Compte-rendu, opéra. Nancy. Opéra National de Lorraine, le 19 mars 2017. Rimski-Korsakov : Le Coq d’or. Rani Calderon, Laurent Pelly. Une coproduction avec le Teatro Real de Madrid et la Monnaie de Bruxelles, voilà qui confirme la place importante qu’occupe l’Opéra National de Lorraine au sein du paysage lyrique dans l’Hexagone. La maison nancéenne s’est associée à ces deux prestigieuses maisons lyriques pour monter le Coq d’or de Nicolaï Rimski-Korsakov, très rarement monté en dehors de la Russie, comme beaucoup d’ouvrages de ce pays. Composée en 1907, cette œuvre ne sera pourtant créée que deux ans plus tard, car interdite par le Tsar Nicolas II du vivant du compositeur, qui ne la verra hélas jamais portée à la scène puisqu’il meurt en 1908.
Un petit coq en cuivre
Inspiré d’un conte de Pouchkine, cet opus singulier révèle, sous des atours fantastiques et drôles, une charge cruelle et amère contre le pouvoir et la politique. Fatigué de régner et de craindre ses voisins, le Tsar Dodon n’aspire qu’à pouvoir s’adonner à son passe-temps favori : la sieste. Un astrologue lui propose un coq magique qui l’avertira par son chant de l’imminence d’un danger. Le souverain est enchanté, il pourra ainsi dormir sur ses deux oreilles. Mais le coq s’agite à plusieurs reprises, et le Tsar est contraint d’envoyer ses deux fils guerroyer pour défendre son royaume. Finalement, à contrecœur, le monarque prend la tête de son armée pour repousser les ennemis. Sur le champ de bataille, il découvre les corps sans vie de ses fils et voit apparaître, émergeant d’une tente, la sublime Reine de Chemakha, pour le charme de laquelle les enfants du Tsar se sont entretués. Oubliant son chagrin, le roi tombe immédiatement amoureux de la jeune femme et décide de la ramener dans son palais.
De retour sur le trône, le Tsar voit revenir l’Astrologue bien décidé à réclamer son dû en contrepartie du coq : tout ce qu’il demande, c’est la Reine. Le souverain refuse catégoriquement et, devant l’insistance du savant, le tue d’un coup de sceptre. Soudain, fendant les airs, le coq jaillit et, d’un coup de bec vengeur, met fin aux jours du Tsar. Le peuple se lamente sur la disparition de ce monarque si bon qui, couché au fond de son lit, régnait les bras croisés. L’Astrologue réapparaît en guise d’épilogue pour rassurer le public malgré la violence de cette fin : tout n’était que songe, seuls la Reine et lui-même étaient bel et bien vivants…
Une conclusion ouverte et ambigüe qui permet toutes les interprétations. Laurent Pelly, fidèle à son univers visuel, met en lumière, non sans humour, la noirceur contenue dans ce conte. Le sol est un champ de bataille
basaltique qui n’est pas sans rappeler celui de sa Grande Duchesse de Gérolstein au Châtelet ; la scène est occupée en partie par le lit démesuré dans lequel paraît vivre le Tsar, dont il ne s’extirpe qu’à grand-peine pour enfiler une cuirasse par-dessus son pyjama.
Au deuxième acte, c’est une succession de cercles lumineux rappelant un vortex qui prend place sur le plateau, représentant la tente de la Reine et accentuant le côté irréel de son personnage.
Ouvrant le troisième et dernier acte, le chœur guette le retour de son souverain devant un rideau représentant la vieille Russie et qui, une fois arraché, dévoilera le lit royal juché sur les chenilles d’un char, emblème désormais menaçant du pouvoir. Refermant la représentation, l’Astrologue passe la tête par l’entrebâillement du rideau et s’élève dans les airs dans un effroyable rire sardonique, comme s’il avait été l’instigateur de toute cette machination.
Entièrement russophone, la distribution fait honneur à cette musique. Excellent Coq dansé par Diane Vaicle et chanté depuis la coulisse par Inna Jeskova ; Hilarant duo de Tsarévitchs aussi semblables d’aspect que complémentaires de voix, avec le baryton sonore de Ronan Shulakov et le ténor percutant de Jaroslaw Kitala. On aime particulièrement l’Amelfa chaleureuse de la mezzo Marina Pinchuck, au timbre velouté et à la rondeur vocale rassurante. Très en voix également, le Général Polkan de Mischa Shelomianski, qui n’hésite pas à faire tonner sa grande voix de basse. Épatant tant scéniquement que vocalement, l’Astrologue de Yaroslav Abaimov semble être exactement le ténor contraltino requis pour le rôle, paraissant à l’aise dans cette tessiture épouvantablement aiguë sans pourtant tomber dans le fausset, et allant jusqu’à donner un spectaculaire contre-mi à pleine voix !
Au Tsar Dodon de Vladmir Samsonov, on pourrait reprocher une émission souvent rentrée et un manque de mordant, mais ces défauts conviennent finalement bien à ce monarque pantouflard et toute sa composition théâtrale achève de le rendre débonnaire et finalement attachant.
Véritable révélation, la jeune Svetlana Moskalenko éblouit de bout en bout à travers les courbes, tant physiques que vocales, de la Reine de Chemakha. Le timbre se révèle splendide, la musicalité très fine, la maîtrise technique totale, culminant dans un contre-mi étourdissant au deuxième acte. Gageons qu’elle est appelée à une grande et brillante carrière.
A la tête d’un chœur superbe et d’un orchestre des grands jours, le chef Rani Calderon, visiblement apprécié et estimé par tous les instrumentistes qu’il dirige, exploite toutes les richesses harmoniques contenues dans la partition, pour un résultat enivrant de volupté, notamment dans l’interlude entre les deux derniers acte, véritable moment d’apesanteur musicale. Remerciements à l’Opéra National de Lorraine qui nous permet de (re)découvrir un joyau de la culture russe.
______________________
Nancy. Opéra National de Lorraine, 19 mars 2017. Nicolaï Rimski-Korsakov : Le Coq d’or. Livret de Vladimir Bielski d’après un conte de Pouchkine. Avec Le Tsar Dodon : Vladimir Samsonov ; La Reine de Chemakha : Svetlana Moskalenko ; L’Astrologue : Yaroslav Abaimov ; Le Général Polkan : Mischa Schelomianski ; Amelfa : Marina Pinchuk ; Le Tsarévitch Gvidon : Ronan Shulakov : Le Tsarévitch Afron : Jaroslaw Kitala ; Le Coq d’or : Diane Vaicle ; La voix du Coq d’or : Inna Jeskova. Chœur de l’Opéra National de Lorraine ; Chef de chœur : Merion Powell. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy. Direction musicale : Rani Calderon. Mise en scène : Laurent Pelly ; Collaborateur à la mise en scène : Christian Räth ; Décors : Barbara de Limburg ; Lumières : Lionel Hoche ; Collaborateur aux costumes : Jean-Jacques Delmotte.