Compte rendu, opéra. Nantes, Théâtre Graslin, le 6 mars 2016. Mozart : Don Giovanni. John Chest, Rinat Shaham…Mark Shanahan. Patrice Caurier et Moshe Leiser. « Pass’d the point of no return, the final threshold The bridge is crossed, so stand and watch it burn! » Charles Hart – Dom Juan triumphant (The Phantom of the Opera) Dans la comédie musicale sur le Fantôme de l’Opera signée Andrew Lloyd Weber, le terrible monstre mélomane qui terrorise le Palais Garnier écrit et impose son opera, « Dom Juan Triumphant ». Pendant le paroxysme de cette création, il se glisse dans le costume du héros pour enlever la chanteuse Christine dont il est follement épris, le duo « Pass’d the point of no return » est d’une inquiétante étrangeté. « Inquiétante étrangeté » est l’effet que cette nouvelle mise en scène du Don Giovanni de Mozart nous provoque.
Don Giovanni fascinant, auto destructeur
Les temps modernes veulent en effet que les adaptations, plus ou moins réussies, des œuvres du répertoire soient parfois d’un réalisme tel qu’il tend à nous faire bondir de notre siège de paisibles spectateurs du divertissement. Don Giovanni est un jouisseur invétéré et égoïste, c’est un fait ; mais sa damnation est finalement plus un châtiment moral et divin qu’un aboutissement d’une quête autodestructrice. Pour cette mise en scène, Patrice Caurier et Moshe Leiser parient sur un Don Giovanni fascinant et auto-destructeur. En somme, Don Giovanni est un caïd de banlieue drogué et excessif, qui attire et qui révulse. Finalement en mettant en scène l’action dans un immeuble quelconque, ce drame moral en devient un fait divers digne des journaux télévisés du week-end. Bonnes idées de base mais cette production demeure assez névrotique malgré tout. Une bonne idée est de rendre Leporello beaucoup plus consistant que le rôle de valet complice. On retrouve un personnage fasciné par Don Giovanni, complice même charnellement, une réelle bonne idée bien transmise dans le jeu excellent de Ruben Drole. Or c’est aussi là que ça cloche : la monstration du sexe sur scène est excessive et sans aucune subtilité ; quasiment tous les airs sont prétexte à des ébats (or Don Ottavio et Donna Anna) allant jusqu’à la sodomie. On arrive à se demander si cette monstration est un banalisateur pour choquer le bourgeois et faire plaisir au spectateur de télé-réalité ? Finalement on peut plutôt y ressentir un certain malaise. De même la fin, ou l’on retrouve un Don Giovanni au paroxysme de son excès (scène de banquet au sandwich Sodebo et whisky eco+, sodomie de Leporello, cocaïne…) et finalement le pauvre Commandeur, dans la vision de messieurs Caurier et Leiser perd sa figure statuaire et terrible pour devenir une simple allucination issue d’une piqure d’héroïne. En effet, ici Don Giovanni ne tombe pas dans les enfers mais meurt d’une overdose; ce qui revient à faire mourir au XVIIIeme siècle Don Giovanni d’une indigestion. Outre cette mise en scène qui mêle excellentes idées et visions moins heureuses, la direction d’acteurs est mitigée par le talent des uns et des autres, le couple Don Giovanni (John Chest) et Leporello (Ruben Drole) se détachant largement. Côté musique, l’Orchestre National des Pays de Loire trouve les couleurs de Mozart à son aise surtout sous la baguette formidable de Marc Shanahan. Ce chef est sublime de dynamisme, gardant le rythme, la narration, les nuances. Côté plateau, le choix des solistes est un peu déséquilibré. John Chest est un Giovanni incroyable de jeunesse, de beauté, et de fougue. Il est inénarrable dans la séduction et le cynisme, excellent acteur, il donne un relief incroyable au travail complexe de banalisation du personnage pour le rendre proche de notre monde. Vocalement il demeure correct même si ça et la, on aurait souhaité plus de nuances. Le Leporello de Ruben Drole est remarquable dans l’émotion et notamment à la fin, il émeut jusqu’aux larmes. Cependant vocalement il demeure un peu en retrait, avec une voix quelque peu monochrome. Troisième splendeur de la soirée l’incroyable Elvira de Rinat Shaham. Nuancée, puissante et terriblement attachante, ses phrases ont une élégance envoûtante et la vocalise mozartienne n’a aucun secret pour elle. Bravo mille fois à cette interprète formidable et encourageons les ensembles et les directeurs d’opéra à lui offrir des occasions de nous surprendre encore. Tout pareil la Zerlina de Elodie Kimmel est d’un raffinement notable, dégageant cette innocence équivoque et une belle détermination inhérentes au rôle. Le Masetto de Ross Ramgobin est correct mais sans beaucoup de souplesse. La Donna Anna de Gabrielle Philiponet déçoit par une forte tension dans l’aigu et une interprétation monochrome qui ajoute à la froideur virginale de son rôle. Le Ottavio de Philippe Talbot est sans fard et assez ennuyeux. Son jeu est tout aussi décevant puisqu’il en est inexpressif. C’est dommage, surtout que son « Dalla sua Pace » est beau et plein d’émotions. Le Commandeur de Andrew Greenan est correct. Ce Don Giovanni Nantais nous rappelle dans une course folle à l’excès que nous sommes bien plus proches des Dom Juan que nous ne voulons l’admettre. Cependant, le « point de non retour » est lors du déni de notre propre libre-arbitre, le cynisme de voir la limite et de la toucher du bout des doigts. Finalement ce Don Giovanni avec ses excès et ses imperfections est loin de laisser indifférents et gageons que c’est ce qui constitue la plus grande beauté de cette production. A Nantes les 6, 8, 10 et 12 mars 2016, puis à Angers les 4, 6 et 8 mai. www.angers-nantes-opera.com)
Don Giovanni de WA Mozart à Nantes
Don Giovanni John Chest
Le Commandeur Andrew Greenan
Leporello Ruben Drole
Donna Anna Gabrielle Philiponet
Don Ottavio Philippe Talbot
Donna Elvira Rinat Shaham
Masetto Ross Ramgobin
Zerlina Élodie Kimmel
Choeur d’Angers Nantes Opéra
Direction Xavier Ribes
Orchestre National des Pays de la Loire.
Direction musicale: Mark Shanahan
Mise en scène: Patrice Caurier et Moshe Leiser
Compte rendu, opéra. Nantes, Théâtre Graslin, le 6 mars 2016. Mozart : Don Giovanni. John Chest, Rinat Shaham…Mark Shanahan. Patrice Caurier et Moshe Leiser. Illustration : Jeff Rabillon © Angers Nantes Opéra 2016.