Compte-rendu critique festival Les solistes à Bagatelle, 16 septembre 2018, récital François -Frédéric Guy, piano, Debussy, Murail, Beethoven. A l’orangerie du parc de Bagatelle, sous le ciel radieux d’un été qui n’avait pas dit son dernier mot, le public est venu nombreux dimanche 16 septembre, écouter les deux derniers concerts clôturant le festival Les Solistes à Bagatelle. Un récital de piano, puis de musique de chambre, comme de tradition dans cet évènement, avec pour fil conducteur la musique du compositeur Tristan Murail, au cœur de chacun des deux programmes. Comme se plait à le dire Anne-Marie Reby Guy, sa directrice artistique, le festival vit avec son temps, et les œuvres de compositeurs vivants sont les composantes incontournables de la programmation. Cette année, Tristan Murail, mais aussi Bruno Mantovani, Ivan Fedele, George Benjamin et Allain Gaussin, auront ainsi apporté, dans sa diversité, la touche contemporaine.
BOUQUET FINAL À BAGATELLE
Tandis que sur les cailloux du parc le paon promène « son allure de prince indien », et le chat sa nonchalance, François-Frédéric Guy arrive au piano avec un charisme naturel dont il ne se dépare pas. Il va donner en récital un programme fort judicieusement composé en une sorte de grande arche reliant Debussy et Beethoven, avec pour clé de voûte entre les deux, une création de Tristan Murail, présent pour l’évènement. Modernité: voilà sans doute le dénominateur commun à l’ensemble des pièces, à en juger en particulier par le choix des Préludes en ouverture, pris dans le second cahier. Brouillards, premier de la série, apparaît sous les doigts du pianiste jouant de l’acoustique réverbérée pour fondre les quintolets dans une fluidité qui n’a rien d’une opacité ouatée, mais plutôt d’un mouvement infime de microparticules en suspension…tel le brouillard! la matière est donnée par l’émergence épisodique des accords eux très définis, nets. Doit-on évoquer ici des contrastes? Pas à proprement parler. Il s’agirait plutôt d’un jeu subtil entre le net et le flou, le révélé et le caché, ce qui perce et ce qui se fond. F.F. Guy joue en fait un brouillard qui montre et ne gomme pas! Parti moderniste qu’on apprécie d’entendre! La Puerta del Vino possède davantage la rugosité espagnole que la sensualité orientale, dans un son incarné, « âpre », comme Debussy le réclame. Les Fées sont d’exquises danseuses ont une espiègle et gracieuse volubilité. Feux d’artifice, dernier prélude du cahier, vient en pendant de Brouillards avec ses touches de couleurs sur les triples croches parfaitement fondues entre elles, telle une matière sonore en mouvement dont on ne perçoit pas les notes, et prend par endroits un éclat orchestral. Commémorant l’année Debussy, Tristan Murail s’est librement inspiré des Reflets dans l’eau, pour composer cette année Cailloux dans l’eau, œuvre dédiée à F.F. Guy.
Sur scène, il vient en parler: l’image de Debussy a servi de modèle; la forme, la conduite du discours, l’ambiance elle-même de Cailloux dans l’eau, rappellent celles des Reflets dans l’eau. « Quelques cailloux négligemment jetés vont perturber ces reflets, en agitant la surface de l’eau par quelques ondes spectrales… » Cette pièce fera partie d’un recueil. Quoi de commun à l’écoute des deux œuvres? La parenté flagrante du début, presque une citation dans la pièce de Murail. Mais surtout le mystère. C’est en tout cas la dimension qu’en donne F.F. Guy à l’une comme à l’autre. Les « Cailloux » propagent leurs ondes sur la résonance des basses dans un développement où la virtuosité crée une irisation sonore, ici particulière au langage spectral et magnifiquement rendue par le pianiste. Puis Beethoven. Mais c’est on ne peut plus classique direz-vous! Et bien non! Pas les Variations Eroïca opus 35. Une œuvre atypique, singulière, visionnaire, selon F.F. Guy. Du thème le plus basique qui soit, naissent quinze variations et une fugue, trésors d’inventivité. La tonalité générale en est joyeuse et même humoristique, voire grotesque par endroits, le thème déjà lui-même prêtant à sourire. Cela n’a pas échappé à F.F. Guy pour lequel Beethoven n’a plus de secret. Son jeu en révèle toutes leurs géniales facettes, avec truculence, mais aussi tendresse, esprit et surtout une belle dose de bonne humeur. Un régal! Une interprétation brillante dans une technique parfaitement dominée, un feu d’artifice sur tous les registres du clavier, jusqu’à la fugue à trois voix, tenue fermement, ébouriffante, et jusqu’aux trilles lumineux et stellaires qui ne sont pas sans préfigurer les dernières sonates. Le public réjoui en redemande. Un bis? On ne pouvait que l’espérer: l’intimité d’un ultime intermezzo de Brahms. Crédit photo: © Caroline Doutre