vendredi 29 mars 2024

COMPTE-RENDU, festival. ERSTEIN, PIANO AU MUSÉE WÜRTH, 15-24 nov 2019. Jean-Baptiste Fonlupt, Gaspard Thomas, Tedi Papavrami, Maki Okada, Vanessa Wagner, Olivia Gay, Martin Stadtfeld. 

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COMPTE-RENDU, FESTIVAL. PIANO AU MUSÉE WÜRTH, ERSTEIN, NOVEMBRE 2019, Jean-Baptiste Fonlupt, Gaspard Thomas, Tedi Papavrami, Maki Okada, Vanessa Wagner, Olivia Gay, Martin Stadtfeld.

wurth-piano-au-musee-urth-piano-concerts-critique-annonce-classiquenews-piano-au-musee-wurth-2019-vignette« De l’humour en toutes choses! » C’est la carte que le festival Piano au Musée Würth a jouée pour sa quatrième édition, du 15 au 24 novembre dernier. Cet « art d’exister », comme le disait le journaliste écrivain Robert Escarpit, Olivier Erouart, son directeur artistique, nous a démontré qu’il fut aussi cultivé par les compositeurs les plus inattendus. Comme on va chercher les œufs cachés à Pâques, nous sommes allés dénicher ses perles, quelques unes flagrantes, mais d’autres camouflées aux cœur d’une programmation en apparence bien sérieuse…

 

 

 

JEAN-BAPTISTE FONLUPT JOUE CHOPIN, LISZT …ET PICHON!

 

jean baptiste fonlupt credit beatrice cruveiller concert critique classiquenewsArrivée au musée. La grisaille automnale dehors, mais le sas franchi, les couleurs! Celles bigarrées des œuvres de l’artiste mexicain José de Guimarães appartenant à la collection Würth, sujet de l’exposition annuelle. Elle donne le ton, avec son  croustillant alphabet africain, ses crânes rigolards de toile en toile, sa « muerte »personnifiée en capeline et robe de dentelle. On jette un œil sur le programme du week-end – voyons…Chopin: nocturnes, Barcarolle, Sonate en si mineur, Liszt: la Vallée d’Obermann, deuxième Ballade…etc – pas de quoi au demeurant déclencher le moindre rire! On y regarde d’un peu plus près. Récital de Jean-Baptiste Fonlupt: Chopin, Liszt…et un certain Frédéric Pichon au programme. Comment soupçonner que Chopin, souffrant de son arrachement à sa Pologne natale, de ses déboires sentimentaux, et de la maladie qui l’emportera, eut autant d’humour pour signer d’un anagramme un journal parodiant le « Warsaw Courier », et cette pièce de jeunesse qu’est la Polonaise en sol dièse mineur? Redondante de trilles et d’ornements,  Fonlupt en déroule ses guirlandes et fioritures avec une frivolité malicieuse, et une élégance que l’on retrouve dans les quatre mazurkas qui lui succèdent. Auparavant deux œuvres tardives: le Nocturne en mi bémol majeur opus 55 n°2, dans une retenue déroutante au départ, qui en dévoile les détails expressifs plus que la ligne et l’élan romantique, et la Barcarolle opus 60, elle, assez rapide et solaire. Pas de demi-teintes dans ses Mazurkas (opus 30 n°1, opus 6 n°2, opus 24 n°2, opus 63 n°1) au caractère trempé, vigoureuses et joueuses. Même état d’esprit de l’Andante Spianato et Grande Polonaise brillante opus 22, de noble allure, et sonnant de l’éclat de ses feux dans l’auditorium à l’acoustique parfaite. Il faudra chercher loin les traits d’humour dans les Liszt de la deuxième partie: La chapelle de Guillaume Tell, La vallée d’Obermann, et la deuxième Ballade se tournent davantage vers la méditation et la métaphysique. Fonlupt porte ces œuvres comme de longs fleuves aux eaux denses dont aucun obstacle ne viendrait entraver la force du cours. Son jeu nous porte aussi, orchestral et généreux, dans le son toujours plein et dans l’évocation. il va à l’essentiel, comme ce Prélude opus 28 n°13 qui ponctue la soirée, dans son épure. Crédit photo B Cruveiller.

 

 

 

TEDI PAPAVRAMI ET MAKI OKADA EN TOUTE COMPLICITÉ 

tedi papavrami maki okadaLe lendemain, Tedi Papavrami et Maki Okada, unis à la scène comme à la ville, nous donnent un programme violon-piano dont ils ne manquent pas de relever les pointes d’esprit et d’humour, en grande complicité. Légèreté de ton dans la sonate opus 30 n°3 de Beethoven, servie par le toucher vif et coloré de la pianiste, et belle humeur du sol majeur sous l’archet radieux de Papavrami. Autre atmosphère dans la Sonate pour violon et piano de Poulenc: la plaisanterie s’y fait grinçante et l’on y rit jaune. Cette sonate « râtée », des propres mots de Poulenc, ne l’est en tout cas pas pour nous ce soir-là, jouée par ces interprètes. Les contrastes et sautes d’humeur, le coq à l’âne et ses difficultés techniques inhérentes, ne semblent pas les éprouver, et le duo n’en fait qu’une bouchée, ne perdant jamais de vue le second degré du propos, si représentatif du compositeur.Tantôt féroce et rude, tantôt douçâtre (1er mouvement), d’une ténuité suave et enjôleuse (2ème mouvement), le propos se fait tour à tour âpre, facétieux, alangui, enjoué, d’un lyrisme tragique noirci par les accords graves du piano, dans les sons rauques ou flûtés du violon (3ème mouvement). Papavrami déploie ici une palette expressive riche et large, tout comme dans la sonate n°2 opus 94 bis de Prokofiev qui vient en miroir et ouvre la seconde partie, magnifiquement chantée (Moderato et Andante), bondissante (scherzo) et corrosive (Allegro con brio). La soirée se termine sur la bonne humeur et la verve espagnole de la Fantaisie sur des thèmes de Carmen de Sarasate, chaleureusement applaudie. Photo (DR)

 

 

 

UN DIMANCHE AVEC GASPARD, VANESSA, OLIVIA ET MARTIN… 

Le dimanche, le musée vous retient dans ses murs pour la journée; quasiment douze heures non stop d’immersion musicale et artistique, depuis le récital du jeune pianiste Gaspard Thomas, jusqu’à celui, en soirée, du pianiste allemand Martin Stadtfeld. Trois concerts en tout avec celui de fin d’après-midi, qui donne à nouveau place à la musique de chambre, réunissant Vanessa Wagner (piano) et Olivia Gay (violoncelle). Une ambiance chaleureuse qui propose entre-temps aux visiteurs mélomanes le parcours de l’exposition, un buffet et une dégustation de champagne, et le spectacle des étudiants des classes du conservatoires de Strasbourg. Gaspard Thomas est un lauréat comblé du concours Piano Campus, puisqu’il y a obtenu le Prix d’argent, mais aussi non moins de 7 autres prix, du jamais vu! A l’écouter, Chopin nous ouvre un chemin de lumière, avec le Nocturne opus 62 n°1, puis la Sonate n°3 en si mineur opus 58, et enfin le Scherzo n°4 opus 54. Le son est plein, voire charnu, agréablement projeté. Pas de sophistication  accessoire, mais l’évidence du chant dans sa variété de tessitures, conduit avec noblesse: ce musicien ne colore pas d’aquarelle les pages de Chopin, mais leur donne de la matière, du corps, joue sur la pâte sonore, baignant d’optimisme la Sonate d’une belle vigueur, déroulant son largo avec sensibilité et profondeur dans une constante conscience de la ligne, et s’amusant du Scherzo, jusqu’à prendre des risques dans les dernières mesures. Gaspard Thomas credit Marielle HuneauA peine deux ou trois minutes pour souffler et le jeune interprète nous fait entrer dans le monde poétique et onirique de Gaspard de la Nuit de Ravel. La magie d’Ondine opère dès son début: son atmosphère étrange, féérique apparaît comme suspendue et nous tient dans son mystère, avant de nous emporter dans son grand flux, qu’il conduit avec un sens accompli des dynamiques. Gibet est sans doute la pièce la plus réussie du triptyque, tant le pianiste sait en peser les sonorités, teinter son inexorable glas avec justesse et tenir la monotonie de son sinistre balancement sans nous ennuyer le moins du monde. Le redoutable Scarbo est bien campé: noir, sournois et cruel. Le jeu de Gaspard Thomas, parfaitement à la hauteur de la tâche, est de plus servi, notons-le, par un superbe Steinway qui répond en tous points aux exigences de l’écriture et de l’interprétation, notamment dans les notes répétées. On ne manquera pas d’attention à la carrière déjà bien amorcée de ce jeune artiste. Crédit M Huneau.

2.-Olivia-Gay-©-Manuel-BraunDebussy est sans doute le compositeur français qui s’est offert le plus de liberté, maniant le clin d’œil et l’humour avec finesse. Vanessa Wagner et Olivia Gay commencent leur concert avec son unique Sonate pour violoncelle et piano, dont elles ourlent les contours et son imagerie hispanisante d’une légèreté fantasque. Fantasques elles aussi, mais dans un tout autre registre, les cinq pièces de l’opus 102 de Schumann. « Mit Humor » donne le ton, mais s’agit-il bien d’humour, ou plutôt d’humeur? Les deux musiciennes font entendre avec à-propos les aspects changeants de l’humeur schumannienne dans toute leur ambiguïté, teintée parfois de dérision. Dernière pièce à leur programme et pas des moindres, la Sonate pour violoncelle et piano opus 40 de Chostakovitch est jouée dans  son ampleur lyrique soutenue infailliblement par le violoncelle d’Olivia Gay. Crédit photo : Manuel Braun.

 

 

 

Arrive avec le soir le concert de clôture, confié à un pianiste allemand que l’on n’entend pas en France, et que nous sommes heureux de découvrir: Martin Stadtfeld. Son programme est plutôt original, peu courant, et attise notre curiosité: la Sonate opus 2 n°2 de Beethoven, suivie du Caprice sur le départ de son frère bien aimé BWV 992 de Bach, puis du Rondo e capriccio de b, de deux petites sonates de Mozart (mi bémol majeur, et si majeur) et de la Suite n°5 HWV 430 de Haendel dite l’« Harmonieux forgeron ». Le jeu de ce pianiste va s’avérer spectaculaire et très captivant. Sa tenue d’inspiration dix-huitième (longue veste cintrée modernisée), renforcera la théâtralité de sa performance. Car c’est de cela dont il s’agit sans connotation péjorative. Ce musicien aux doigts véloces va nous clouer sur place avec des tempos très rapides, une énergie presque extravagante et extrêmement séduisante, une maîtrise et une clarté à tous crins, et surtout une fantaisie communicative. il s’amuse et nous invite dans le cercle de son jeu joyeux et salutaire. Ces Mozart sont délicieux d’esprit et ornés avec goût. Il développe une vivante narration dans « Le Caprice sur le départ de son frère bien-aimé » mais a du mal à tenir les rênes et à ralentir le pas dans son adagiossisimo. Il donne ensuite libre cours à sa folle vivacité dans Le Rondo e capriccio de Beethoven, survolté et débridé. Le « clou » de la soirée est sans conteste la suite de l’Harmonieux Forgeron, qu’il n’hésite pas à illustrer et accompagner, grâce à un stratagème technique, des coups du marteau sur l’enclume, dans le grave du piano. L’effet est irrésistible et souligne l’esprit de cette pièce rayonnante de bonne humeur et de vigueur. Quel artiste! Le public est emballé et applaudit à tout rompre, des sourires plein les rangs!

Le festival referme son édition sur cette brillante démonstration d’humour en musique, et nous donne rendez-vous en 2020 avec une devinette: le thème de son édition sera « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Vous avez trouvé?

 

 

  

 

 

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