Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra, le 26 mars 2018. Berlioz : Benvenuto Cellini. Jordan / Gilliam. Quel bonheur que Paris découvre la formidable production de Benvenuto Cellini (LIRE ici notre présentation détaillée de Benvenuto Cellini) réglée par Terry Gilliam, l’ancien humoriste de la troupe des Monty Python ! Devenu scénariste et réalisateur reconnu à force de succès planétaires, de Brazil à L’Armée des douze singes, en passant par l’excellent Las Vegas Parano, ce grand nom du cinéma emporte l’adhésion par l’audace de son imaginaire parfaitement rendu au niveau visuel. Depuis 2011, le Britannique s’est opportunément lancé dans la mise en scène d’opéra en choisissant un ouvrage difficile à monter au niveau scénique, La Damnation de Faust de Berlioz. C’est encore le compositeur français qui stimule l’imagination de Terry Gilliam avec ce Benvenuto Cellini créé à l’English National Opera à Londres en 2014 et repris partout ailleurs ensuite, d’Amsterdam à Barcelone, en passant par Rome. Le cinéma viendra à son tour rendre hommage à ce superbe spectacle, le 12 avril prochain.
Le BERLIOZ grivois, comique, spectaculaire… du grand Terry Gilliam
Le deuxième opéra de Berlioz a essuyé un échec retentissant à sa création en 1838 à Paris, du fait d’une inspiration inégale, alternant les passages convenus (le tout début de l’opéra et le milieu du IIe acte surtout) avec des pages brillantes, telle que le Carnaval romain –adapté ensuite par Berlioz dans la célèbre pièce de concert éponyme. Berlioz tourne le dos aux facilités mélodique et rythmique de Rossini et Auber pour embrasser un style plus proche de Beethoven et Weber, voire Mendelssohn dans l’utilisation aérienne des vents, tout en annonçant le grand opéra dans les scènes d’ensemble grandioses avec chœur. On se délecte tout du long des nombreux détails piquants dévoilés par l’orchestre imaginatif du français, malheureusement peu mis en valeur par la direction analytique de Philippe Jordan. On gagne en précision et en clarté des textures ce que l’on perd en vision d’ensemble et en éclat. Les tempi mesurés permettent cependant aux chœurs de se jouer des nombreuses difficultés de la partition : José Luis Basso et ses troupes sont ainsi logiquement très applaudis en fin de représentation.
L’ovation la plus fournie est toutefois remportée par le superlatif Ascanio de Michèle Losier, dont l’articulation et la projection force l’admiration, sans parler de l’investissement dramatique constant. On aimerait pouvoir entendre la mezzo-soprano canadienne dans un rôle plus développé encore, digne de son talent.
Pourtant spécialiste du rôle-titre, John Osborn surprend en début de représentation avec une émission portée par un léger vibrato et quelques décalages avec la fosse. Puis la voix prend toute son ampleur, autour d’une souplesse et d’une harmonie dans les phrasés, jamais prise en défaut malgré les difficultés techniques nombreuses. A l’instar de Michèle Losier, la prononciation du français est idéale. Maurizio Muraro (Giacomo Balducci) déçoit par sa faible projection et son timbre fatigué, tandis qu’Audun Iversen (Fieramosca) assure tout juste sa partie, sans briller. Après un début hésitant, Marco Spotti (Le pape) convainc par sa force d’incarnation, tandis que Pretty Yende (Teresa) se distingue par sa grâce subtile, malheureusement un peu en difficulté dans la puissance et le suraigu.
Terry Gilliam porte son imagination délirante au moyen d’une scénographie qui nous plonge au temps de Dickens, dans l’esprit forain propre à l’ouvrage. L’ouverture fait d’emblée entrevoir une partie des nombreuses surprises qui vont se succéder au cours de la représentation, animant le moindre temps mort à la manière d’un Jérôme Deschamps. Les tenants du minimalisme n’ont qu’à bien se tenir, ce spectacle n’est pas pour eux ! On se délecte tout du long de la reconstitution historique minutieuse dans ses moindres détails (jusque dans ses anachronismes assumés !), faisant vivre cette cour des miracles avec force danseurs et acrobates. Les clins d’œil comiques savoureux, des grivoiseries à la moquerie des goûts « artistiques » du Pape, ne sont pas pour rien dans la réussite du spectacle. Autour d’un décor mouvant et déstructuré, les trompe-l’œil comme la vidéo sont utilisés avec discrétion et pertinence : la représentation finale de la fonderie est ainsi un véritable tour de force visuel, tout autant que la magnificence de la statue enfin achevée. De quoi ravir un public qui réserve une belle ovation à toute la troupe.
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Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 26 mars 2018. Berlioz : Benvenuto Cellini. John Osborn (Benvenuto Cellini), Maurizio Muraro (Giacomo Balducci), Audun Iversen (Fieramosca), Marco Spotti (Le pape Clément VII), Vincent Delhoume (Francesco), Luc Bertin-Hugault (Bernardino), Rodolphe Briand (Pompeo), Se-Jin Hwang (Cabaretier), Pretty Yende (Teresa), Michèle Losier (Ascanio). Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, José Luis Basso, direction des choeurs, direction musicale, Philippe Jordan / mise en scène, Terry Gilliam. A l’affiche de l’Opéra Bastille à Paris, jusqu’au 14 avril 2018.