Voilà 25 ans que Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, l’un des fleuron de notre patrimoine lyrique national, n’avait pas connu les honneurs d’une représentation scénique dans la Capitale. C’est chose réparée avec cette nouvelle production, coproduite avec le Metropolitan Opera de New-York, et signée par Damiano Michieletto dont on se souvient du génial Barbier de Séville – in loco – il y a deux saisons. Las, l’essai n’a pas été transformé et sa transposition à l’époque contemporaine, qui flirte dangereusement avec le Regietheater (et ses inévitables soldats bardés de mitraillettes !) est loin d’être une réussite. La scénographie de Paolo Fantin évacue ainsi complètement la poésie et le souffle biblique dont l’ouvrage ne peut, selon nous, faire l’économie. Comment accepter, également, la façon dont le metteur en scène italien revisite le livret (et la légende) à son bon gré, qui confine au plus complet contre-sens. Ici, c’est Samson lui-même qui se coupe les cheveux pour les offrir à Dalila tandis que c’est cette dernière qui met le feu au Temple (en s’immolant) dans la scène finale !…
Le plateau vocal offre, heureusement, une tout autre satisfaction. A commencer par la Dalila superlative de la mezzo géorgienne Anita Rachvelishvili qui séduit dès son premier air « O mon bien aimé » et plus encore dans « Printemps qui commence », chanté avec un respect des annotations et de l’alternance du piano/forte qu’on trouve chez peu de ses rivales… si tant est qu‘il y en ait une aujourd’hui dans cet emploi ! Sa voix dense, d’une palette extrêmement variée, possède la projection nécessaire dans « Samson recherchant ma présence » ainsi que dans le duo avec le Grand Prêtre, où Saint-Saëns a appris la leçon de l’affrontement entre Ortrud et Telramund ; elle a surtout le mordant et cette autorité rageuse que toute Dalila se doit de posséder, mais sait également retrouver l’accent et l’élégance de la ligne, dans un bouleversant « Mon cœur s’ouvre à ta voix »… qui lui vaut un beau triomphe personnel (amplement mérité).
De son côté, le ténor letton Aleksandrs Antonenko campe un Samson à tout épreuve, capable de maîtriser la tessiture de bout en bout sans l’ombre d’une fatigue. Le timbre, sombre et dense (qui fait parfois penser à celui de Jon Vickers), est projeté avec insolence tandis que la diction s’avère tout à fait satisfaisante. Le sublime air de la meule, phrasé avec beaucoup de nuances, et des accents qui traduisent toute la souffrance intérieure du héros, émeut profondément. Bref, l’auditeur ne peut que s’abandonner au plaisir d’écouter cette grande voix, généreuse et vibrante.
Malgré des moyens d’envergure, la basse lettone Egils Silins est un discutable Grand-Prêtre tandis que Nicolas Testé chante le rôle d’Abimélech avec une voix d’un format bien trop confidentiel. En revanche, Nicolas Cavallier sait conférer noblesse et dignité au Vieillard hébreux, dans la prière du premier acte, avec son assurance tranquille et à son legato parfait.
Coté fosse, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris en état de grâce nous fait entendre la partition de Saint-Saëns que l’on n’avait jamais entendue aussi wagnérienne, grâce à la direction magistrale d’un Philippe Jordan tour à tour recueilli et haletant, avec un instinct génial de la dynamique et des couleurs. Saluons, enfin, le Chœur de l’Opéra national de Paris : il s’acquitte de sa tâche avec un éclat et une force de conviction qui forcent, comme toujours, l’admiration.
Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 10 octobre 2016. Camille Saint-Saëns : Samson et Dalila. Alexandrs Antonenko, Samson ; Anita Rachvelishvili, Dalila ; Egils Silins, Le Grand Prêtre ; Nicolas Testé, Abimélech ; Nicolas Cavallier, Un Vieillard Hébreu ; Luca Sannai, Premier Philistin ; Jian-Hong Zhao, Second Philistin ; John Bernard, Un Messager. Mise en scène : Damiano Michieletto ; décors : Paolo Fantin ; costumes : Carla Teti ; éclairages : Alessandro Carletti. Chef de chœur : José Luis Basso. Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Paris. Direction : Philippe Jordan. A l’affiche de l’Opéra Bastille, Paris, jusqu’au 5 novembre 2016.