contre la pesanteur en forçant le corps naturel, n’a-t-elle pas une origine
Le grand ballet à l’époque industrielle
A l’origine, c’est Charles Nuitter, légendaire archiviste de l’Opéra, devenu librettiste et dramaturge pour les spectacles parisiens qui adapte une nouvelle de ETA Hofmann : « la fille aux yeux d’émail : Coppélia ». Avec Saint-Léon (qui vivait alors entre Paris et Saint-Pétersbourg et était sous l’emprise de samuse, la danseuse étoile Adèle Grantzow), il se concentre surtout sur les épisodes originels qui favorisent l’attraction qu’exerce sur Nathanaël devenu dan sel ballet, Frantz, le poupée Coppélia, ainsi que la relation du docteur Coppélus avec Olimpia (Swanilda). Le fantastique surnaturel est quelque peu atténué, vers une comédie plus légère proche de la farce de la Fille mal gardée. Ici, c’est Swanilda qui sauve Frantz, son fiancé de l’enchantement dont il est victime, en prenant l’aspect de la poupée maléfique / fascinante, sirène mécanique : Coppélia. Pour réussir le ballet nouveau, on emploie une virtuose âgée de 16 ans : Giuseppina Bozzacchi, qui assurant l’éclat spécifique du rôle de Swanilda, pilier du ballet, contribue au succès de la création (25 mai 1870). A la fin du XIXè, surtout dans les années 1870, le romantisme a cédé la place à un rationalisme issu de la Révolution industrielle qui se manifeste sur la scène du ballet, dans une réflexion formelle interrogeant la forme du grand spectacle musical et chorégraphique, alternance de solos et duos et d’ensembles impressionnants, destinés à faire danser tout le corps de ballet. Illustration : portrait de Delibes.
Degas : la classe de danse de l’Opéra de Paris, vers 1873 (DR)
De la Sylphide (1832) et de Giselle (1841), ballet romantique par excellence, Coppélia emprunte sa construction claire, numéros courts et leitmotiv associé à chacun des personnages importants (Frantz, Coppélius, Swanilda…). Sylvia, le ballet qui suit Coppélia, créé en 1876, est le premier ballet autonome, non relié à un opéra ou intégré. Les concepteurs ont soigné le contraste et l’enchaînement spectaculaire des tableaux : paysage d’Europe central pour l’acte I ; maison de Coppélius dont son sublime cabinet des automates au II ; Fête seigneuriale au III (qui revisite en fait le principe du divertissement hérité des opéras de Lully, Campra, Rameau).
Après la création triomphale de mai 1870, Napoléon III fait appelé dans sa loge les protagonistes du succès : la danseuse Bozzacchi et sa partenaire, Eugnéie Fiocre, qui travesti, incarnait Frantz, car alors, les rôles masculins sont assurés par les femmes : les danseurs hommes ayant déserté depuis longtemps la classe de danse de l’Académie royale et impériale.
Nice, Opéra. Ballet : Coppélia du 18 au 31 décembre 2015.
Chorégraphie : Eric Vu-An,
d’après Saint-Léon et Aveline
Musique : Léo Delibes
Orchestre Philharmonique de Nice
David Garforth, direction
Durée : 2 h
Synopsis
Une place de village, des jeunes gens en proie au désir amoureux dansent dans l’insouciance la plus charmante. Coppélia, une poupée qu’un vieux savant a rendue suffisamment réaliste provoque la jalousie d’une demoiselle un brin capricieuse et sur le point de se marier.
L’oeuvre possède tous les ingrédients du succès, avec un équilibre parfait entre la pantomime, la danse et la musique de Léo Delibes. Elle valorise l’ensemble des danseurs qui font preuve sur scène d’une grande complicité et d’un enthousiasme communicatif, notamment à travers les danses colorées empruntées au folklore d’Europe Centrale. Seul personnage demeuré en retrait de cette joie contagieuse, Coppélius, est obsédé par l’idée de transmettre la vie
à un automate plutôt que de considérer celle qui fleurit sous sa fenêtre. Malgré tout, ce vieux personnage resté dans l’enfance émeut par sa naïveté et montre qu’il n’est pas un misanthrope endurci. Mais un savant qui a du cœur… Coppélia, la fille aux yeux d’émail est un ballet mythique à (re)voir pour en mesurer l’appel au rêve, au surnaturel, à la force enivrante d’une imagination flamboyante et tendre : les relations de Frantz et Coppelia, du savant Coppélius et de Swanilda affirment des individualités non des types. Chef d’œuvre éternel.