jeudi 18 avril 2024

Compte-rendu, opéra. Genève, Grand Théâtre (Opéra des Nations), le 13 septembre 2017. Mozart : le Nozze di Figaro ;  Marko Letonja / Tobias Richter

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Générale Piano ODN 24-08-17Compte-rendu, opéra. Genève, Grand Théâtre (Opéra des Nations), le 13 septembre 2017. Mozart : le Nozze di Figaro ; Marko Letonja / Tobias Richter. Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas. Un Barbier décevant avait ouvert cette « Trilogie de Figaro ». Lui succèdent les Noces de Figaro, qui nous éblouissent et nous  passionnent.  Depuis son accession à la direction du Grand Théâtre, Tobias Richter, dont les mises en scène se comptaient par dizaines, avait renoncé à sa passion première. Alors qu’il va remettre la destinée de l’institution genevoise entre les mains de Aviel Cahn, encore à la tête de l’Opéra des Flandres, Il renoue maintenant avec ce chef d’œuvre, qu’il fréquente depuis des décennies. Dans le droit fil de Strehler, Ponnelle et autres grands metteurs en scène d’il y a vingt ans et davantage,  son ambition se limite à faire vivre un ouvrage où le désir circule, jeu de trois couples (sans relation à Bartók). Sa lecture, très littérale comme approfondie, nous vaut un théâtre dont les acteurs, toujours justes de ton, au jeu naturel, sincère, nous émeuvent dans leur évolution. Marko Letonja, en fosse, sera le maître d’œuvre, qui fédérera les compétences et les énergies pour réaliser ce qui est trop rare à l’opéra : un travail d’équipe, de troupe, animé par un projet commun. Tous deux partagent cette conception dramatique où les récitatifs revêtent autant d’importance que les airs et les ensembles, où la fluidité du discours, son intelligibilité et sa construction sont les maîtres mots. Chacun excelle dans la nuance, dans le sous-entendu, dans l’allusion : une attitude, un geste, un échange de regards, un phrasé, explicitent, approfondissent les mots.

Les Nozze à Genève

folle soirée, pleinement aboutie

Générale Piano ODN 24-08-17Si le dispositif scénique de Ralph Koltaï – deux grands panneaux coulissants et pivotants – prévaut encore ce soir, les costumes du XVIIIe S, splendides et seyants, que l’on croyait relégués dans la réserve d’un musée, réapparaissent avec bonheur. Avec des éclairages subtils, au service de l’expression dramatique, ils nous ravissent et nous réconcilient avec  une certaine magie, hédoniste, de l’opéra. Nous allons assister à un vrai spectacle, pleinement abouti. Nous y croyons, tant la vérité, la spontanéité des personnages paraissent évidentes, servis par une direction d’acteurs particulièrement soignée.
La personnalité forte du Comte –  Ildebrando d’Arcangelo – domine les personnages masculins.  Familier du rôle, il use de son émission sonore, de ses couleurs cuivrées, de sa projection et de son aisance pour camper un aristocrate, autoritaire voire brutal, séducteur, dont les intonations caressantes comme passionnées nous émeuvent. Très latin, avec ses emportements colériques comme dans sa passion et ses souffrances, le chanteur se double d’un excellent comédien. Son récitatif accompagné, puis son air « Vedró per man d’amore » méritent de figurer dans les anthologies. Chacune de ses interventions aura été pur bonheur. Le Figaro de Guido Loconsolo chante bien, même si l’on attendait davantage de relief dans ses premières interventions. La voix est puissante, le timbre clair, baryton plus que basse, psychologiquement parent de Masetto, avec une certaine noblesse que confirmera l’intrigue. Son amour pour Suzanne, ses tourments sont remarquablement traduits par son chant comme par son jeu. Dans ses trois airs, dans les ensembles et dans les récitatifs, il ne dépare pas la distribution.
Bartolo, tout comme Marceline, ne sont pas des rôles secondaires, et Bálint Szabó campe bien l’ancien tuteur qui est maintenant épris de Marceline. Il lui donne même un air sympathique et drôle. Malgré quelques petits décalages dûs à sa précipitation, sa « Vendetta » est réussie et sa participation aux ensembles (le sextuor, les finales) répond pleinement aux attentes. Le Basilio fourbe de Bruce Rankin, puissant, bien projeté, clair, l’Antonio de Romaric Braun, participent harmonieusement à la distribution. Tout juste pourrait-on s’étonner que le jardinier soit si sobre et policé. Mais la mise en scène ne force jamais le trait, comme avec le bégaiement du juge, Don Curzio, sur lequel on n’insiste pas.
Fort heureusement, la Comtesse de ce soir est beaucoup plus jeune –vocalement et physiquement – que la Rosine du Barbier d’hier. Nicole Cabell est adorable, avec  un timbre chaleureux, coloré avec mesure, une maîtrise idéale du legato, la féminité noble, aimante. La voix est ample, agile, des aigus lumineux. Ses deux airs sont servis à merveille, avec un magnifique orchestre (quel hautbois !). L’émotion à fleur de peau.
Mais, ne l’oublions pas, Suzanne est la prima donna, dont les interventions sont les plus fréquentes et les plus riches. Pour Regula Mühlemann, jeune mozartienne qui vient de signer son premier CD ( Mozart : ARIAS, clic de classiquenews, novembre 2016), c’est une prise de rôle. Elle a la jeunesse, la séduction, la verve limpide, sans affectation, avec des mezza voce adorables. La voix est souple, agile, aux aigus aisés. Les airs, les ensembles, les récitatifs la qualifient parmi les grandes Suzanne de la génération montante. Tout est là, naturel, volontaire, tendre, facétieux. Les moyens dramatiques ne sont pas moindres que les vocaux. Une heureuse découverte, ravissante.
Un mezzo léger dont la féminité est heureusement estompée, voix fraîche, fruitée, sonore, Avery Amereau, incarne Chérubin, avec un sens infaillible de son rôle. Que son cœur se gonfle pour la Comtesse ou Barberine, nous en partageons les pulsions. Le « Non su più », comme le « Voi che sapete », malgré les références nombreuses, parviennent à nous les faire oublier tant la sincérité et la perfection du chant sont au rendez-vous. Il faut y associer une Barberine, délurée, presqu’adulte, charmante et fraîche,  Melody Louledjian. L’émotion de son unique air du 4ème acte est vraie.
La Marceline de ce soir n’est pas cette petite vieille acariâtre, parente de Papagena dans sa première apparition. C’est simplement une femme dont on mesure le douloureux parcours à la révélation de sa maternité passée. Une femme attachante malgré ses prétentions à épouser Figaro.  Monica Bacelli, qui a longtemps chanté Chérubin, connaît parfaitement le Nozze di Figaro. Riche mezzo, bien timbré, au large ambitus, à la voix puissante, elle nous impressionne par sa vitalité, comme par son élocution rapide – c’est une rossinienne – par ses aigus clairs et la longueur de sa voix. La personnalité est riche et crédible : sa présence et son jeu dramatique associés à un chant admirable confèrent une épaisseur, une vérité humaine au personnage.
L’Orchestre de la Suisse Romande, les chœurs et les solistes sont conduits, sans baguette, par un chef comme on rencontre peu de mozartiens, Marko Letonja. Son extrême probité, au service exclusif de la musique de Mozart  et de la vie de l’ouvrage, sans jamais tomber dans une dévotion béate, l’attention portée à chacun et à tous le consacrent comme l’auteur du miracle. Les changements de tempi, la souplesse du  déroulé, les enchaînements naturels des airs, ensembles et récitatifs,  la conduite des progressions,  tout concourt à ce que chacun donne le meilleur de lui-même. L’élégance, le raffinement, comme la vigueur du propos sont peu communs. Ainsi, pour prendre une page considérée comme secondaire, le fandango (finale de l’acte III), ici chorégraphié avec les choristes, concilier l’exigence rythmique, la précision avec la souplesse mélodique, le lyrisme et les couleurs représente un défi, magistralement relevé par le chef. Il serait injuste d’oublier le chœur et ses solistes, l’orchestre, au mieux de sa forme et Xavier Dami, auquel on est redevable d’un continuo efficace et inventif.

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Compte-rendu, opéra. Genève, Grand Théâtre (Opéra des Nations), le 13 septembre 2017. Mozart : le Nozze di Figaro ; Marko Letonja / Tobias Richter. Illustrations : © Magali Dougados

 

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