COMPTE-RENDU, critique, oratorio. DIJON, Auditorium, le 29 mai 2019. Il diluvio musicale (Falvetti), Leonardo García Alarcón. Les noms de Nicolo Maccavino et de Leonardo García Alarcón resteront attachés à la redécouverte de Michelangelo Falvetti, ce calabro-sicilien dont l’œuvre forte confirmerait, si besoin était l’extraordinaire floraison d’œuvres lyriques italiennes de l’âge baroque. Plus près de la Légende dorée que du corpus fondateur, les histoires sacrées que nous comptent les oratorios, paraliturgiques, prennent des libertés singulières par rapport au texte biblique. Ainsi, la femme de Noé, ici centrale sous le nom de Rad, ne joue aucun rôle dans la Genèse. Il s’agissait de marquer les esprits par une évocation dramatique. La force expressive du livret et de sa traduction musicale devait s’avérer particulièrement efficace.
Exhumé par LG Alarcon, Il Diluvio en tournée…
Submergés, puis réconciliés
Les dialogues, narratifs, introduisent les airs, que commente et illustre le chœur à cinq voix, parfois dédoublées. C’est l’esprit dramatique de l’opéra et de l’oratorio, avec ses références populaires. L’œuvre est ici habillée somptueusement. Les six parties du manuscrit original ont été orchestrées avec un art consommé, qui concilie exigence historique, richesse et efficacité. Au continuo fourni et aux cordes, Leonardo Garcia Alarcón ajoute quatre embouchures, jouées par des poly-instrumentistes passant de la sacqueboute au cornet, ou du corner à la flûte à bec. La terre de Falvetti comme sa musique, carrefour entre Occident et Orient, en porte la marque. Aussi le chef argentin introduit-il les percussions de Keyvan Chemirani dès la deuxième partie pour enrichir les couleurs et le rythme de l’œuvre (pratique qu’il a reprise dans son extraordinaire Nabucco).
Malgré les incessantes reprises de l’ouvrage, aucune routine ne s’est installée. Serait-ce possible avec la direction inspirée, engagée, de Leonardo García Alarcón, qui insuffle une dynamique extraordinaire, du début à la fin ? Qu’il s’agisse d’exprimer la tendresse comme la terreur ou le déchaînement des éléments, chacun donne le meilleur de lui-même dans un ensemble équilibré, puissant comme intime, clair comme ténébreux.
A une version traditionnelle ou de concert, a été préférée une mise en espace simple, efficace, jouant sur les éclairages, les mouvements et le jeu des chanteurs. Un seul personnage est costumé. La Mort, toujours chantée par Fabian Schofrin, se présente claudicante, dans sa tenue traditionnelle, sa faux à la main. Le déluge accompli, sa tarentelle, « De la caverne oscure », est indescriptible : chantée de façon jubilatoire et caricaturale, frappant le rythme sur son tambourin, c’est le moment inaccoutumé et bienvenu dans ce répertoire. Au haut de l’affiche, Rad et Noé, chantés respectivement par Mariana Flores et Valerio Contaldo, nous émeuvent par leur tendresse, par la pitié qu’ils implorent d’un Dieu vengeur. Les voix, bien connues, sont admirables, puissantes, articulées et conduites avec vérité, dans tous les registres. Leurs duos figurent parmi les plus belles réussites. Julie Roset (l’Eau), voix fluide à souhait, limpide, agile, n’appelle que des éloges. C’est aussi le cas de Anthea Pichanick, qui ouvrait l’ouvrage, incarnant la Justice divine, magnifique contralto, sonore, égale dans tous les registres. On a connu Caroline Weynants, la Nature humaine, plus convaincante. Fatigue passagère ? Il en va de même de Matteo Bellotto, la Mort, dont l’autorité impérieuse a paru plus faible qu’à d’autres occasions. Ces quelques réserves n’altèrent que faiblement le bonheur de ce chant engagé, généreux, épanoui que nous réservent ces artistes.
Les polyphonies sont superbes, et l’on ne sait qu’admirer le plus. Le Chœur de chambre de Namur est non seulement un ensemble superlatif, mais il se double d’individualités qui prêtent leurs voix aux rôles secondaires, avec un jeu dramatique qui force l’admiration. Sa participation à l’action (Fils de Noé, comme espèce humaine) est régulière. L’homogénéité des pupitres, même divisés, la précision, les phrasés, dans une écriture madrigalesque élargie au plan choral, confère une force expressive singulière. Les choeurs du Déluge, comme ceux de la dernière partie, sont autant de spectaculaires réussites.
Avec sa générosité coutumière, Leonardo García Alarcón offre deux bis en réponse aux longues ovations d’un public comblé.
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COMPTE-RENDU, critique, oratorio. DIJON, Auditorium, le 29 mai 2019. Il diluvio musicale (Falvetti),
© Albert Dacheux