COMPTE-RENDU, opéra. BEAUNE, Cour des Hospices. Le 19 juillet 2019. HAENDEL : SERSE. Vendittelli, Zasso, Galou, Labin, Dantone. Après un magnifique Saül (Alarcon), Beaune poursuit avec bonheur son cycle Haendel. Dans le droit fil de Cavalli, pour lequel avait été écrit le premier livret original de Serse, avec cette union constante du grave et du comique, après Bononcini, Haendel nous livre son ultime opéra, avant de renoncer au genre pour se consacrer exclusivement à l’oratorio. Les coupes permettent de faire l’économie des chœurs, de la trompette et des cors, mais nous privent des accents victorieux des troupes d’Amastre, de la tempête sur l’Hellespont, enfin de la solennité des prêtres lors des mariages qui concluent (le choeur final, splendide est chanté par les seuls solistes). C’est toute une dimension de l’ouvrage qui disparaît : si l’action dramatique n’en pâtit pas, la dimension musicale et scénique s’en trouve modifiée. Comme c’est à une simple mise en espace que nous assistons, oublions… Depuis Kubelik, impénétrable à l’humour, les grandes versions se succèdent où les Serse féminins rivalisent (Piau, Genaux, Arquez…). L’auditeur non-initié s’étonnera de voir dilués les notions de genre, ce qui ne gênait personne au XVIIIe siècle : Serse est chanté par une voix de femme, physiquement très féminine, le créateur ayant été l’un des castrats les plus célèbres, Caffarelli ; Arsamene, son frère, est certes chanté par un homme, mais c’est un haute-contre ; Amastre, fiancée délaissée du roi, se fait passer pour un soldat, barbiche et manteau aidant…
L’intrigue est d’une rare complexité et il serait vain de vouloir la résumer ici. Disons simplement que le roi a jeté son dévolu sur celle qu’aime son frère, et dont la sœur n’a d’yeux que pour Serse. L’ouvrage est intitulé « dramma per musica », comme il est courant à l’époque pour désigner les opere serie. Cher au pays de Shakespeare, le mélange des genres, hérité de Cavalli, permet la plus grande diversité d’expression : du pathétique au bouffe, qui se marient sans peine. Illustration : Ottavio Dantone (DR)
Frères et sœurs rivaux en amour
De l’ouvrage, maintenant bien connu, n’a longtemps survécu que le célèbre « Ombra mai fiù », prétendu « largo », dont les interprétations galvaudées ont détourné le sens. Nous le retrouverons après une ouverture énergique, contrastée, suivie d’une gigue dont le caractère dansant est manifeste. Le larghetto est pris quelque peu retenu – comme le public l’a dans l’oreille, sans doute – mais qui en estompe le tour humoristique. Le timbre est rond, plein, la voix sonore et insolente. Arianna Venditelli s’affirmera comme une merveilleuse interprète, pleinement engagée. L’émission est généreuse, arrogante, l’évidence radieuse. Les phrasés sont ciselés, sur un souffle long d’une rare maîtrise. Dans son ultime aria, l’air de bravoure « Crude furie degl’ orridi abissi », toute sa virtuosité est au service d’une force expressive inouïe. Si le rôle-titre, toujours sollicité, focalise l’écoute et le regard, aucun de ses partenaires ne démérite, chacun d’eux est en adéquation parfaite avec l’emploi. Romilda, d’une fidélité sans faille, est confiée à Ana Maria Labin. La clarté lumineuse de l’émission, la conduite de la ligne, la souplesse nous ravissent, même si le personnage, de par sa constance, retient moins l’attention que celui d’Atalanta, sa sœur, dont le tempérament, la rouerie sont servis à merveille par Sunhae Im. Cette dernière avait chanté Romilda, ici même, en 2014. Quelle qu’ait été la performance, il y a fort à parier que son timbre et sa personnalité s’accordent mieux à cette peste, qui n’aura pas trouvé chaussure à son pied au terme de l’ouvrage. Amastre, la fiancée délaissée, que Serse finira par épouser, est Delphine Galou, qui connaît bien son rôle et lui donne la drôlerie comme l’émotion attendues. Sa maîtrise vocale est incontestable ; elle demeure impressionnante dans ses arie « Se cangio spoglia » et , surtout, «Saprà delle mio offense ». Nous retrouvons Lawrence Zasso dans Arsamene. Sensible, crédule, passionnément épris de Romilda, ses nombreuses interventions (pas moins de 7 airs et 16 récitatifs) sont autant de moments d’émotion. Elviro, son serviteur insouciant et parfois pris de boisson, est remarquablement campé par Riccardo Navarro, dont on apprécie toujours les emplois de basse-bouffe. Enfin, Luigi Di Donato (que l’on retrouvera dans Les Indes galantes dans moins d’une semaine), nous vaut un Ariodate, général victorieux, père de Romilda et d’Atalanta, qu’il sert avec l’autorité et la bienveillance attendues.
L’orchestre, réactif, précis, profond, se montre toujours attentif au chant qu’il accompagne avec goût. Les pages purement orchestrales (ouverture, sinfonia etc.) sont des moments de bonheur. Le continuo, souple, coloré participe à la réussite de la soirée.
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COMPTE-RENDU, opéra. BEAUNE, Cour des Hospices, le 19 juillet 2019. HAENDEL : SERSE. Vendittelli, Zasso, Galou, Labin, Ottavio Dantone.
HAENDEL / HANDEL : Serse, Dramma per musica en 3 actes
sur un livret de Silvio Stampiglia, d’après celui de Nicola Minato
créé à Londres au King’s Theater Haymarket, le 15 avril 1738
Serse : Arianna Vendittelli
Arsamene : Lawrence Zazzoo
Amastre : Delphine Galou
Romilda : Ana Maria Labin
Atalanta : Sunhae Im
Ariodate : Luigi De Donato
Elviro : Riccardo Novaro
Accademia Bizantina
Ottavio Dantone, direction