lundi 17 mars 2025

Compte rendu critique. Montpellier, Festival Radio France, le 24 juillet 2017. Un opéra Imaginaire. Lully, Rameau… Deshayes, Watson, Niquet

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RAMEAU 2014 : sélection cdCompte rendu critique. Montpellier, Festival Radio France, le 24 juillet 2017. Un opéra Imaginaire. Lully, Rameau… Deshayes, Watson, Niquet. Atteindre la troisième décennie pour un ensemble est en soit un aboutissement, notamment en notre ère où le spectacle vivant demeure faible lueur dans un lointain horizon. L’on dit aisément que les 30 ans sont l’âge de raison, parfois, on dit aussi, plus récemment que c’est « la nouvelle vingtaine ». Quoi qu’il en soit, que le Concert Spirituel atteigne cette maturité artistique est un véritable événement. D’autant plus que l’Opéra-Comédie de Montpellier accueillait la création d’un spectacle d’un genre nouveau.

L’Âge de Raison

« Sa fin est de plaire, et d’émouvoir en nous des passions variées. »
René Descartes – Compendium Musicae (1618)

Le Concert Spirituel nous a habitué à des expériences lyriques uniques. Allant de la recréation mondiale des chefs d’oeuvre de la tragédie lyrique et de l’opéra-ballet (Campra, Boismortier, Destouches, Lully…) aux choeurs monumentaux d’Alessandro Striggio, cette empreinte de fougue et d’audace ont toujours caractérisé cet ensemble protéïforme. Cette fois-ci, pour célébrer ses trente années, Hervé Niquet et Benoît Dratwicki ont conçu le projet longtemps caressé par Louis XIV, celui de réunir en un seul récit dramatique, ses airs et danses préférées de toute la production de l’Académie Royale de Musique.

Pari fou pour certains voire anecdotique pour d’autres. Cependant, il faut lire entre les lignes. Si cet « Opéra Imaginaire » est basé sur une intrigue assez classique dans l’opéra Français (deux amants qui subissent les rotomontades d’une Magicienne jalouse), la réunion de certains des plus grands moments de la tragédie lyrique en un seul bloc est une belle idée. Le programme a non seulement visé à nous présenter, finalement, toute la gamme des affects de l’opéra Français des XVIIe et XVIIIe siècles; mais aussi, constatons la richesse des belles surprises. On dévore les airs de l’Achille et Déidamie ou des Muses de Campra ; de même on reste aisément transporté par les magnifiques duos de Gervais et de Royer à la fin du spectacle.

Cependant, malgré la guirlande magnifique des trésors ainsi révélés, nous regrettons parfois une certaine monochromie dans le rythme dramaturgique ; nous aurions aimé ça et là des danses qui marquent des pauses pour contribuer encore plus aux contrastes. Quoi qu’il en soit, le programme a le mérite de faire découvrir, en un temps assez court, toutes les nuances essentielles du style Français.

Cet « Opéra Imaginaire » n’a pas de décor à proprement parler, mais s’inscrit par sa nature dans notre temps. En effet, en faisant appel à un jeune vidéaste de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, le Concert Spirituel est entré dans l’ère de la 3D avec ce projet. Cette projection, qui dure de la première à la dernière mesure, a été directement inspirée au vidéaste par le programme musical afin d’évoquer chaque situation et donner un décor grandiose à la dramaturgie. La tâche a été lourde et très ambitieuse, notamment pour un artiste seul face à un tel chantier.

Cependant, il faut constater, hélas, que l’univers proposé vire par moments au kitsch. On comprend tout à fait que cette musique a été donnée du temps des talons rouges et des basques à rubans, mais est-ce une raison, en 2017 pour l’inscrire encore plus dans un décor suranné?
Surtout quand on a une technologie qui permet aisément de donner libre cours à l’inspiration que cette musique peut offrir à la sensibilité de tout artiste. Nous déplorons, dans cette vidéo un certain manque de fantaisie et d’imagination. La musique proposée et même l’intrigue permettaient des situations telles que nous aurions pu être transportés ailleurs, à mille lieues d’un univers connu, reconnu, archi-connu. Hélas cette vidéo ne semble pas contribuer à sublimer un programme qui, déjà tout seul, regorge de nouveautés. Finalement, la partie promise à l’innovation de cet « Opéra Imaginaire » est demeurée bien… raisonnable.

Sur le plateau, nous constatons que les trois solistes campent les trois rôles correctement. Karine Deshayes se déchaîne dans le magnifique air de Scanderberg de Rebel & Francoeur ; elle est même déchirante dans son air issu des Muses de Campra. Katherine Watson est divine de bout en bout, musicalement et dramatiquement ; aussi notamment, dans la prosodie Française remarquable. En revanche, Reinoud van Mechelen est resté un peu en retrait, parfois quelque peu hésitant sur certains tempi mais magnifique dans l’air de Dardanus « Lieux désolés »!

Le Choeur et l’Orchestre du Concert Spirituel nous ont habitué à mieux. Alors que l’on sentait un engagement et une fougue certaines des choristes et des musiciens on a ressenti parfois des sauts de tempo brutaux, surtout dans l’ouverture redoutable du Titon et l’Aurore de Mondonville. Hervé Niquet ne semblait pas donner une véritable ligne de conduite et il nous a semblé qu’il y a eut une déconnection entre le chef et ses musiciens. Nous avons aussi ressenti une sorte de fuite en avant dans certains passages où M. Niquet a poussé son orchestre et ses choeurs dans des retranchements qui n’ont pas contribué davantage à donner un coup de boost dramatique. Plusieurs questions se posent, mais serait-il probable que le besoin de synchronie avec la vidéo explique cette frénésie et ces brusques changements? La question reste ouverte pour tous les spectacles qui incluent les arts numériques.

En sortant sur la Place de la Comédie, au coeur de son brouhaha festif, nous demeurons dans une certaine perplexité sur le ressenti après cet « Opéra Imaginaire ». Nous ne pouvons pas nier que c’est un bien beau programme qui ravit la curiosité et alimente l’appétit de la passion; cependant l’émotion est celle d’un rendez-vous manqué entre le monde numérique et l’opéra Français. Néanmoins, comme toute expérience, c’est finalement ce premier essai qui compte, nous sommes certains que la prochaine fois sera la bonne!

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FESTIVAL RADIO FRANCE OCCITANIE – MONTPELLIER

Lundi 24 Juillet 2017 – 20h
Opéra – Comédie

« OPERA IMAGINAIRE »

Extraits et airs de:

MONDONVILLE – Titon et l’Aurore, Le Carnaval du Parnasse.
RAMEAU – Les Fêtes d’Hébé, Hippolyte et Aricie, Dardanus, Le Temple de la Gloire.
CAMPRA – Achille et Déidamie, Les Muses, Le Carnaval de Venise.
BERTIN DE LA DOUEE – Le Jugement de Pâris
DAUVERGNE – Les Amours de Tempé, Hercule Mourant, Enée et Lavinie.
COLIN DE BLAMONT – Les Fêtes Grecques et Romaines
FRANCOEUR & REBEL – Scanderberg, Pyrame et Thisbé.
MARAIS – Alcyone, Sémélé.
CHARPENTIER – Médée.
LECLAIR – Scylla et Glaucus.
STUCK – Méléagre.
DESTOUCHES – Callirhoé.
GERVAIS – Hypermnestre
ROYER – Le Pouvoir de l’Amour.
MONTECLAIR – Jephté.
LULLY – Armide.

La Reine Magicienne – Karine Deshayes
La Princesse – Katherine Watson
Le Prince – Reinoud van Mechelen

Conception du programme – Benoît Dratwicki
Conception vidéo – Anthony Rubier

Choeur et Orchestre du Concert Spirituel
dir. Hervé Niquet

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