Compte rendu, opéra. Metz, Opéra-Théâtre, le 17 nov 2017, Donizetti : Don Pasquale. Cyril Englebert / Pierre-Emmanuel Rousseau. On oublie souvent que Norina est une des premières veuves joyeuses de l’opéra. La Vedova ingegnosa (Giuseppe Sellitto), les Deux veuves de Smetana, La Vedova scaltra de Ermanno Wolf-Ferrari, d’après Goldoni, … la liste serait longue de celles-ci occupant le devant de la scène. Naïvement, on croyait que la seule figure féminine de Don Pasquale, soprano léger, dans la tessiture comme dans l’esprit et l’expression, était le personnage central autour duquel l’action se déroulait : Jeune femme de caractère, rusée et capricieuse, lyrique et bouffe, sincèrement éprise d’Ernesto, mais aussi adorable comédienne propre à jouer la mégère revêche, dès le faux-contrat de mariage signé.
Une comédie surprenante, cruelle et grinçante
Ce soir, y aurait-il détournement de livret ? Ce ne serait pas la première ni la dernière fois… Don Pasquale semblait à l’abri de toute récupération tant le propos et l’intrigue sont conventionnels. C’est maintenant chose faite. A en croire Pierre-Emmanuel Rousseau, maître d’œuvre et d’ouvrage de la réalisation, Malatesta et Norina seraient roués, vénaux, lubriques, complices de la captation de la fortune de Don Pasquale, ce dernier dindon de la farce, avec un Ernesto relégué au rayon des accessoires. Même si la lecture peut sembler logique, on a peine à suivre la proposition de mise en scène. Les billets de monnaie distribués par Malatesta ne suffisent pas à accréditer la vénalité des personnages. Point ne suffit qu’une bouteille circule de bouche en bouche pour donner cette ivresse euphorique. Cependant, ce Don Pasquale réserve d’excellents moments, musicalement comme dramatiquement. Le deuxième acte, son finale tout particulièrement, vif, piquant, coloré, et le troisième seront très appréciés.
Le décor, les costumes et les lumières sont signés du metteur en scène, et leur cohérence va sans dire. La commedia dell’ arte ne se limite pas seulement aux personnages et à leur jeu. Le décor, ingénieusement conçu, permet de figurer un intérieur comme la scène nocturne dans le jardin, voire le passage d’une gondole. Les costumes, mi XVIIIe S-mi kitsch, sont parfaitement appropriés : de la guêpière de Norina, puis de sa cape, assortie au vêtement de Malatesta, son complice, de la tenue excentrique de Don Pasquale attendant sa Dulcinée, emperruqué comme un Louis XIV vieillissant, Arlequin, Ernesto en Pierrot, c’est un régal. Les éclairages, changeants, souvent crus, aux couleurs elles-aussi très kitsch, participent à la vivacité de l’ouvrage.
La Norina de Rocio Pérez, pleinement épanouie dans sa voix comme dans son jeu, nous vaut un chant élégant, léger et sonore, dont le soutien, la ligne et la couleur sont adorables, avec une égalité de registre rare. Le délié est exempt de minauderies, les effets pyrotechniques sont là, sans ostentation aucune, les aigus sont aisés, agiles et l’ornementation belcantiste idéalement restituée. Sa cavatine, son duo avec Don Pasquale, après le soufflet, chargé d’humour, mais toujours léger, pétillant, l’ultime duo « Tornami a dir che m’ami » atteignent la perfection. Ce chant rayonnant, exemplaire sort indemne de la trivialité, voire de la vulgarité imposés par la mise en scène : Comment croire dans cette Norina qui, après avoir chanté « je suis prête sauf à trahir mon amour » (acte II scène 5), se livrera à des ébats sans équivoque avec Malatesta, après avoir partagé les caresses d’Arlequin ? Ici, c’est une aguicheuse, friande de jeunes hommes, d’un physique de top-model.
Ernesto, pauvre Pierrot, s’il ne se voit attribuer guère de consistance par cette lecture originale de l’ouvrage, est tout aussi remarquable au plan vocal : Patrick Kabongo, authentique ténor di grazia, donne le meilleur de lui-même. La ligne est irréprochable, sobre et soutenue, il sait émettre de vrais piani, sans jamais être plat ou fade. Son « Sogno soave e casto » est prometteur et jamais nos attentes ne seront déçues. Un « Com’è gentil » d’anthologie, des duos ravissants, on est comblé.
Don Pasquale et le docteur Malatesta chantent juste, mais sonnent faux : leur jeu dramatique, artificiel, lié à la conception des personnages, semble les contraindre. Tous deux manquent parfois de rondeur, de verve, de la faconde attendues. Conséquence vraisemblable du parti pris de la mise en scène, qui transforme en comédie grinçante ce qui n’est qu’une bouffonnerie réussie. Michele Govi, beau baryton familier du répertoire italien a beaucoup chanté Malatesta avant de s’emparer de Don Pasquale. Excellent comédien, il use de tous les registres avec art. Il passe ainsi de la voix parlée au parlé-chanté et au chant sans qu’il y paraisse. Alex Martini nous vaut un grand docteur Malatesta. L’émission est aisée, sonore, toujours articulée, conduite avec goût. Il est ici le meneur de jeu, et y prend un plaisir manifeste. Signalons Julien Belle, Arlequin de service, notaire d’occasion, dont les interventions musicales sont chiches, mais dont l’activité dramatique est constante : une réussite que ce personnage le plus souvent muet.
Le chœur de l’Opéra-Théâtre, figurant avant le dernier acte, y donne toute sa mesure, avec des déplacements chorégraphiés. L’Orchestre National de Lorraine, malgré une ouverture un peu décevante, se montre réactif à la direction de Cyril Englebert : la musique pétille, danse, fait rêver comme on l’attend. Signalons comme autant de réussites l’introduction puis le soutien de la cavatine de Norina, rêveur, poétique, exubérant, ainsi que les poncifs du nocturne et la péroraison finale.
Un excellent moment de détente, servi par de solides et talentueux interprètes, pleinement engagés.
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Compte rendu, opéra. Metz, Opéra-Théâtre de Metz-Métropole, le 17 novembre 2017, Donizetti : Don Pasquale. Cyril Englebert / Pierre-Emmanuel Rousseau. Michele Govi, Rocio Pérez, Patrick Kabongo, Alex Martini, Julien Belle. Crédit photo : © Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz